Au Mexique, des artistes pour la lutte des classes : l'Atelier d'art graphique populaire
En 2017, Madame Nora Vitorge-Cassin fait don à la bibliothèque Kandinsky d'un remarquable fonds d'archives, vestige d'un passé mexicain artistique et révolutionnaire. Le fonds du Taller de Gráfica Popular (Atelier d'art graphique populaire) dont elle hérite, fut confié à son défunt mari, Léopold Vitorge, directeur du journal des étudiants communistes de l'École nationale de beaux-arts de Paris, Traits, dans les années 1960. Suite à d'importants travaux de restauration et de recherche documentaire, ce fonds est aujourd'hui entièrement numérisé et consultable en ligne via le portail de la bibliothèque Kandinsky.
El Taller de Gráfica Popular (L'Atelier d'art graphique populaire), connu sous le nom de TGP, fut un collectif d'artistes, principalement graveurs, fondé à Mexico en 1937 par Leopoldo Méndez, Pablo O'Higgins et Luis Arenal. Il réunissait une bonne partie des anciens membres de la Ligue des écrivains et artistes révolutionnaires (LEAR), organisation d'intellectuels mexicains antifascistes, active de 1934 à 1937 et liée au Parti communiste mexicain. La finalité du travail collectif des artistes du TGP était de donner une nouvelle impulsion à la lutte des classes grâce à la création artistique.
La finalité du travail collectif des artistes du TGP (Atelier d'art graphique populaire) était de donner une nouvelle impulsion à la lutte des classes grâce à la création artistique.
De sa fondation en 1937 jusqu'aux années 1950, le TGP a produit un très grand nombre d'œuvres, résultat de travaux collectifs et individuels. Ses membres ont principalement réalisé des gravures, portfolios, journaux, affiches politiques, mais aussi des illustrations pour des livres destinés à l'éducation populaire. Leur langage plastique s'est fortement inspiré des travaux du célèbre illustrateur mexicain, José Guadalupe Posada (1852-1913), graveur et critique social pendant la Révolution, ainsi que du réalisme socialiste et des images de la culture populaire mexicaine.
En utilisant des images expressives, réalistes et populaires, les membres du collectif ont réussi à créer un nouveau langage visuel abordable par le plus grand nombre, tout en diffusant un éventail de thèmes socialement engagés de manière efficace. L'engagement politique et social du groupe fut en effet clairement annoncé dans son manifeste : « L'art doit refléter la réalité sociale tout en appuyant les intérêts progressistes et démocratiques du peuple mexicain, cela en considérant que la finalité sociale de l'art, reste indissociable de la qualité artistique. »
L'art doit refléter la réalité sociale tout en appuyant les intérêts progressistes et démocratiques du peuple mexicain, cela en considérant que la finalité sociale de l'art, reste indissociable de la qualité artistique.
Extrait du manifeste du TGP
Cet engagement se traduira principalement dans les thématiques abordées par le collectif. Mettant tout particulièrement l'accent sur la défense du monde ouvrier, le TGP se positionne aussi contre le fascisme, le nazisme européen et l'impérialisme américain et proclame son combat pour la paix. Le groupe manifeste ouvertement son opposition au nazisme, en participant à un cycle de seize conférences organisées par la ligue pour la culture allemande, opposée à Hitler. À cette occasion, trente-deux mille affiches sont produites et collées dans les rues du Mexique par les artistes du collectif.
La production artistique au service du changement social se traduisait aussi chez les artistes du TGP par la défense des récents acquis de la Révolution mexicaine, mis en place par le président Lazaro Cardenas (1934-1940). Ce dernier entreprit une série de grandes réformes sociales qui furent amplement diffusées par le TGP à travers la production de gravures abordant nombe de ses thématiques : la réforme agraire, accompagnée du démantèlement de grands latifundios et de la répartition des terres aux paysans, le développement du système coopératif de production agricole, le soutien aux mouvements ouvriers et l'unification de ses organisations en une unité d'action prolétaire, le développement d'un réseau scolaire d'éducation populaire, et enfin, la plus significative, l'expropriation pétrolière avec la suppression totale des compagnies pétrolières étrangères au Mexique.
Les artistes du TGP revendiquaient également la création d'un art s'adressant au peuple, qui devait prendre ses racines dans la tradition et la culture populaires, créant ainsi une série de gravures destinées à mettre en valeur la vie et les traditions du peuple mexicain. Certaines d'entre elles retracent l'histoire révolutionnaire avec l'exaltation des figures emblématiques, tandis que d'autres représentent simplement la vie des paysans, ouvriers ou artisans exerçant les métiers traditionnels. Le but était de promouvoir l'éducation populaire mais aussi de réhabiliter leur pays aux yeux des Mexicains eux-mêmes.
Le but était de promouvoir l'éducation populaire mais aussi de réhabiliter leur pays aux yeux des Mexicains eux-mêmes.
Ces artistes ont également produit de nombreux journaux et caricatures inspirées de deux genres très populaires au Mexique, les Corridos et les Calaveras. Les Corridos sont des chansons populaires prenant une forme poétique. Les Calaveras, inspirées de l'iconographie traditionnelle utilisée lors de la fête des morts, représentent quant à elles des squelettes accompagnés de vers satiriques. L'humour subversif et la satire irriguent toutes ces productions.
Ces journaux, et les feuilles éducatives populaires, furent abondamment diffusés dans les lieux publics par le Taller de Gráfica Popular, dans le but de dénoncer les injustices sociales et de soutenir les luttes populaires.
Après plus de vingt-trois ans de production collective, l'expérience artistique et sociale du TGP s'arrête en 1960 avec le départ de ses membres fondateurs. Un groupe de nouveaux artistes a tenté de maintenir l'atelier en vie, mais la période prolifique du TGP n'eut qu'un temps, au moment où Méndez fut son organisateur. ◼
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« El fascismo, El fascismo aleman, 3a conferencia » (Le Fascisme, le fascisme allemand, 3e conférence), par Luis Arenal et Antonio Pujol, Taller de Gráfica Popular, Mexique, 1938 (détail)
Le traitement de ce fonds d'archives a été réalisé par Adriana Getler, archiviste chargée des fonds modernes à la Bibliothèque Kandinsky, en juillet 2020.