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Entre Paris et Beyrouth, avec Danielle Arbid, la guerre en face

À dix-sept ans, la cinéaste Danielle Arbid a quitté un Liban en plein conflit pour rejoindre Paris. Depuis, elle ne cesse d'y retourner, à la recherche d'images-preuves, comme une manière de panser ses plaies. Retour sur le cinéma de Danielle Arbid, alors que certains de ses films sont présentés au Centre Pompidou, dans le cadre du festival Hors Pistes.

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La paix peut-elle advenir alors que les stigmates de la guerre restent visibles mais que rien n’est raconté ? Faut-il donc se souvenir afin d’oublier, comme le rappelle le poète palestinien Mahmoud Darwich dans son roman Une mémoire pour l'oubli ? Telles sont les questions que les films de la cinéaste française d’origine libanaise, Danielle Arbid, soulèvent avec une rare et intense acuité.

 

Ainsi, de la guerre, Danielle Arbid cherche inlassablement les traces ; les traces physiques dans les images de Beyrouth et ses immeubles criblés de balles, ses béances et ses ruines ; les traces mentales à travers les traumatismes de miliciens et de civils rescapés et hantés ; mais aussi les traces de l’oubli à travers l’absence de monuments aux morts et les justifications vaines de ceux qui refusent de se souvenir.

 

De la guerre, Danielle Arbid cherche inlassablement les traces ; les traces physiques ; les traces mentales ; mais aussi les traces de l’oubli.

 

Dans Seule avec la guerre (2000), son premier long métrage au titre éloquent, Danielle Arbid fait irruption dans le cadre. C’est son propre corps qu’elle met en scène pour se rendre dans les lieux marquants et marqués de cette guerre dont plus personne ne veut entendre parler, de l’homme des rues aux plus hauts placés. C’est aussi sa plaie et celle de tout un pays qu’elle tente de panser en interviewant, les yeux dans les yeux, d’anciens miliciens encore submergés par la violence, plongeant la réalisatrice à son tour dans des questionnements moraux qu’elle tente de démêler aujourd’hui au fil d'un essai inédit, désarmant de frontalité et de courage, Un tueur (2023). Mohammad A., déséquilibré et pétri de contradictions, déclare être mort depuis la première balle qu’il a tiré sur un autre homme, l’ennemi, mais ne vit à présent que pour avoir la possibilité de le refaire. Comment recueillir une telle parole ? Comment la comprendre ? Dans le contexte de guerre actuel, la question de la « banalité du mal » se pose plus que jamais.

Danielle Arbid a quitté le Liban à ses dix-sept ans pour s’installer à Paris alors que la guerre continue de faire rage mais elle n’a cessé de revenir arpenter son pays d’origine en observatrice critique et en archéologue du conflit. Tantôt devant la caméra comme une journaliste qui enquête, tantôt derrière comme la cinéaste qu’elle est, elle cherche la matérialité des faits dans les images qu’elle enregistre. Elle reçoit d’ailleurs le prix Albert-Londres pour cette entreprise qu’elle renouvelle deux ans plus tard dans Aux frontières : refusant de se rendre en Israël, elle décide d'en longer les frontières en voiture. Celles-ci sont autant affaires de géopolitique que de sémantique et selon les échanges qu’elle a, ce sont les pays/mots Israël ou Palestine qui sont prononcés pour désigner ce territoire ou exprimer un sentiment d’identité. Advient alors un road-movie passionnant dans lequel les fondus enchaînés font écho au flou des contours de ce pays indéfini comme au vertige qu’éprouve la cinéaste dans ce voyage sans destination.

 

À partir de l’invisible et de l’inaccessible, Danielle Arbid tente à chaque fois de créer des images-preuves.

 

À partir de l’invisible et de l’inaccessible, Danielle Arbid tente à chaque fois de créer des images-preuves. Au cours de cette recherche de traces, ce sont également les siennes qu’elle laisse. Car en creux, se dessine un autoportrait qu’elle brosse patiemment depuis de longues années, notamment par le biais de ses fictions : Dans les champs de bataille (2004) dans lequel elle raconte l’émancipation d’une jeune fille de douze ans au Liban pendant la guerre, la relation houleuse qu’elle entretient avec ses parents qui s’entre-déchirent, son éveil à la sexualité, les problématiques habituelles d’une jeune fille empreintes ici d’un sentiment d’urgence dû à la guerre en cours. Celle-ci, hors-champ, n’est évoquée que par la bande-son. Cet entrelacement entre sensualité et guerre est sondé encore plus loin dans Un homme perdu (2007) à l'aune de la figure d’un photographe — mélange de l’écrivain William T. Vollmann et du photographe Antoine d’Agata qui a été conseiller sur le film —, de son modèle, amnésique et rescapé de la guerre, et leurs explorations charnelles au Moyen-Orient. L’image, à la fois comme témoignage et comme catharsis, constitue le fil rouge du film en résonance avec la démarche de la cinéaste depuis ses débuts.

Cela fait quelques années que Danielle Arbid a déplacé ses fictions en France en continuant d’explorer ses propres expériences grâce au personnage d’une jeune Libanaise fraîchement débarquée à Paris (Peur de rien, 2015) mais aussi dans ses essais vidéo qui lui permettent, de façon plus artisanale et intime, d’explorer ses liens distendus avec sa famille libanaise. Comme dans Conversations de salon (2000) où des femmes, dont sa tante, racontent leurs vies bouleversées par la guerre, entre humour et détresse, à tel point que l’une d’entre elles avoue : « La guerre est finie mais l’économie va mal. Moi, je préfère la guerre ! On avait de l’argent au moins. On vivait. » La paix est parfois terrifiante pour certains. Les films de Danielle Arbid permettent aussi de regarder cette réalité en face. ◼

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