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Will Oldham: « Kelly Reichardt et moi partageons la même esthétique. »

Musicien culte de la scène folk américaine sous l'alias Bonnie « Prince » Billy, Will Oldham fait aussi l'acteur à ses heures perdues chez Kelly Reichardt —  dans Old Joy en 2007, puis Wendy and Lucy en 2008, film pour lequel il signa aussi la bande originale. À l'occasion de l'exceptionnelle rétrospective consacrée à la cinéaste au Centre Pompidou, il revient sur un compagnonnage artistique fécond.

± 5 min

Icône de la scène folk alternative américaine des années 1990, Will Oldham ne pouvait qu’un jour croiser la route de Kelly Reichardt. Ce qu’il fit dès 1999 en signant la bande originale de son moyen métrage Ode (avec Yo La Tengo, autre figure incontournable du rock indé). Adepte des orchestrations minimalistes, voire lo-fi (par opposition à hi-fi) à ses débuts sous le pseudo Palace, Oldham compose et joue une musique à la fois éminemment personnelle et fortement ancrée dans la tradition américaine. En cela, le cinéma de Reichardt pourrait en être le pendant visuel idéal. Comme en écho à ses velléités de grand écran à la fin des années 1980 (performance remarquée dans Matewan de John Sayles avant de se lancer corps et âme dans la musique), Oldham a refait l’acteur pour Reichardt en endossant le rôle de Kurt, l’un des deux personnages principaux d'Old Joy en 2007. Un film bucolique, à contre-courant des modes comme peut l’être une chanson de Bonnie « Prince » Billy, autre pseudonyme de ce musicien attaché à son Kentucky natal — comme Reichardt l’est à l’Oregon. Deux ans plus tard, les deux artistes croisent une dernière fois leurs chemins, cette fois autour de Wendy et Lucy, film pivot dans l’œuvre de Reichardt, dont Oldham compose la musique douce et obsédante, et dans lequel il interprète un petit rôle — acéré et tout aussi obsédant. D’ordinaire plutôt avare en interviews, Will Oldham a volontiers accepté de se livrer à nous quand on lui a expliqué qu’il s’agissait d’évoquer son travail avec Kelly Reichardt et le regard qu’il porte sur son univers. Rencontre.

Comment avez-vous rencontré Kelly Reichardt ?

Will Oldham — C'est le musicien Alan Licht qui nous a présentés, je crois bien que c'était lors d'un dîner, dans un restaurant de Chinatown. Todd Haynes était là aussi, je ne me souviens plus vraiment. Kelly m'a demandé de composer la musique d'Ode en 1999. À cette époque, je vivais dans le Kentucky, à la campagne. Notre première collaboration s'est donc faite à distance. Je n'arrive pas à me souvenir si notre première rencontre physique a eu lieu avant ou après…

 

Vous sentez-vous proche de l'univers de Kelly Reichardt ?

Nous partageons la même logique cinématographique et la même esthétique. Peut-être avons-nous en commun de travailler avec ce qui est à notre portée, tout en conservant notre propre processus de fabrication, notre flexibilité... Et nos limites aussi. 

 

Parlez-nous de votre collaboration sur Old Joy...

Au départ, j'ai aidé Kelly à trouver des lieux pour le tournage, en Caroline du Nord. Elle voulait aussi tourner à New York, car elle y connaissait pas mal de monde dans le milieu du cinéma. Elle connaissait mon goût pour les baignades en pleine nature, et elle avait besoin de trouver des sources chaudes pour son film… Elle s'est finalement rendu compte que le film ne pouvait pas être tourné ailleurs qu'en Oregon. Au fil de nos discussions, elle a fini par me demander si je pouvais jouer le personnage de Mark, et l'aider à trouver quelqu'un pour jouer celui de Kurt. Les mois ont passé, et aucun Kurt n'est apparu… Elle m'a alors demandé si je voulais bien jouer Kurt, car elle avait trouvé son Mark ! Le personnage de Kurt aime à penser qu'il sait ce qu'il fait, mais c'est faux. Il croit, et c'est un trait de la jeunesse, qu'il peut mener sa vie grâce à une notion toute personnelle de la justice. Il se trompe évidemment, mais comme il se trouve souvent conforté dans ses croyances, il n'arrive jamais à comprendre que la vie ne peut être vécue que si l'on collabore avec les autres. Je connais beaucoup de gens qui sont comme lui. Les artistes en particulier ont tendance à vivre comme des enfants.

 

Au fil de nos discussions, elle a fini par me demander si je pouvais jouer le personnage de Mark, et l'aider à trouver quelqu'un pour jouer celui de Kurt. Les mois ont passé, et aucun Kurt n'est apparu… Elle m'a alors demandé si je voulais bien jouer Kurt, car elle avait trouvé son Mark !

Will Oldham

 

Old Joy est un film parfait pour vous ? Mélancolique, existentiel et buccolique… Un peu comme une chanson de Bonnie « Prince » Billie, non ?

Le rôle était parfait pour moi. Non seulement le personnage de Kurt était à ma portée, mais participer à un tournage aussi modeste et ramassé dans le temps que celui-là, où les règles sont celles que l'on se donne, c'est vraiment l'idéal. Ce que j'aime dans le boulot d'acteur, c'est le fait de lâcher toute responsabilité, de se laisser aller aux idées des cinéastes, de laisser mon cerveau productif se reposer et devenir pleinement une ressource.

 

Dans Wendy et Lucy, vous avez un petit rôle, mais qui est très marquant, comment s'est passé cette collaboration ?

On s'est tellement amusé sur Old Joy que Kelly m'a demandé de rejoindre la production de Wendy et Lucy. Je n'étais pas sûr de moi pour le rôle, j'ai fini par dire non... Puis Michelle Williams (l'actrice principale du film, ndlr) m'a écrit pour me dire qu'elle avait envie de bosser avec moi… Cette nouvelle dynamique de travail m'a enthousiasmé, j'ai donc accepté. Le film, même s'il restait une petite production, n'avait rien à voir en termes d'échelle avec Old Joy… Finalement, j'ai trouvé l'expérience moins épanouissante. L'équipe était beaucoup plus étoffée, la communication moins directe.

Avant d'être musicien, votre premier métier est celui d'acteur. Peut-on dire que Kelly Reichardt vous a réconcilié avec votre vocation initiale ?

Je lui suis en effet très reconnaissant de m'avoir permis ce petit revival de carrière… Je n'apparais que très rarement au cinéma, mais avec Old Joy, certains réalisateurs ont pu voir de quoi j'étais capable, voire que j'existais ! Globalement, le cinéma ne m'intéresse pas beaucoup… à quelques extraordinaires exceptions près, comme Matewan (de John Sayles, 1987, ndlr), Old Joy ou A Ghost Story (de David Lowery, 2017, ndlr). Des films géniaux auxquels j'ai eu la chance de participer.

 

Je n'apparaîs que très rarement au cinéma, mais avec Old Joy, certains réalisateurs ont pu voir de quoi j'étais capable, voire même que j'existais !

Will Oldham

 

Quelle est pour vous la place de Kelly Reichardt dans le cinéma indépendant ? On vous sait proche d'Harmony Korine…

De nos jours, on s'aperçoit que les notions de cinéma et d'indépendance changent de manière drastique. Je ne suis pas sûr que le public soit autant investi qu'avant dans l'idée du cinéma — qu'il soit indépendant ou non. Le cinéma reste une niche, concurrencé par la télévision, les jeux vidéo, et tout un tas de contenus. Nous sommes en train de vivre une nouvelle fois la « mort du cinéma », et il va falloir attendre un moment avant de comprendre ce qui est vraiment intéressant pour un public plus large, qui va au-delà d'un petit groupe de gens. D'un certain point de vue, le travail d'Harmony Korine ou de Kelly Reichardt ressemble à la pièce manquante du puzzle que serait la recherche cinématographique. L'affirmation douce et subtile d'idées et d'actions que le monde a explorées, presque jusqu'à l'épuisement. 

 

Vous avez signé la bande originale d'Ode et de Wendy et Lucy... Le cinéma de Reichardt, minimaliste et comptemplatif, est-il intéressant en tant que musicien ?

Complètement. Kelly m'a fait entièrement confiance pour la musique, ce fut une collaboration idéale. Elle m'a raconté ses idées de scénario, et ensuite c'était à moi d'être à la hauteur de ses attentes. J'adore l'idée de créer pour un public qui ne serait composé que d'une seule personne… Quand je travaille, je crée toujours pour un public à la fois vague et lointain, en imaginant ceux qui écouteront ma musique. Là, j'avais le privilège de devoir garder en tête uniquement les besoins d'une cinéaste, je devais concevoir mon travail en fonction de ce que je percevais du monde qu'elle voulait mettre en avant. ◼