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Photo de Bartabas et son cheval Tsar par Franck Fokerman

Bartabas, le cheval comme instrument

Associer l'ingénierie sonore la plus exigeante et le théâtre équestre, tel est le pari fou de l'Ircam et de Bartabas, fondateur du théâtre Zingaro pour un spectacle... silencieux. Présenté du 16 décembre au 3 janvier dans son théâtre d'Aubervilliers, Entretiens silencieux est une création intimiste où le cheval se mue en un véritable instrument de musique. Explications avec Manuel Poletti, qui en a réalisé la mise en espace sonore.

± 5 min

Difficile d’imaginer deux univers plus éloignés l’un de l’autre : d’un côté, Bartabas, fondateur du Théâtre équestre Zingaro sis à Aubervilliers, de l’autre l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique), à la pointe des technologies du son. Ils ont pourtant en partage un domaine essentiel : celui du spectacle et de la représentation. Faisant preuve d’une curiosité sincère pour les univers sonores singuliers, le premier a du reste déjà abordé les musiques de création, s’associant par exemple à Jean-Pierre Drouet en 1991 pour son Opéra équestre, ou reprenant le Dialogue de l’ombre double de Pierre Boulez pour accompagner le volet central de son Triptyk en 2000.


Lorsque Bartabas et l’Ircam se rapprochent autour de ce projet particulier, intitulé Entretiens silencieux, l’idée du célèbre écuyer est à la fois spectaculaire et intimiste : mettre en valeur ce dialogue ineffable qui se noue entre le cavalier et sa monture, justement – en l’occurrence lui-même et son cheval fétiche, Tsar.

Au cours du travail, le concept du spectacle évolue et s’affine. Jamais figées, les représentations sont autant d'expériences uniques, partagées avec le public – mais l’esprit en reste inchangé : intimisme, finesse et subtilité. Et cela est également valable s’agissant du travail du son, conçu et supervisé par le designer sonore Manuel Poletti.

 

À son insu, le cheval devient musicien, ou à tout le moins instrument de musique, joué par son écuyer.

 

 

La première étape a consisté à sonoriser le cheval, à l’aide de micros embarqués invisibles. Cette sonorisation permet de travailler avec le moindre bruit produit par la monture : le choc de ses sabots sur le sol, les frottements de son pelage et de sa crinière, le souffle de sa respiration – à son insu, le cheval devient musicien, ou à tout le moins instrument de musique, joué par son écuyer.


« Grâce à cet équipement, dit Manuel Poletti, on peut d’abord jouer sur l’amplification du son physique, et modifier ainsi légèrement la perception que l’on en a – comme on le ferait visuellement en zoomant et dézoomant sur une image, ou en tamisant les lumières. C’est d’ailleurs ce qui se passe également en parallèle de l’amplification : les lumières s’allument peu à peu, quasi imperceptiblement au cours du spectacle. »


La sonorisation de l’animal soulève évidemment la question de la diffusion du son amplifié, ce qui est fait de la manière la plus organique et naturelle possible, en équipant le théâtre circulaire d’une cinquantaine de haut-parleurs et d’une poignée de caissons de basse – une petite merveille pour tout amateur de spatialisation. Celle-ci est délibérément légère et aérienne, et s’articule en outre avec les évolutions du cheval : à chaque allure (pas, trot, galop) correspond un état d’amplification, comme pour faire « respirer le spectacle », de même qu’à chaque pirouette, dont le rythme propre est ainsi mis en valeur.

Si la volonté de Bartabas est de rester au plus près du son émis par le cheval, et donc de ne le transformer qu’a minima, quelques traitements en temps réel sont mis à profit pour renforcer la dramaturgie du discours – à la manière d’illusions sonores (utilisation par exemple, pour l’allure du trot, de délais qui vont jusqu’à la dizaine de seconde).

 

Toujours aux fins de magnifier la course du cheval, la spatialisation peut moduler artificiellement l’acoustique ou la réverbération de la salle.

 


Toujours aux fins de magnifier la course du cheval, la spatialisation peut, grâce à des effets de salle, moduler artificiellement l’acoustique ou la réverbération de la salle (en la rallongeant ou en la rendant plus brillante par exemple), modifiant ainsi légèrement la perception de l’espace dans lequel il évolue.

Si l’essentiel du travail est donc très transparent, une troisième piste de traitements va un peu plus loin dans la théâtralisation de ces Entretiens silencieux : la convolution ou source-filtre, à l’aide de SuperVP (Super vocodeur de phase, une bibliothèque et un exécutable pour le traitement, la transformation et l’analyse des sons en temps différé et en temps réel, ndlr). Le principe est le suivant : passer le son capté du cheval au travers du filtre d’un autre matériau sonore. Comme un paysage sonore suscité par les pas du cheval.

 

La conversation mutique du cavalier et de son cheval trouve ainsi des échos aussi discrets qu’inattendus.

 

 

Ce peuvent être des musiques déjà existantes – voire des couleurs musicales reconnaissables : passées à la moulinette de la granulation puis étirées à l’infini, elles peuvent ensuite être « parcourues » par le cheval, comme si lui-même les jouait. La conversation mutique du cavalier et de son cheval trouve ainsi des échos aussi discrets qu’inattendus. ◼

16 décembre 2020 - 3 janvier 2021
Théâtre équestre Zingaro

 

Informations sur les nouvelles dates et billetterie :

https://zingaro.fnacspectacles.com/

 

Réservez

 

Bartabas scénographie, conception et mise en scène
Manuel Poletti création et mise en espace sonore Ircam
Paul Boulier, Clément Cerles ingénierie sonore Ircam 
Avec Bartabas et son cheval Tsar

 

Production Théâtre équestre Zingaro

Coproduction Festival d’Automne à Paris, Ircam-Centre Pompidou

Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris