Nature et découvertes au Festival ManiFeste
Connu pour ses jardins sonores et ses œuvres musicales s’inspirant du modèle de la génération naturelle (Carré magique, Germination), le compositeur Jean-Luc Hervé a conçu avec l’Ircam une expérience surprenante pour le visiteur de l’exposition « La Fabrique du vivant » qu’il invite à pénétrer dans un biotope sonore et furtif. Ce dispositif craintif, réagissant à la présence humaine à la manière d’un organisme vivant, a un double objectif : conférer un caractère organique à l'installation sonore et inciter le visiteur à modifier son comportement vis-à-vis de son environnement. À travers la sensibilité acoustique aiguisée que nous permet de développer l’expérience, c’est en effet une nouvelle écologie sonore qui se construit. Rencontre avec l’artiste qui nous livre les secrets de fabrication de son œuvre.
Dans une exposition, les bruits sont généralement produits par les œuvres ou les visiteurs : comment avez-vous abordé ce défi pour Biotope, environnement sonore imaginé pour « La Fabrique du vivant » ?
Jean-Luc Hervé — Lors d’une sortie ornithologique à proximité d’une ville, même lorsqu’il y a des bruits parasites, l’oreille se tend vers les chants d’oiseaux, même discrets, et nous n’écoutons plus le bruit de fond. Il faut donc intriguer le visiteur pour éveiller sa curiosité auditive. L’idée est de créer un environnement sonore sur tout l’espace, de n’être plus tout à fait dans une galerie d’exposition, de donner la sensation au visiteur qu’il entre dans un biotope particulier, d’où le titre de l’œuvre. D’autre part, les durées d’écoute et le propos musical ne peuvent être de même nature que dans une situation de concert. Le public qui déambule dans la galerie va d’une œuvre à une autre, décide lui-même de son parcours et de la durée consacrée à chaque œuvre. C’est donc lui qui impose le temps. Là encore, le modèle de la sortie ornithologique m’a guidé : un chant d’oiseau est en effet une forme musicale assez courte, susceptible d’être perçue dans cette situation. Il se répète avec des variations, chaque espèce étant caractérisée par son chant, mais chaque individu ayant ses particularités au sein de l’espèce.
Le son a une présence physique, on pourrait presque le toucher, mais son origine est invisible.
Jean-Luc Hervé
Comment avez-vous traité le thème de l’exposition ?
JLH — L’ensemble de la galerie est habité par de multiples sources sonores localisées. Le son a une présence physique, on pourrait presque le toucher, mais son origine est invisible. Le niveau de diffusion est assez faible, donnant l’impression d’un dialogue entre les individus d’une population de petits animaux (batraciens, insectes ou oiseaux) qui se cache dans l’architecture. Chaque agent sonore de cette population a son autonomie (grâce à un ordinateur doté d’une « proto-intelligence » artificielle) qui interprète à sa manière et en temps réel la forme sonore caractéristique de sa population. Chaque individu écoute en outre son voisin immédiat, pour inscrire son chant dans l’ensemble. Se forme ainsi une grande polyphonie où chaque agent a sa propre identité sonore et sa variabilité individuelle. Si les visiteurs intrigués s’approchent des points de diffusions pour mieux écouter, s’ils sont trop nombreux ou leurs mouvements trop brusques, ils dérangent « l’animal ». Le dispositif réagit alors : l’agent sonore, à la manière d’un organisme vivant, s’affole, émet un signal d’alerte qu’il transmet à ses voisins, provoquant parfois une explosion de panique. Ce dispositif craintif a un double effet : il renforce l’organicité de l’installation et incite le visiteur à modifier son comportement vis-à-vis de son environnement. ◼
Portrait de Jean-Luc Hervé
© photo : Q. Chevrier / Ircam
Programmation
Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam)