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Georgia O'Keeffe, l'esprit pionnier

Personnalité hors du commun, Georgia O'Keeffe aura participé, toute sa vie durant, aux grandes aventures esthétiques du 20e siècle, du courant moderne des années 1910-1920 au minimalisme des années 1960. Véritable « star » de la peinture américaine, celle qui fut l'épouse du photographe et galeriste Alfred Stieglitz a imposé son regard singulier sur la nature et le cosmos. Fascinée par les cycles de la vie et les grands espaces de l'Ouest américain, elle mène, jusqu'à sa mort en 1986, une vie ascétique dans le désert du Nouveau-Mexique. Retour avec Didier Ottinger, commissaire de la première rétrospective en France consacrée à l'artiste, sur le parcours d'une véritable pionnière.

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Il fallait beaucoup d’aplomb, beaucoup de confiance en soi et en son art pour oser peindre des fleurs lorsque qu’on était une femme inscrite dans la mouvance de l’avant-garde des années 1920. C’était accepter de s’exposer à tous les clichés d’une misogynie qui ne concédait aux femmes que des travaux futiles et délicieusement décoratifs. Georgia O'Keeffe n’a pas craint d’affronter ces quiproquos. En 1924, elle entreprend une série de peintures de fleurs qui seront durablement attachées à son nom. Depuis quelques années, elle est devenue ce que le critique américain Henry McBride nomme : « a newspaper personality » (nous dirions : une figure médiatique).

 

Cette notoriété ne doit rien à son art. Elle est le fruit d’une exposition qui, quelques années plus tôt, a révélé la nudité impudique de Georgia au public new-yorkais. Ces images étaient celles réalisées quelque temps plus tôt par le photographe le plus célèbre de la ville : Alfred Stieglitz. En 1917, Stieglitz, fondateur de la galerie 291 et qui avait, dès 1905, révélé au public new-yorkais les artistes de l’avant-garde européenne (Matisse, Picasso, Brancusi…), fut ébloui par les dessins que lui avait fait parvenir l'amie d'une jeune artiste inconnue : Georgia O'Keeffe. Son enthousiasme avait été tel qu’il les avait aussitôt accrochés sur les cimaises de sa galerie. Un an plus tard, il était à l’origine du déménagement de Georgia à New York ; il lui fournit un logement et les moyens de se consacrer pleinement à son art. S’en était ensuivie une passion amoureuse, et la série d’images à laquelle Georgia devrait sa première notoriété.

Il fallait à O'Keeffe beaucoup d’assurance et une bonne dose de courage physique, pour décider au milieu des années 1930 de s’installer, seule, dans un ranch isolé du Nouveau-Mexique. Depuis sa découverte des environs de la ville de Taos, elle était convaincue d’avoir trouvé là les espaces, la lumière par lesquels elle renouait avec les sensations éprouvées pendant son enfance passée dans les plaines du Midwest (elle avait grandi à Sun City dans le Wisconsin). Au Nouveau-Mexique, elle traduisit dans la minéralité des paysages, la sensualité, l’érotisme qu’elle avait donnés à ses fleurs. Au contact des cultures autochtones (hopi et zuñi notamment), elle accomplit une œuvre qui renouait avec le grand sentiment panthéiste et romantique du premier paysage américain, celui des peintres de l’Hudson Bay River comme Albert Bierstadt, Thomas Cole ou Thomas Moran.

 

Au Nouveau-Mexique, Georgia O'Keeffe traduit dans la minéralité des paysages, la sensualité, l’érotisme qu’elle avait donnés à ses fleurs.

 


Après avoir été une pionnière de l’art moderne américain à la fin des années 1910, la peinture de Georgia O'Keeffe, simplifiant jusqu’à l’extrême les formes qu’elle puise dans son environnement immédiat (la porte du patio de sa maison, ce qu’elle aperçoit l’œil rivé aux hublots des avions), anticipe dès les années 1950 et 1960 les recherches d’une nouvelle génération d’artistes adeptes d’un art dit « hard edge » , et « minimal ». ◼