L’Homme d’Aran

Nous avons si bien pris l’habitude que toute existence nous soit racontée sous la forme d’un récit où les épisodes s’enchaînent, que cela nous paraît la seule manière raisonnable d’envisager le monde dans lequel nous vivons. Si le réel est bien construit comme une fiction, ainsi que nous semblons le croire, alors il faut sans hésiter le reconstruire de toutes pièces pour qu’il puisse enfin ressembler à ce qu’il est. C’est un mythe, bien entendu, mais ainsi procède Robert Flaherty dans ce film où il raconte, en leur faisant jouer leur propre rôle, la vie de quelques pêcheurs au large de l’Irlande. Ici tout est fabriqué pour que les choses soient conformes à la réalité. Pourtant, dans le lyrisme éblouissant dont le cinéaste fait preuve, quelque chose échappe complètement à la nécessité du récit : son œil. Le réel est décevant s’il n’est pas raconté, admettons – mais il ne l’est plus du tout lorsqu’il est contemplé.