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Charles Pennequin, dynamiteur de vers

Figure incontournable de la création contemporaine, Charles Pennequin invente une poésie sonore au fil d’une œuvre culte et d’une série de happenings décoiffants. Il est invité de l'édition 2022 du festival Extra! consacré à la littérature vivante. Rencontre avec un artiste déroutant et inclassable.

± 6 min

La poésie… La poésie partout, tout le temps et avec tout le monde. Tel pourrait être le crédo de Charles Pennequin, créateur insatiable, performeur avant-gardiste, bricoleur acoustique, gesticulateur infatigable et chantre d’une poésie sonore hyper créative. L’artiste occupe depuis plus d’une trentaine d’années une place déterminante dans la littérature vivante, avec ses inventions hétéroclites, dans ses livres et ses recueils, mais aussi sur les planches des théâtres, dans les rayons des supermarchés, sur des quais de gare ou au volant de sa voiture… Charles Pennequin est étudié à l’université, il fait l’objet de documentaires, et il est très suivi sur Internet par ses fans. Cet ancien gendarme fascine autant qu’il inspire, pour son parcours inhabituel et son approche punk du vers.

 

Pourquoi la gendarmerie ?

La production littéraire et performative de Charles Pennequin est aussi pléthorique que son parcours énigmatique. Au sujet de sa vie précédente, notamment. Né dans le Nord en 1965, à Cambrai, issu d’un milieu modeste (un père ouvrier, une mère femme de ménage), le poète avant-gardiste est ancien gendarme. Les forces armées mènent rarement à la littérature, encore moins aux happenings poétiques dans les bars et les supermarchés, mais Charles Pennequin est quelqu’un de rare. « C’est mon côté Facteur Cheval, admet-il. Mais il n’y a pas de grand mystère. J’étais jeune et amoureux. Pour me marier, je devais travailler. Avec mon petit CAP et ma courte année dans l’armée, la gendarmerie était un bon point de chute. » Il y reste dix-huit ans. À la « mobile », dans les bureaux, puis au service informatique. La poésie, il la pratique dès qu’il peut, c’est-à-dire tout le temps : pendant le travail, dans sa tête, sur des coins de table… Son expérience de gendarme lui donne la matière à un livre, Gobineau-les-bobines (ed. POL), une espèce de vrai-faux polar déglingué. Prolixe, il publie dans des revues. Déterminé, il se fait un nom. Mais l’étiquette « gendarme-poète » lui colle à la peau. Pennequin : « Je me faisais taper sur les doigts quand les articles sortaient dans la presse. Comme pour les soldats, les gendarmes ont l’obligation de demander une permission pour s’exprimer. » Le voilà méfiant des journalistes, et donc auréolé de mystère. Il s’impose chez des éditeurs underground (Carte blanche, Al Dante…), puis chez le prestigieux POL (la maison de Georges Perec, Marguerite Duras, Valère Novarina…) en 2004, son éditeur actuel. La même année, à la suite de son divorce, il décide de faire table rase du passé, laisse tomber le maintien de l’ordre et déménage à Lille. Le voici artiste à plein temps. Enfin.

 

 

 

Pourquoi la poésie sonore ?

« Poésie sonore. » Le terme est né dans les années cinquante, sous la plume de Jacques Villeglé et François Dufrêne. La pratique est sûrement plus ancienne... Comme son nom l’indique, celle-ci consiste à dire les textes à voix haute, en les accompagnant de sons, d’instruments de musique et d’outils de diffusion (le dictaphone, le magnétophone, le mégaphone…). Charles Pennequin y vient naturellement. « Un peu comme tout le monde, j’ai découvert la poésie à l’école. Et un peu comme tout le monde, je croyais que celle-ci s’était éteinte avec Rimbaud et Verlaine… Alors je la trouvais dans la musique. Et dans le rock notamment. Donc le son, le bruit et la voix étaient au cœur de tout. » Il compose ses premiers textes et les enregistre sur des cassettes. Le voilà bricoleur acoustique. « Si le livre occupe une place centrale dans mon travail, il n’en est pas l’aboutissement. J’ai l’obsession physique de dire la phrase et le vers du poème. Ça doit sortir, c’est une question de dépense d’énergie, c’est une question d’être au monde. Ma pensée gesticule avec mes doigts, ma bouche, mes mains, ma langue… »

 

J’ai l’obsession physique de dire la phrase et le vers du poème. Ça doit sortir, c’est une question de dépense d’énergie, c’est une question d’être au monde. Ma pensée gesticule avec mes doigts, ma bouche, mes mains, ma langue… 

Charles Pennequin

 

Sa poésie sonore est performance, elle se compose dans l’improvisation, au cœur de l’instant, dans un lieu donné, devant des gens divers et variés. Elle s’accompagne aussi de dessins et s’invente avec d’autres artistes (les musiciens Thierry Aué, Thomas Charmetant, la compositrice d’opéra Annette Schlünz, les chorégraphes-danseurs Dominique Jégou et Vincent Dupont), elle se capte également sur la route et se retrouve généralement sur le web. Charles Pennequin, c’est l’une de ses marques de fabrique, a pris l’habitude de s’enregistrer avec son smartphone, au volant de sa voiture… « Ou dans le train, poursuit-il, allongé sur la plage, debout au supermarché, contre un mur dans une ville… Mais jamais à un bureau ! »

 

Pourquoi l’inspiration totale ?

On l’aura compris, Charles Pennequin est fasciné par la parole, toutes les paroles. À la gendarmerie, il note les discussions entre ses collègues, convaincu qu’il y a matière à... « Si l’on tend bien l’oreille, poursuit-il, on discerne un enchaînement, une sorte de logique, un rythme, un souffle… » Qu’il s’amuse ensuite à reprendre, à réagencer, à tordre, pour en faire « quelque chose ». L’artiste pratique un collage, sans jamais hiérarchiser ses sources. « Il y a toujours de la vie, du moment qu’il y a des gens qui parlent », précise-t-il. Dans le poème « Papa et maman ne sont pas là », il incorpore même des bribes de dialogues entendues dans la série américaine médicale Urgences. Autant de phrases dont il se sert pour traiter les thèmes qui lui tiennent à cœur : la famille (détraquée), les institutions (défaillantes), le corps (affaibli), la société (cruelle)…

 

Pourquoi « l’armée noire » ?

En 2008, Charles Pennequin s’associe avec le dessinateur Quentin Faucompré pour créer « l’armée noire », un projet performatif à la croisée de la littérature, du social et du happening. « L’idée, explique-t-il, était de sortir l’art des institutions. » En clair, l’auteur et ses amis décident de se rendre dans des lieux imperméables aux politiques culturelles (les bars, les ronds-points, les places publiques des quartiers déshérités…) pour y inventer « un joyeux bordel de création permanente » : interventions surprises, lectures intempestives, distributions de gazettes rédigées par leurs soins, tombolas sauvages, karaokés déglingués... En associant, autant que possible, les uns et les autres à leurs projets ; le public est invité à la composition de sérigraphies. L’affaire se déroule à Lille, à Bruxelles, à Dunkerque, Nantes… « On provoquait souvent la sidération, se souvient-il. Mais le résultat, l’énergie et l’ambiance étaient généralement bien plus exaltants que dans les vernissages où l’artiste est clairement identifié et ses spectateurs, amenés à se taire. »

 

Et comment le Centre Pompidou ?

Dans le cadre du festival Extra !, dédié à la littérature vivante, l’artiste intervient au Centre Pompidou au fil d’une performance mi-improvisée. « Je partirai de mes derniers textes, dévoile-t-il. Et, fidèle à mes habitudes, je circulerai à l’intérieur de ceux-ci, avec des micros et des dictaphones… L’ensemble devrait composer une grande histoire, dont je ne connaîtrai les contours qu’au moment du spectacle. C’est un véritable challenge… Et une épreuve assez excitante. » Pour lui… Et donc pour nous. ◼