Skip to main content
Plan du panopticon et pilule contraceptive

Parlez-vous le Preciado ?

Mots-valises et collages verbaux sont autant d'éléments de langage que le philosophe Paul B. Preciado affectionne pour évoquer un monde en transition et ses nœuds de complexités. Invité exceptionnel du Centre Pompidou cette saison, il s'attache à inventer des concepts et à importer dans la pensée de nouveaux termes. Décryptage.

± 5 min

Nécropolitique, adj. et n. f. : Paul B. Preciado utilise souvent ce concept inventé par le théoricien du postcolonialisme, politologue et historien camerounais Achille Mbembe. Celui-ci formule l’hypothèse que l’expression ultime de la souveraineté réside dans le pouvoir social et politique de décider qui pourra vivre et qui doit mourir. Des systèmes ou des programmes politiques ont explicité plus que d’autres leur dimension nécropolitique, comme l’esclavagisme ou le régime nazi. Établissant un lien entre le féminisme et la critique anticoloniale, Preciado affirme que la souveraineté masculine patriarco-coloniale est caractérisée par sa définition nécropolitique : son usage des techniques de mort et de la violence, légitimé par l’ensemble des institutions qui vont de la famille hétérosexuelle à l’État.

 

Pharmacopornographique, adj. : L’apparition de la pilule, le traitement de la dépression par des médicaments comme le Prozac, la chirurgie esthétique, l’usage du Viagra, la diffusion des représentations sexuelles à grande vitesse et grande échelle à travers Internet… sont autant de symptômes de « l’ère pharmacopornographique » dans laquelle nous vivons depuis les années 1960. Paul B. Preciado désigne ainsi l’apparition d’un nouveau régime économique et social, post-industriel et global, dans lequel le sexe, la sexualité et le corps deviennent l’enjeu principal de l’activité politique et économique. Ce terme prend la suite du mot « biopolitique » proposé par Michel Foucault et désignant les systèmes de contrôle social du corps des individus. Il nomme des nouvelles formes de contrôle biochimiques et numériques ultraconnectés qui participent à la transformation contemporaine des processus de subjectivation.

 

Queer, adj. : Queer est un mot anglais signifiant « étrange », « sale pédé », « sale gouine » ou « tordu », il est utilisé pour désigner l’ensemble des minorités sexuelles et de genres. Le vocable queer, qui convoque l’extravagance ou le hors-norme, a longtemps été une injure homophobe, avant qu’à la fin des années 1980 les militant(es) américain(e)s et les théoriciennes comme Teresa de Lauretis et Judith Butler ne s’approprient ce terme pour critiquer les politiques de normalisation des mouvements LGBT qui prônent comme seuls objectifs l’intégration dans la société hétérosexuelle à travers le mariage et l’adoption.

 

Somathèque, n. f. : Parce que le terme de « corps », trop médical, ne lui semble pas convenir pour désigner la façon dont nous vivons nos corps et la manière dont ils s’articulent avec notre psychisme, Paul B. Preciado propose l’idée de somathèque : nos corps sont des somathèques, c’est-à-dire une collection de postures, de gestes, de looks, d’images (venues du cinéma, de la publicité ou des arts), déterminés par le contexte social, ou adoptés par opposition. Le musée, classique ou moderne, est aussi une somathèque, qui propose tout un catalogue de corps possibles, canoniques ou hors-norme…

 

Transféminisme, n. m. : Paul B. Preciado s’intéresse beaucoup à la pensée et à l’histoire du transféminisme, terme apparu aux États-Unis au milieu des années 1990 pour désigner un mouvement de revendication des femmes trans qui envisagent leur émancipation comme devant être celle de toutes les femmes, et au-delà. Chez Preciado, le transféminisme nomme un projet politique transversal, non-essentialiste, un féminisme radicalement élargi, planétaire, vitaliste, anticolonial et écologique.


Transition, n. f. : Paul B. Preciado s’efforce de penser en profondeur la grande transition que nous vivons actuellement, une modification collective qu’il vit aussi dans son propre corps. En analysant aussi bien la mutation du capitalisme, la technification des pratiques reproductives, le bouleversement numérique, la transition des États-nations vers d’autres paradigmes politiques, les transformations liées au réchauffement climatique, le déplacement du monde occidental par le regard post-colonial… Dans ce changement profond, le philosophe accorde une part essentielle à la transformation des corps, des genres et des sexualités au contact notamment de nouvelles technologies. Chez Preciado, suivant Bergson et Deleuze, la « transition » devient une notion philosophique pour penser une ontologie politique non-essentialiste de la multiplicité du vivant. ◼