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Öyvind Fahlström

Green Power (Le Pouvoir des Verts), 1969

Pouvoir de l’ironie

De quel « Green Power » s’agit-il face à cette luxuriante végétation en plastique ? On ne peut échapper à un certain sentiment d’ironie lorsqu’on la regarde de plus près.

Dissimulés dans un grand feuillage vert fixé sur un filet, on découvre des fruits, des animaux exotiques et des figurines peintes sur du métal. La composition est truffée de références personnelles et historiques ayant marqué la vie d’Öyvind Fahlström. Les papillons sont des Morfos originaires du Brésil, pays natal de l’artiste et dans lequel il passe les dix premières années de sa vie.

Également imprégné de la culture populaire américaine puisqu’il y vit depuis 1961, il est aussi témoin de la violence du capitalisme des années 60. Ainsi introduit-il au centre de cette fausse jungle, le personnage de Jack Eckert le bienheureux, figure célèbre du cirque au début du 20e siècle et emblème de l’impérialisme américain, derrière lequel flotte également la bannière B.O.P.E., communauté religieuse blanche, raciste et bien implantée en Amérique latine. Fahlström le représente assis sur une panthère rouge, écrasant le mouvement des Black Panthers infiltré par le communisme. Une figure inspiratrice de ce mouvement apparaît à gauche sous les traits de Malcom X aux côtés de Sheik Ahmed Hassoun, son maitre spirituel soudanais soufi qui fera sa toilette mortuaire après son assassinat en 1965. Plus bas à gauche, l’image de l’exécution d’Eli Cohen, juif égyptien, et espion israélien, pendu à Damas en 1965. 

En phase avec son temps, Fahlström utilise des images de presse à l’instar des artistes Pop en les colorant de teintes vives, les personnages deviennent alors des figures de bande dessinée perdues dans ce monde dérisoire.

Dans cette nature artificielle prolifèrent des bananes portant la marque de la célèbre United Fruit, symbole de l’impérialisme américain et des républiques bananières d’Amérique centrale infiltrées par la CIA. Fahlström dénonce le pouvoir dévastateur de cette multinationale, soutien aux dictatures et responsable d’un désastre écologique dans cette région du monde. 
Perdus dans ce paradis tropical, personnages, fruits et animaux exotiques, ne font que dénoncer le déséquilibre de l’ordre mondial : celui des pays riches qui exploitent les pays pauvres. Le titre souligne parodiquement la position ambiguë de la politique vis-à-vis du « pouvoir vert » qui en est à son balbutiement en 1969, et est engloutie par le capitalisme comme dans cette verdure luxuriante.
Green Power est une œuvre critique à caractère politique et, comme le souligne Sharon Avery-Fahlström dans le catalogue de l’exposition Öyvind Fahlström – Another Space for Painting au Musée d’art contemporain de Barcelone en 2000, elle est l’œuvre d’un artiste brésilien, vivant à New York , muni d’un passeport suédois. 

 

Poète et polyglotte

Fils unique d’un père norvégien et d’une mère suédoise, Öyvind Fahlström grandit au Brésil puis en Suède où il étudie l’histoire de l’art et l’archéologie à l’université de Stockholm. Il exerce parallèlement le métier de journaliste. D’abord influencé par le surréalisme, Fahlström recherche une pratique artistique variée telle que la peinture, le cinéma documentaire, la performance, le théâtre, la poésie. À ce titre il publie un manifeste pour une poésie concrète en 1953. Comme le décrit Robert Rauschenberg, l'artiste précurseur du Pop Art américain et ami de l’artiste, Öyvind Fahlström est chez lui partout : polyglotte, cherchant sans cesse à comprendre le monde dans lequel il vit, il en possède une vision élargie.

Après un séjour à Paris entre 1957 et 1959, il s’installe à New York grâce à une bourse. Il y fréquente les artistes du Pop Art comme Rauschenberg, ou encore Claes Oldenburg avec lequel il réalise des performances. S'il est influencé par la culture de masse comme la bande dessinée, il conserve toutefois son esthétique poétique et ne cesse de s’inspirer de l’actualité contemporaine.

 

Œuvre variable pour monde changeant

En 1962, Fahlström invente des « œuvres variables », un art participatif avant l’heure, en glissant des éléments mobiles aimantés ou épinglés, qui se positionnent dans l’espace du tableau au gré du spectateur. En introduisant ainsi un élément ludique et parodique, il recherche ce qu'il définit comme « la possibilité d'enfreindre la rigidité » du réel
Artiste engagé contre la guerre du Vietnam et en faveur des mouvements radicaux américains, il dénonce les désordres du monde : rapport de force Ouest/Est, coup d’état au Chili, férocité des mécanismes politiques et financiers de la société américaine, sous la forme de tableaux-jeux, sorte de Monopoly revisités.

L’esprit fondateur de l’art de Fahlström relie une pratique artistique qui se veut accessible à tous et les commentaires critiques de la réalité politique de son époque, même si parfois l’artiste en doute : « Je regrette mon incapacité à élucider ce que sont la vie, le monde, dans ce capharnaüm de la propagande, des communications, de la langue et de l’époque. » 


Öyvind Fahlström en 7 dates

1928  Naissance au Brésil d’un père norvégien et d’une mère suédoise. Éducation anglaise et portugaise
1949-1952  Études d’histoire de l’art et d’archéologie, de journalisme à Stockholm
1953  Publication de Manifeste pour une poésie concrète
1961  Installation à New York et rencontre avec Rauschenberg et Oldenburg. Réalisation de documentaires et happenings avec Oldenburg
1962  Participation à l’exposition des nouveaux réalistes à la Galerie Janis à New York
1962-1964  Retour en Suède. Happenings au Moderna Museet de Stockholm
1979  Décès à Stockholm 


Pour aller plus loin

Öyvind Fahlström, Kisses – Extrait 1

Extrait de la performance théâtrale Kisses Sweeter than Wine de Öyvind Fahlström, dans le cadre du festival « Théâtre et Nouveaux médias » organisé par Robert Rauschenberg et Billy Klüver les 21 et 22 octobre 1966 à New York

Avec une diction parfaite, Fahlström propose une critique aussi radicale qu’extravagante de l’idéologie du bonheur défendue par la société américaine. La technologie des ingénieurs de Bell est ici mise au service d’une machine de scène explosive dont l’artiste est le Monsieur Loyal.

Durée : 2'20

En anglais, sous-titré en français


Oyvind Fahlstrom, Kisses – Extrait 2
Robert Rauschenberg parle de Öyvind Fahlström

Durée : 2'32

En suédois et anglais, sous-titré en français


Dans la collection du Musée national d'art moderne :

Œuvres de Öyvind Fahlström