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Radu Jude, cinéaste intranquille

Pour inaugurer la programmation cinéma au mk2 Bibliothèque, qui court le temps de la rénovation de son bâtiment historique, le Centre Pompidou invite Radu Jude à une rétrospective intégrale de son travail. Ouverte et clôturée par ses deux nouveaux longs métrages*, Kontinental ‘25 (Ours d’argent du meilleur scénario à la Berlinale 2025) en avant-première et Dracula en première française, la rétrospective présente les vingt-huit films réalisés sur vingt ans du bouillonnant réalisateur roumain, ainsi qu’une programmation en écho à son travail. Présentation.

± 4 min

L’œuvre de Radu Jude (né en 1977 à Bucarest) est, à bien des égards, le secret le mieux gardé de la cinéphilie contemporaine. Si sa profusion et son amplitude ne sont parvenues en France qu’en petite partie, dans le sillage de l’Ours d’or attribué en 2021 à Bad Luck Banging or Loony Porn, cette filmographie construite à une vitesse ébouriffante traverse tous les territoires avec une grande fluidité formelle. Bousculant le cinéma en le confrontant aux impasses mémorielles et aux aberrations actuelles, le cinéaste le porte, avec la vigueur de la farce, à son plus haut degré d'intranquillité — s’imposant ainsi comme l’une des voix les plus stimulantes du cinéma mondial.

 

Bousculant le cinéma en le confrontant aux impasses mémorielles et aux aberrations actuelles, le cinéaste le porte, avec la vigueur de la farce, à son plus haut degré d'intranquillité — s’imposant ainsi comme l’une des voix les plus stimulantes du cinéma mondial.

 

Radu Jude filme l’Europe depuis la Roumanie post-communiste et met cette dernière au centre de son travail grâce à un regard décapant, libre de toute allégeance et de toute bienséance. Aussi singulière qu’elle soit, son œuvre échappe à la définition tant elle est à la fois d’une immense fureur politique, d’une culture encyclopédique, d’une implacable précision historique et dialectique mais aussi d’une grande drôlerie, toujours impertinente et farcesque — Radu Jude reprenant à son compte la célèbre formule de Karl Marx selon laquelle l’histoire se répète toujours « la première fois comme une grande tragédie, la seconde fois comme une farce sordide ».

La clé, peut-être, pour appréhender cette œuvre plurielle et fascinante est à chercher dans l’articulation de la colère intacte et palpable du cinéaste à son refus de tout cynisme, de toute paresse intellectuelle manichéenne comme de toute complaisance compassionnelle. Parce qu’il tient en haute estime le cinéma et ses spectateurs, il choisit plutôt de les confronter, avec un sérieux humour corrosif, à l’Histoire de l’Europe et à la mauvaise farce que joue un passé mal digéré — notamment dans ses documentaires et fictions sur le génocide des Juifs par le pouvoir roumain pendant la Seconde Guerre mondiale, dont le remarquable Peu m’importe si l’Histoire nous considère comme des Barbares en 2018. C’est enfin avec la même curiosité et la même lucidité qu’il embrasse à la fois le contemporain et sa violence : l’exploitation au travail, l’indécente indifférence pour la souffrance d’autrui, les réseaux sociaux ou encore le monde de la publicité.

 

Dans un carton initial de Caricaturana, un court métrage réalisé en 2021, Radu Jude cite Baudelaire à propos du caricaturiste Honoré Daumier, dans un quatrain qui pourrait aussi bien servir de portrait du cinéaste :

 

« C’est un satirique, un moqueur ;
Mais l’énergie avec laquelle
Il peint le Mal et sa séquelle,
Prouve la beauté de son cœur. » ◼