Tony Garnier, 1869-1948

Cette exposition est consacrée à l’architecte français Tony Garnier, qui, plus qu’aucun autre architecte de son temps, marque la rupture avec l’architecture de l’Ecole des Beaux-Arts. Si aucun dictionnaire n’omet de le citer, si Le Corbusier le tenait pour un pionnier, s’il est considéré par d’autres comme un précurseur, l’œuvre de Tony Garnier comporte des mystères. Au terme d’une véritable « enquête policière », le Cci organise la première rétrospective consacrée à l’ensemble de l’œuvre de l’architecte lyonnais. Les trois cents documents originaux (aquarelles, dessins, photographies, objets divers) et les treize maquettes (dont six de La Cité industrielle et de quatre villas réalisées à cette occasion) qui sont rassemblés pour la première fois, modifient en profondeur notre vision de Tony Garnier.

Pour ce faire, deux démarches ont été suivies : chronologique et thématique. Le parcours de l’exposition qui synthétise les périodes fortes est au croisement de ces deux démarches.

Paris-Rome (1892-1904)

Après une scolarité aux Beaux-Arts de Paris, Tony Garnier obtient le Prix de Rome en 1899. Pensionnaire à la Villa Médicis de 1900 à 1904, Tony Garnier se fait réprimander par l’Institut pour la médiocrité de ses premiers envois. Un commentaire, qu’il joint à ses planches, est jugé par trop contestataire et lui vaut de ne pas voir ses œuvres exposées à Paris.

Avec le Relevé de Tusculum (1903), puis son projet de « restauration » (1904), il regagne les faveurs des membres de l’Institut. Tony Garnier adresse, en envoi complémentaire, un plan de Cité Industrielle, ville nouvelle imaginaire inspirée par Emile Zola, projet auquel il travaille depuis 1899.

Cette Cité Industrielle réunit et invente l’ensemble des traits essentiels de l’urbanisme moderne : la séparation des fonctions, la dissociation des trafics, la conception « d’unités de voisinage » autour des écoles, l’abandon de la rue et de la cour au profit du logement et la prise en compte des règles d’hygiène. Tony Garnier pense la ville comme une usine, comme la circulation et la transformation de produits, tout en restant marqué par une représentation de la ville comme totalité définissable (ne serait-ce que dans une perspective ou une élévation) à la manière des villes du City Beautiful.

Eclectisme et régionalisme (1904-1924)

De retour de Rome, Tony Garnier est confronté au problème de la commande. Ses tous premiers travaux demeurent cependant modestes : projet de villas pour lotissement luxueux, interventions ponctuelles pour les Hospices civils de Lyon, Ecole municipale de tissage et Vacherie modèle du Parc de la Tête d’Or. Les formes sont traditionnelles, notamment celles des toitures, les références stylistiques, classiques ou italianisantes, affirmées et les éléments de décor abondamment présents.

Ville actuelle, cité nouvelle (1905-1936)

Pour avoir projeté le plan d’une Cité Industrielle, Tony Garnier est entré de plain-pied dans l’histoire de l’urbanisme, précurseur pour les uns, utopiste pour les autres. Sa ville nouvelle associe hygiène et rationalité. Les fonctions de la ville sont séparées : au centre, les bâtiments administratifs ; tout près, les installations sportives et éducatives ; le long de l’axe principal, les quartiers d’habitation où les maisons individuelles entourées de verdure sont regroupées en unité de voisinage ; en contrebas, les usines ; au loin, protégés par la nature, les services sanitaires.

Ce projet, Tony Garnier n’aura pas l’occasion de le mettre en pratique.

En 1908, un projet de quartier industriel de tissage de la soie, Cité industrielle en réduction, avorte.

Mais Garnier saisit là la possibilité d’introduire l’architecture qu’il vient de mettre au point pour les abattoirs de Lyon et pour sa villa.

Dans ses projets de transformation de l’Hôtel-Dieu à Lyon, il propose des percements de voies haussmanniens. Quand il conçoit la Bourse du travail de Lyon ou le Monument aux Morts de la Croix-Rousse, il fait plus que les intégrer, dans le site, il leur assigne un rôle structurant, créant places et rues nouvelles.

Seule réalisation à l’échelle de sa Cité, le quartier des Etats-Unis n’offre qu’une vision partielle et lointaine du projet fondateur ; ne demeure que la fonction résidentielle et, foncier oblige, les immeubles prennent alors le pas sur les villas.

Moderne-Antique (1909-1932)

« L’architecture antique fut une erreur. La vérité seule est belle à dire ». Cette phrase, inscrite par Tony Garnier sur son « envoi de Rome » de 1ère année, a égaré bien des commentateurs qui l’ont prise pour argent comptant. Toute une partie de son œuvre témoigne, au contraire, de l’admiration qu’il avait pour l’Antiquité. Il s’y réfère dans les villas qu’il réalise comme dans celles qui demeureront sur papier. Sa réalisation du stade de Gerland en est l’autre illustration majeure.

Les grands projets (1906-1936)

Si Tony Garnier s’est inspiré de l’usine (séparation des fonctions, dissociation des trafics) pour concevoir sa Cité, il a pu, compte-tenu de leur échelle, traiter en retour les grands équipements municipaux comme de véritables morceaux de ville.

Dans les abattoirs et le marché aux bestiaux de La Mouche à Lyon (1906-1928), la multiplication des bâtiments suivant leur affectation, la résolution de la question des circulations-bétail, viande, déchet, aussi que véhicules ou personnel-en font une véritable cité.

Ce savoir-faire d’organisateur, Garnier saura l’appliquer également en 1910, à la conception de l’hôpital de Grange-Blanche à Lyon. Avec les abattoirs de la Mouche, Garnier fonde son architecture de béton ; avec l’hôpital de Grange-Blanche, il l’enrichit des détails que le caractère industriel des premiers avait limité.

Le retour au Classique (1919-1936)

Dessinés dans les années 20 et réalisés dans la décade suivante, les projets de Tony Garnier marquent une rupture avec l’architecture moderne qui était la sienne jusqu’à la guerre.

L’Hôtel de ville de Boulogne-Billancourt est l’un des très rares édifices, et de loin le plus important, que Tony Garnier aie construit hors de sa ville. Mais à Lyon même, deux autres constructions présentent d’indéniables traits communs : Le Central téléphonique Moncey et l’Ecole municipale de tissage. Toutes ces œuvres semblent s’inscrire sans difficulté dans le mouvement dit de retour à l’ordre ou de renouveau du classicisme.

Pilastres, corniches, dénotent un retour à l’ordre qui, vient plus qu’annonçant les heures sombres du fascisme et du nazisme, sont la conséquence immédiate du choc intellectuel qu’a provoqué le premier conflit mondial.

La cité céleste (1918-1940)

Entre 1918 et 1935, Tony Garnier commémore sans perdre sa capacité d’invention, mais elle n’est plus tournée vers des questions « modernes ». Il vient de faire l’expérience de l’effondrement d’un monde sous la guerre et l’esprit responsable n’a pas à manier des projets progressistes.

En ces années, le tombeau devient pour l’architecte le modèle de l’habitation. La Cité Céleste n’a pas de localisation, hormis une Méditerranéité évidente. Elle est d’un étrange classicisme, épais et vernaculaire, égyptien, assyrien à toits plats, souvent construite autour de patios et dénuée d’ornements. C’est cette architecture qu’il développera dans la construction de ses villas. Le béton et la Méditerranée sont réunis. Cette Cité Céleste, qu’esquisse Garnier est encore présente dans les remparts et promenades.

Lorsqu’il redessine un barrage en 1921, il va, explicitement cette fois, revenir à une architecture délibérément antique.

Ce document est à rapprocher de celui de 1917 : à la Cité Industrielle, Garnier a substitué la cité des morts.

L’après-guerre met en avant la mort et le souvenir.

L’enseignement

En 1906, Tony Garnier participe à la création de l’Ecole Régionale d’Architecture de Lyon.

Il y est chargé du cours de construction, qu’il n’assure que rarement lui-même, préférant se faire remplacer par ses proches collaborateurs. En revanche, son enseignement est effectif à l’Atelier Huguet, à partir de 1908. Il en assure officiellement la direction de 1919 à 1935. Cet atelier Tony Garnier est considéré, avec celui d’Auguste Perret, comme l’un des deux ateliers « modernes » de France.

Son enseignement, cependant, ne reflète pas les éléments théoriques innovants qu’il avance dans La Cité Industrielle. Les sujets proposés sont des plus traditionnels. Selon les témoignages, Tony Garnier n’impose rien, corrige tout ce qui lui est soumis et s’intéresse à toute idée, aussi insolite ou maladroite soit-elle. Novateur ou révolutionnaire dans sa pratique, Tony Garnier se pliera, pour son enseignement, au conformisme du moule scolaire des Beaux-Arts.

Cet académisme apparent provoque une dissidence parmi ses élèves, dont certains vont chercher, à l’atelier Saint-Marie-Perrin/Roux-Spitz, la « modernité », héritage théorique du patron, sans avoir l’impression de trahir leur maître.

L’œuvre libre

La formation initiale de Tony Garnier, à l’école lyonnaise de La Martinière, est celle d’un dessinateur et d’un peintre. Cet apprentissage conduit à une maîtrise de haut niveau puisque, parallèlement à son itinéraire d’élève architecte, il produit des paysages, sous formes d’études (dessinées et peintes), très élaborées.

Certaines, d’ailleurs sont exposées au Salon de Lyon de 1905 ou au Salon des Arts Décoratifs en 1925. Si Tony Garnier écrit peu, il dessine beaucoup et constamment, comme l’établissent les témoignages. Ses proches et ses élèves se souviennent de lui se livrant chaque jour à cette activité.

L’usage privilégié qu’il fait de la perspective pour faire vivre ses grands projets architecturaux est indissociable de ses paysages urbains. De même, l’importance accordée à la végétation dans ses représentations graphiques est à rapprocher de son désir d’intégrer le végétal dans le bâti.

Première manifestation à propos de Tony Garnier depuis 20 ans, cette exposition réhabilite, en quelque sorte, l’architecte Tony Garnier, dessinateur hors pair, qui, dès le début du siècle, avait déjà inventé l’ensemble des traits qui constituent l’architecture et l’urbanisme modernes.

L’exposition Tony Garnier (1869-1948) est réalisée par la Centre de Création Industrielle en coproduction avec : La Halle Tony Garnier de Lyon ; L’association Les TETES D’OR ; La Ville de Lyon ; La Ville de Turin/Département de la culture.

Avec la participation de : le Groupe SCIC ; le Ministère de l’Equipement, du Logement, des Transports et la Mer ; et la Direction de l’Architecture et de l’Urbanisme.

D’après le communiqué de presse