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Élisa Breton, l'autre architecte du fameux « mur Breton »

Des tableaux, des masques océaniens, précolombiens ou nord-américains, des pierres, des racines, des boîtes de papillons : dans son appartement-atelier parisien, André Breton exposait un ensemble exceptionnel d'objets rassemblés lors de ses voyages. Connu sous le nom de « mur Breton », il est entré dans la collection du Musée national d'art moderne en 2003. En vue de la publication d’un ouvrage de référence sur le sujet, l’étude de la correspondance inédite échangée entre l'artiste surréaliste et sa troisième épouse, Elisa Bindhoff, révèle le rôle méconnu de celle-ci dans la constitution de cette incroyable collection. 

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Elisa Breton est présente au cœur du mur Breton conservé au Musée national d'art moderne : son portrait apparaît discrètement à travers la cage de la Boule suspendue de Giacometti, non loin d’une pierre trouvée et interprétée par André Breton, Souvenir du Paradis terrestre, que le poète dédia à son épouse. C’est lors de son exil aux Etats-Unis durant la Seconde Guerre mondiale qu’André Breton, récemment séparé de Jacqueline Lamba, rencontre Elisa Bindhoff dans un restaurant à New York, en décembre 1943. Née en 1906 au Chili (disparue en 2000, ndlr), la jeune femme vivait aux Etats-Unis depuis la fin de son premier mariage, et venait, lors de sa rencontre avec Breton, de perdre tragiquement sa fille unique. Pour elle comme pour Breton qui traverse alors une période difficile, cette rencontre est un véritable renversement du sort.

 

C’est lors de son exil aux Etats-Unis durant la Seconde Guerre mondiale qu’André Breton, récemment séparé de Jacqueline Lamba, rencontre Elisa Bindhoff dans un restaurant à New York, en décembre 1943.

 

Les premières lettres qu’ils échangent en janvier 1944, alors qu’Elisa entreprend un long voyage à travers l’Amérique latine qui la mènera jusqu’au Chili, expriment toute la puissance, encore empreinte d’inquiétude, du sentiment qui les unit, et Breton livre ici des lignes qui font écho à celles, superbes, qu’il avait pu adresser à Simone Kahn peu après leur rencontre en 1920. Un même sentiment d’amour et d’espoir, mêlé à une union lyrique avec les paysages de Gaspésie, traverse les pages d’Arcane 17, ouvrage rédigé entre août et octobre 1944 alors que le couple y séjourne, et que se dessine le retour à la paix en Europe. Le Rocher Percé situé dans le Golfe du Saint-Laurent devient ainsi une arche prophétique, « mue par trois hélices de verre qui sont l'amour, mais tel qu'entre deux êtres il s'élève à l'invulnérable, l'art mais seulement l'art parvenu à ses plus hautes instances et la lutte à outrance pour la liberté ». Le couple effectuera ensuite un voyage à travers les Etats- Unis, qui les mènera, après s’être rapidement mariés à Reno, jusqu’en Arizona et au Nouveau- Mexique, en territoire Hopi et Zuni, où ils assisteront avec émerveillement à plusieurs cérémonies rituelles, dont Breton rendra compte dans son Carnet de voyage chez les Indiens Hopis (1945).

Elisa et André sont de retour en France au printemps 1946, et s’installent tous deux dans l’appartement du 42 rue Fontaine qui est celui de Breton depuis 1921, resté inoccupé pendant le conflit. Cet appartement-atelier, dont la grande verrière donne sur le boulevard Clichy, est depuis les débuts du mouvement surréaliste le lieu de résidence et de travail du poète, et un point de rencontre majeur du collectif, témoin de multiples réunions et expérimentations. Mais il est aussi l’écrin de la collection toujours grandissante et mouvante de Breton, qui envahit les murs de l’atelier au fur et à mesure de ses acquisitions. De tous les murs de l’atelier, tous recouverts d’œuvres, de livres et d’objets, celui qui entrera dans les collections du Musée national d’art moderne se distingue dès les années 1930 par son accrochage spectaculaire, soutenue par une complexe structure en bois. Trois ans après leur retour en France, le couple emménage dans l’appartement du dessous, plus grand d’une pièce afin d’accueillir Aube, fille du poète et de Jacqueline Lamba.

 

Elisa et André sont de retour en France au printemps 1946, et s’installent tous deux dans l’appartement du 42 rue Fontaine. Cet appartement-atelier est depuis les débuts du mouvement surréaliste le lieu de résidence et de travail du poète, et un point de rencontre majeur du collectif, témoin de multiples réunions et expérimentations.

 

 

Devenue une habitante du lieu, Elisa s’avère cependant beaucoup moins casanière que son époux. Elle retourne à plusieurs reprises au Chili, lors de longs voyages de plusieurs mois qui sont l’occasion d’un dense échange de lettres avec son mari, et multiplie également les déplacements en Europe, le plus souvent en compagnie d’amis. Ainsi, à l’occasion d’un séjour qu’elle effectue dans le Nord de l’Allemagne en 1954, Breton demande à son épouse (comme il put le faire avec Benjamin Péret lors des déplacements de celui-ci en Espagne) de collecter de la documentation et des reproductions photographiques d’œuvres (de Baldung, d’Altdorfer, des pièces océaniennes du Musée d’ethnographie de Hambourg) qui alimentent les difficiles réflexions qu’il mène alors sur l’art magique, pour un ouvrage qui ne paraîtra que trois ans plus tard (L’art magique, Paris, Club français de l’art, 1957, pour la première édition, ndlr).

La correspondance révèle également qu’Elisa joua un rôle actif dans la constitution de la collection qu’elle partage avec son mari, qui l’incite à chacun de ses déplacements à se montrer attentive aux merveilles locales, voire à participer directement à l’acquisition de pièces. Ainsi, lors d’un séjour en avril 1954 dans le sud de la France, à Ramatuelle, Elisa entre-t-elle en négociation avec Marie-Thérèse Le Goff pour l’acquisition de plusieurs aquarelles de l’artiste symboliste Charles Filiger. C’est ainsi que le couple acquiert Salomon 1er, Roi de Bretagne de Charles Filiger, que l’on aperçoit au centre du fameux mur de l’atelier sur une photo de 1994, à la place de la petite Nature morte aux cerises du Douanier Rousseau qui s’y trouve aujourd’hui.

 

La correspondance révèle également qu’Elisa joua un rôle actif dans la constitution de la collection qu’elle partage avec son mari, qui l’incite à chacun de ses déplacements à se montrer attentive aux merveilles locales, voire à participer directement à l’acquisition de pièces.

 

Breton, de son côté, informe son épouse de ses visites aux puces et de celles, fort nombreuses, en salle de vente, et des quelques acquisitions qu’il y fait. Ainsi, en 1956 et 1957, de trois gouaches réalisées par le maître teinturier et artiste autrichien Aloïs Zotl, fragments d’un « règne animal dont on sait quelle énigme il entretient en chacun de nous et le rôle primordial qu’il joue dans le symbolisme subconscient ». Il relate également à Elisa sa prise de contact, en 1958, avec l’épouse du peintre Yves Laloy, pour lequel il rédige alors une préface à l’occasion d’une exposition personnelle de l’artiste à la galerie La Cour d’Ingres, ou l’acquisition, la même année, grâce au collectionneur de photographies Georges Sirot, d’un portrait à l’huile sur métal de Charles Fourier. Une autre lettre, datée de mars 1963, permet de retracer le mode d’acquisition de la belle peinture aborigène sur écorce qui clôt aujourd’hui le côté gauche du mur : collectée par le peintre et ethnologue Karel Kupka en Terre d’Arnhem, dans le nord de l’Australie, la pièce fut ensuite acquise par Breton auprès d’Alfred Bühler, conservateur au Musée des cultures de Bâle.

 

Cette riche correspondance fait également apparaitre ce qui devint, à partir de 1951, une autre résidence du couple et un nouveau foyer poétique pour le surréalisme : l’auberge des Mariniers, demeure construite aux 12e et 13e siècle au-dessus du Lot dans le village de Saint-Cirq-Lapopie. Lieu de refuge estival du couple, point de rencontre du groupe surréaliste, la maison permet à ses résidents de se livrer à la collecte de pierres dans le lit de la rivière toute proche ou de partir dans les environs à la recherche d’objets à même de susciter l’émerveillement, comme les moules à hosties, que Breton collectionnait avec assiduité, et dont un exemplaire se trouve aujourd’hui en bas du mur.


Elisa Breton, membre active du surréalisme à partir de son arrivée à Paris (on retrouve ses contributions dans de nombreuses revues surréalistes des années 1950 et 1960), elle-même artiste (elle réalisa des boîtes surréalistes et de nombreuses photographies), joue également un rôle important dans l’enrichissement de la collection du poète à partir du milieu des années 1940. L’étude de la correspondance échangée entre les deux époux confirme la place centrale qu’André lui accorda dans le mur le plus spectaculaire de son atelier. ◼

Au pied du « mur Breton »

Entré par dation au Musée en 2003, le mur Breton évoque la seconde pièce de l’appartement de la rue Fontaine à Paris, occupé par le poète, de 1922 à sa mort en 1966. Les 255 œuvres d’art et objets qui y sont regroupés rappellent l’esthétique défendue par Breton dans ses écrits et à travers sa collection. Il n’a cessé de l’enrichir, guidé par « un irrésistible besoin de possession », qu’il attribuait au désir de « s’approprier les pouvoirs des objets » ayant suscité en lui surprise et interrogation. Autour des chefs-d’œuvre des artistes qu’il a soutenus (Notre avenir est dans l’air, 1912, de Picasso, LHOOQ, 1919, de Picabia, Tête, 1927, de Miró, Boule suspendue, 1930-1931, de Giacometti, La Boîte-en-valise, 1935-1941, et Coin de chasteté, 1954/1963, de Duchamp), sont soigneusement accumulées des pièces en résonnance avec sa poétique de « l’œil à l’état sauvage, œil premier, libre de toute entrave » : des tableaux, des masques et des objets océaniens, précolombiens et nord-américains, ainsi que des objets trouvés, des objets populaires, des pierres, des racines, des boîtes de papillons. 

 

En juin 2021, Aurélie Verdier a initié, avec le soutien du groupe Mission Recherche des Amis du Centre Pompidou, une étude raisonnée et scientifique du « mur Breton », qui aboutira en 2024 à la publication d’un ouvrage de référence sur le sujet. Créé en 2019 en étroite collaboration avec la Bibliothèque Kandinsky, le groupe Mission Recherche des Amis du Centre Pompidou vise à participer à l’enrichissement des collections nationales au travers de la recherche et de la diffusion des savoirs. Chaque année, jusqu’à trois bourses de recherche sont financées, permettant à de jeunes chercheurs d’accomplir, sous la direction d’un conservateur du Centre Pompidou, une mission de recherche à travers l’étude de terrain, l’étude d’archives, la réalisation d’entretiens ou de traductions inédites.