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Ludovic Houplain, « My Generation », art - screenshot

« My Generation » : bienvenue dans la dictature des images

Court métrage d’animation en forme de commentaire sur la dictature contemporaine des « flux », My Generation est signé Ludovic Houplain, en collaboration avec le célèbre producteur de musique Mirwais. Flamboyant et hypnotisant, le film de huit minutes est présenté lors du festival Hors Pistes (uniquement en ligne) le 5 février à 19 heures. Rencontre avec Houplain, un réalisateur toujours entre critique et fascination pour l'image marchande.

± 7 min

« Hitler aurait adoré les réseaux sociaux ». Cette déclaration de Bob Iger, patron de Disney, résume à elle seule l’idée qui sous-tend My Generation, court métrage qui met en scène une marche arrière furieuse sur les autoroutes de l’information, entre big data, big pharma, porno et totalitarisme. On pense aussi bien à Akira, manga post-apocalyptique, qu’à Mad Max ou Duel. Si l’emballage est définitivement pop, le fond, lui, est très noir. Et si nous vivions dans un monde quasi totalitaire, une société de surveillance numérique ? Pendant huit minutes s’enchaîne un nombre incalculable de logos et d’images, imprimant la surface rétinienne, comme un condensé de notre époque folle. Nous sommes comme Alex, l’ado hyper violent d'Orange Mécanique : incapables de cligner des yeux. La bande-son est tout aussi étourdissante : on y entend pêle-mêle les voix d’Adolf Hitler et du philosophe Bertrand Russell autant qu’un son synthétique, tranchant comme une lame. Aux manettes de ce film, Mirwais, légende de la musique électronique française (producteur pour Madonna et fondateur du groupe new wave mythique Taxi Girl), et Ludovic Houplain, réalisateur de clips (Alex Gopher, Goldfrapp), gagnant avec la bande du collectif H5 de l'Oscar du meilleur court métrage pour Logorama (2009). Lauréat de nombreux prix, présenté dans des dizaines de festivals partout dans le monde, My Generation est montré lors du festival en ligne Hors Pistes le 5 février 2021 à 19 heures. Rencontre avec Ludovic Houplain, fondateur du collectif H5.

Comment s’est construit le projet ? 

Ludovic Houplain— J’ai rencontré Mirwais en 2015, sur notre précédent film d’animation, Money Time, pour lequel il faisait déjà la bande-son. L’idée de My Generation est née au moment de l’élection de Trump... en 2016. Le film ne sort que maintenant, alors même que Trump va quitter la Maison-Blanche, mais c’est long de faire de l’animation ! Cela prend un an, voire deux. Mais finalement, ce n’est pas important, je ne fais pas des clips ou des vidéos pour être digérés à l’instant T, mais pour parler d’une époque, comme un instantané. Trump fait partie de l’Histoire, qu’on le veuille ou non. Et puis Mirwais reste maître du tempo. On travaille déjà sur un autre film, qu’on aura fini en 2022, pour un autre single extrait de son futur album. J’ai écouté une dizaine de titres, tous mortels. Quand il m’envoyait un son il me disait « tu l’écoutes et tu l’effaces  ! ».  

 

Je ne fais pas des clips ou des vidéos pour être digérés à l’instant T, mais pour parler d’une époque, comme un instantané.

Ludovic Houplain

 

Justement, comment se passe un duo créatif avec Mirwais ? 

LH— C’est lui qui a eu l’idée d’une longue marche arrière sur l’autoroute. Il se voit comme quelqu’un qui est depuis toujours à contre-sens de la société… Il voulait évidemment que le film soit très critique du monde dans lequel on vit. J’ai trouvé l’idée du plan séquence en caméra subjective très intéressante, car le fait d’aller en arrière permet d’absorber tous les signes que l’on voit, on n’a pas du tout la même perception. Il y a un effet de surprise permanent. Pour symboliser notre société, j’ai pensé à différents thèmes. On roule en marche arrière et c’est un peu comme si on traversait de grands parcs d’attractions visuels : les data, la finance, les religions, la politique, le sexe marchand, la société de surveillance etc. Dans la vie de tous les jours, il a été démontré que nous étions exposés à plus de 2500 logos et marques par jour ! Au début, ce n’était pas le morceau actuel qui devait figurer en bande-son, mais un titre avec la chanteuse Uffie. Mais au dernier moment, Mirwais a jeté le morceau, c’était quasi fini ! Mais bon, c’est Mirwais. J’ai pas mal travaillé dans la musique, les gens y sont hyper consensuels, parfois lénifiants, et lui n’est pas du tout comme ça. Il n’est pas mainstream, et c’est ce que j’aime chez lui. 

Une fois l’idée générale tracée, comment se crée un court métrage d’animation comme celui-ci ? 

LH— Je travaille d’abord beaucoup sur la narration, puis je dessine mes story-boards. J’ai dessiné pendant quasiment un an tous les jours. J’ai fait les dessins des « mondes » à la main, puis ensuite, avec l’équipe de Machine Molle qui fait la modélisation 3D, on a travaillé les décors avec des références photo. Je fais pas mal d’allers-retours, c’est vraiment un travail de réalisation. 

 

Je travaille d’abord beaucoup sur la narration, puis je dessine mes story-boards. J’ai dessiné pendant quasiment un an tous les jours.

Ludovic Houplain

 

Il y a une séquence dans laquelle apparaissent le musée Guggenheim, des œuvres de Jeff Koons, Louise Bourgeois, Andy Warhol, Murakami, mais aussi le Centre Pompidou et ses fameux tuyaux… comment avez-vous choisi ces éléments ? 

LH— Je prends les têtes de gondoles, ce qui est le plus connu. Et puis ensuite j’harmonise et j’équilibre entre public et privé par exemple. J’ai choisi les tuyaux du Centre Pompidou parce qu’ils me font penser à ceux du Yellow Submarine des Beatles, et je suis fan. Je ne sais pas si c’est fait exprès mais à bien y regarder, c’est exactement le même design, avec la mire... Je ne suis pas là pour taper sur l’un ou l’autre, l’idée c’est de faire un Polaroïd de l’époque, même si en tant qu’artiste il faut avoir des limites et ne pas devenir uniquement un produit dérivé… Dans la séquence suivante, celle sur les religions, idem, j’ai essayé des toutes les mettre, sans forcément en pointer du doigt une plus qu’une autre. Après la religion, on passe au porno, on l’a fait exprès évidemment… Il y a beaucoup d’indices disséminés dans les images, mais tout est recoupé par des infos, je ne fais pas dans le complotisme… Vers la fin, on voit Trump qui part en hélicoptère, et c’est une référence à la fameuse photo prise le jour de la chute de Saïgon en 1975, celle avec l’hélicoptère qui vient évacuer les derniers Américains du toit de l’ambassade … 

Le sous-texte du film est éminemment politique… 

LH— Le film précédent, Logorama, était très sur le produit et la marque, et là on voulait se dématérialiser pour aller vers l’idée de « flux ». C’est pour ça que c’est une ligne droite… L’idée, c’est vraiment de raconter qu’aujourd’hui nous sommes pris en otages par les flux d’informations. Dans le film, on voulait être à la limite de la perception, ce qui est le cas dans la vie de tous les jours, on n’arrive pas vraiment à « s’accrocher » dans tous ces flux d’informations. Pour soutenir un discours hyper critique, je voulais faire quelque chose de pop et coloré, exactement comme la dictature actuelle des images. Je suis autant fan de Frank Miller et de Mœbius que de Jean-Paul Goude. La manipulation moderne, c’est ce qui m’intéresse, pousser tous les codes à l’extrême pour voir si c’est tolérable.

 

Je m’intéresse beaucoup à l’idée de « taylorisme de la pensée ». Le principe du taylorisme, c’est que la cadence est toujours supérieure à ce que peut faire un être humain, et cela l’empêche de penser à sa fonction.

Ludovic Houplain

 

Pour certains spectateurs que l’on a pu croiser dans les festivals où le film a été montré, c’est parfois une vision trop noire du monde… C’est un film assez clivant. Même si à la fin, on termine sur une note d’optimisme, avec le discours sur l’amour du philosophe Bertrand Russell. Là, il n’y a plus d’images. Juste la voix de Russell, sans sous-titres, Mirwais ne voulait pas. Après ce long « trip », j’ai souhaité enlever les images, et me servir du générique pour que l’on se concentre sur le son et le sens. Je m’intéresse beaucoup à l’idée de « taylorisme de la pensée ». Le principe du taylorisme, c’est que la cadence est toujours supérieure à ce que peut faire un être humain, et cela l’empêche de penser à sa fonction. Je trouve qu’aujourd’hui nous sommes arrivés à ça. Le flux d’images est tel que l’on ne pense plus. ◼