Cine/Video
Alain Cavalier, Ross McElwee : auto-portraits
9 ene - 9 mar 2019

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Filmer à la première personne, c’est imaginer un espace commun pour la vie et les films. Cette démarche consiste nécessairement en une mise en forme – en scène, en récit – resserrée, fantasmée et romancée de l’espace et du temps d’une vie. Passée au filtre des moyens du cinéma, la veine autobiographique condense l’existence : un dialogue entre soi et le monde, une manière d’éprouver le passage du temps, une façon d’être - sociale, familiale, professionnelle, sentimentale, amicale... Ces films font résonner la vie, dans ses états les plus contradictoires, n’hésitant pas à dévisager sa part tragique. Avec la pratique autobiographique, les cinéastes réalisent l’archive de leur existence, captent le fugace, sauvegardent ce qui est voué à disparaître.
Les œuvres d’Alain Cavalier et de Ross McElwee se déploient avec une acuité toute particulière à la croisée de ces aspirations et dialoguent ainsi naturellement, et ce jusque dans les voix de ces deux conteurs et filmeurs. Chacun y manie un humour et une dérision défiant la gravité des choses, la distance flegmatique et la fausse naïveté de Ross McElwee, la spiritualité joyeuse et joueuse d’Alain Cavalier. Alain Cavalier caractérise sa pratique autobiographique - son journal - comme un double mouvement, à la fois intérieur, tourné vers lui, et extérieur, dirigé vers le monde. Cette tension exprime combien ces films nous regardent et aussi pourquoi l’autobiographie n’est pas seulement un art de l’autoportrait, mais également du portrait. Ces deux «auto-portraitistes» se rejoignent ainsi par la pratique du portrait cinématographique, qui est aussi un art de la rencontre. Alain Cavalier y a consacré un important pan de son œuvre, Ross McElwee s’y adonne avant tout en les intégrant à ses films autobiographiques. Le choix de mêler dans ce cycle portraits et films à la première personne permet d’explorer comment on se raconte aussi à travers autrui, comment on est nourri de la rencontre, moteur essentiel de la démarche documentaire.
Cette convergence entre les cinéastes posée, il est frappant de voir combien l’un et l’autre incarnent deux cultures cinématographiques, l’une nettement française (d’un authentique américanophile), l’autre franchement américaine (d’un francophile avéré). Ross McElwee s’est rapidement placé dans la tradition américaine du cinéma à la première personne des années 1960 et 1970 - notamment sous l’influence d’Ed Pincus, l’auteur de Diaries : 1971-1976 (Journaux, 1981), qui fut son professeur à Harvard. La trajectoire d’Alain Cavalier débute par un cinéma de fiction avec des acteurs prestigieux, des équipes pléthoriques sur les plateaux, des moyens techniques foisonnants. À partir des années 1970, il amorce une pratique plus artisanale, qu’il approfondit en s’emparant de la vidéo, de caméras toujours plus petites, avec lesquelles il fait corps et regard.
Alain Cavalier pratique dans cette économie un « cinéma de chambre » où le prosaïsme des petits riens est, par le truchement de son art, transcendé en une matière à la fois méditative et poétique. En plus du portraitiste, il est à situer dans la tradition picturale de la nature morte, saisissant objets, fruits et bestiaires en gros plans, dans des compositions animées par sa voix. Il s’agit d’un cinéma fondamentalement intimiste, dont le territoire même est constitué d’espaces réduits, confinés, domestiques : appartements, chambres, lits.
L’œuvre de Ross McElwee est aussi intime, mais sans doute moins intimiste. Comme tous les grands cinéastes étasuniens, il s’agit d’un formidable portraitiste de son pays : ses habitants et ses espaces, son présent et sa mémoire, ses lieux et son Histoire. L’horizon de ses films est aventureux, épique, et sa persona ne cesse d’intégrer un récit - historique, cinématographique - bien plus grand que lui. Et à l’image des plus fameux romanciers américains, il accomplit cela à partir d’une terre d’élection; la sienne est la Caroline du nord, État du Sud où reposent encore les atavismes de la ségrégation, de la Guerre de sécession, de la religiosité. Entre Nord progressiste (le Massachusetts, où il s’est installé depuis qu’il a entamé ses études) et Sud conservateur (la terre de ses ancêtres), le personnage de cinéma Ross McElwee se tient sur cette brèche, ses films sont aussi des voyages à travers les fractures et les possibles américains.
Arnaud Hée, programmateur du cycle
Dónde
Cinéma 2
Petite salle
Cinéma 1
Quando
9 ene - 9 mar 2019