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Ettore Sottsass, de la spiritualité dans le design

À la fois designeur, architecte, artiste et écrivain, Ettore Sottsass fut, toute sa vie durant, en quête de compréhension de notre être au monde. Alors que s'ouvre l'exposition consacrée à son travail, la commissaire Marie-Ange Brayer revient sur le parcours du légendaire créateur italien, fondateur du groupe Memphis, pour lequel « tout converge dans le dévoilement de la dimension magique des objets et des êtres ».

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Comment devenir un « homme nu » ? Comment renouer avec la « tragique appartenance à la planète » s’interroge Ettore Sottsass. Instigateur d’une « méthodologie du doute », Sottsass (1917- 2007) ne cessa de puiser dans la mémoire des choses son inspiration de créateur polymorphe, tout à la fois designeur, architecte, artiste, écrivain. Dessins, meubles, objets, céramiques, photographies, écrits, architectures sont les affluents d’une seule et même quête immense, insatiable, de compréhension de notre être au monde. Pour Sottsass, tout s’origine dans la reconnaissance du caractère inéluctable de la disparition des choses. Tout converge dans le dévoilement de la dimension magique des objets et des êtres. La force incandescente de l’écriture d’Ettore Sottsass renoue avec l’oralité du conteur et irrigue toute sa création. Ses mots se donnent comme des éclats lunaires de langage, sans âge, denses et luisants comme des pierres astrales.

 

Pour Sottsass, tout s’origine dans la reconnaissance du caractère inéluctable de la disparition des choses. Tout converge dans le dévoilement de la dimension magique des objets et des êtres.

Marie-Ange Brayer, conservatrice

 

Après la Seconde Guerre mondiale, Sottsass déclare s’être retrouvé vidé, « au milieu de ruines », sans rien. Il crée, en 1947, son agence d’architecture avec son père architecte, tout en travaillant pour des projets publicitaires, des scénographies de foires, etc. Il se met à fabriquer des petits objets, des sculptures, des vases qu’il expose et publie dans la revue Domus. La céramique arrive presque par hasard, en 1956, à l’occasion d’une commande qui lui est passée par un entrepreneur américain. Dès lors la céramique, qui précède l’invention de l’écriture, sera, pour Sottsass, ce qui lui permet de renouer avec des temps immémoriaux. Objet pauvre, la céramique sera associée au geste primordial qui relie l’homme au cosmos, ouvrant à la « fonction rituelle et symbolique » des objets.

En 1961, son voyage en Inde s’avère initiatique, Sottsass éprouve alors une expérience sensorielle et émotionnelle intense, ainsi que le lien qui unit chaque chose à une autre. Gravement malade à son retour, il se rend pour se soigner, en 1962, à l’hôpital de Palo Alto en Californie, où il rédige, depuis sa chambre, un journal (East 128) à l’esthétique pop. Cette épreuve où il côtoie la mort renforce son intérêt pour la dimension magique et thérapeutique des choses, dont témoignent les Céramiques des Ténèbres (1963) et ensuite, les Offrandes à Shiva (1964) qui célèbrent le retour à la vie. La céramique, déclare Sottsass, est la vie même, toujours en mouvement. Sa pauvreté et sa simplicité l’émeuvent. Il lui semble que les céramiques ont tout enduré de l’histoire violente du monde et sont à même de conjurer la maladie et la mort. Ce poids rituel qu’apporte la céramique se retrouve dans ses créations à grande échelle, des Superbox (1966) pour Poltronova aux Menhirs, Ziggurat et Stupas qu’il expose en 1967 à la galerie Sperone à Milan. Les totems de grands disques de céramiques qu’il réalise alors, se donnent dans leur échelle anthropomorphique et transcendent l’objet pour accéder à une dimension d’environnement spatial. « Petites architectures », ou métaphores de tombes de cimetière, les Superbox sont des armoires qui, pour Sottsass, suspendent le temps, à la frontière du rationnel et de la magie. Proches du menhir, telles des formes archétypales, les Superbox, « étranges et indéchiffrables », construisent pour Sottsass « des lieux petits, mystérieux ». Pour Sottsass, le mobilier est un exercice d’architecture et les Superbox se donnent comme des expérimentations sensorielles, mémorielles, creuset d’un rapport magique à l’espace et au temps. 

 

Au début des années 1970, Sottsass traverse une crise existentielle, il s’éloigne de son agence, délaisse l’architecture et le design pour se tourner vers l’écriture et le dessin. Le design « comme métaphore sur la vie » le conduit au renoncement de l’objet.

Marie-Ange Brayer, conservatrice

 

Au début des années 1970, Sottsass traverse une crise existentielle, il s’éloigne de son agence, délaisse l’architecture et le design pour se tourner vers l’écriture et le dessin. Le design « comme métaphore sur la vie » le conduit au renoncement de l’objet. Il se dit alors « déserteur », abandonnant sa table de travail pour arpenter la nature ; désertant les « styles », qui entravent son imaginaire. Sottsass s’enfuit, part dans le désert, traverse, avec l’artiste Eulalia Grau, les montagnes des Pyrénées et d’Espagne. Ce seront les séries de photographies des Design Metaphors (1971-1978), installations d’objets ou architectures inachevées au sein de paysages de montagnes, où Sottsass récolte des matériaux pauvres – morceaux de bois, feuilles, pierres, plumes d’oiseau, objets dont le destin est de disparaître ; matériaux ancestraux à partir desquels Sottsass réalise des constructions précaires qu’il photographie, tel un artiste conceptuel ou du Land Art. 

Les Design Metaphors (1971-1978) sont pour lui un exercice spirituel de reconquête « des actions les plus élémentaires ». Elles se donnent comme « une étude du langage architectural » (Barbara Radice) à travers lesquelles Sottsass s’interroge sur le « sens du construire » et le sens de la place qu’on occupe. Les Design Metaphors sont des constructions dans le paysage, réalisées « avec la matière de l’architecture », dira Sottsass. Comme les tombes des cimetières qu’il dessinait, enfant, et qui lui semblaient des architectures à son échelle, Sottsass donne un titre et un sujet à chaque photo, sur le ton d’une question posée par un enfant. « Je voulais mettre le concept de design dans une condition presque ridicule » dira-t-il. « Quand par exemple je dessine une porte pour entrer dans l’ombre, je veux dire que la chose la plus importante n’est pas le dessin de la porte, mais ce qui se trouve derrière. » L’énigme du monde doit être toujours présente, aussi lancinante que la vibration cosmique des signes qui nous entourent.

 

Quand par exemple je dessine une porte pour entrer dans l’ombre, je veux dire que la chose la plus importante n’est pas le dessin de la porte, mais ce qui se trouve derrière. 

Ettore Sottsass

 

Cet espace du dénuement, Sottsass le trouvera dans le désert et les nombreux voyages qu’il fera à travers le monde, sur tous les continents. Voyage et photographie sont indissociables de son odyssée spirituelle. Sottsass dira qu’il voyage pour vivre et non pour voir des choses. C’est pour lui une « nécessité profonde » de visiter des lieux déserts, des montagnes, « d’établir une relation physique avec le cosmos, qui est le seul environnement qui soit, précisément parce qu’il ne peut être mesuré, anticipé, contrôlé ou connu… ». Pour Sottsass, sa vie est celle d’un nomade qui voyage pour survivre, pour approcher au plus près les zones liminaires de la vie et de la mort. ◼

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