
Secrets d'archi ► « L'exosquelette » métallique du Centre Pompidou
L’architecte autrichien Dietmar Feichtinger, spécialiste de la construction métallique, se rappelle avec émotion quand, en 1975, alors adolescent en visite à Paris, il passait par hasard devant le chantier du Centre Pompidou où l’on assemblait la structure : « Cela m’a fait une très forte impression. C’était un monstre – un monstre très doux – qui se dressait dans la ville. » Cet émerveillement inaugural a été l’un des éléments déclencheurs de sa vocation.
Selon Feichtinger, la qualité de la structure du bâtiment réside dans sa grande lisibilité, qui la rend compréhensible de toustes. Il insiste sur la nécessité de dépasser les clivages corporatistes : « Pour qu’un projet marche bien, il faut que l’échange soit tel qu’on ne sache plus qui est l’architecte et qui est l’ingénieur. C’est là que les choses intéressantes arrivent. Cela explique probablement le caractère exemplaire de Beaubourg. »
Derrière l'(exo)squelette du Centre Pompidou se trouve une signature éclipsée par Renzo Piano et Richard Rogers, celle de son troisième « père » : l’ingénieur irlandais Peter Rice (1935–1992).
Derrière l'(exo)squelette du Centre Pompidou se trouve une signature éclipsée par Renzo Piano et Richard Rogers, celle de son troisième « père » : l’ingénieur irlandais Peter Rice (1935–1992). Figure discrète mais essentielle, c’est lui qui assurera le suivi du chantier pour le bureau d’études Ove Arup & Partners. Lors d’un des nombreux hommages rendus après son décès, il fut qualifié de « James Joyce du génie civil » par le critique d’architecture Jonathan Glancey, rapprochant « son inventivité poétique, sa capacité à bouleverser les idées reçues et sa logique mathématique et philosophique rigoureuse » de celle du célèbre écrivain irlandais, auteur du mythique roman-fleuve Ulysse (1918).
Un « Meccano » géant
La construction du Centre Pompidou fut d’ailleurs, du point de vue structurel, une entreprise homérique : pour maintenir en place les quatorze portiques qui soutiennent les plateaux, on s’inspira des ponts construits au 19e siècle par l’ingénieur allemand Heinrich Gerber (1832–1912). On baptisa en son honneur les « gerberettes », ces rotules en acier moulé placées à la jonction des poteaux et des poutres, destinées à mieux répartir les charges en façade grâce à des tirants les liant au sol.
C’est un exemple d’une cohérence totale, qui illustre parfaitement quelques principes élémentaires de l’architecture : la traction, la compression, le rôle des poutres… Regarder le bâtiment, c’est prendre une leçon d’architecture !
Dietmar Feichtinger, architecte
Quand on fait l’inventaire de ce grand jeu de construction, ça donne le tournis : 28 poteaux de 49 mètres de haut, 84 poutres de 45 mètres de long, 168 gerberettes de 8 mètres de long. Si l’on additionne leur poids, poutres et gerberettes totalisent près de 8 000 tonnes. C’est le tour de force des concepteurs : bien qu’elle soit d’une grande complexité, la structure du musée semble presque simple et aérienne pour le passant.
Piano, Rogers et Rice trouvent ici ce point d’équilibre où la structure est autant un atout esthétique qu’une nécessité d’ingénierie. Parmi leurs nombreuses inspirations, celle des grandes cathédrales gothiques françaises fut souvent citée. Car si tout semble les opposer à première vue, on trouve dès le 12e siècle dans ce patrimoine sacré des logiques similaires : les jeux de contreforts et d’arc-boutants, par exemple, sont autant des éléments de décor qu’ils sont nécessaires à la tenue de l’édifice.
L’acier, une histoire française
Il n’y a pas que le béton dans la vie, il y a le métal aussi ! Le fer et l’acier sont très présents dans l’architecture française, avec des figures tutélaires comme l’ingénieur Gustave Eiffel, ou le designer et architecte Jean Prouvé, dont la première formation fut celle de ferronnier. Ce dernier présida le jury du concours du futur Centre Pompidou : c’est en l’apprenant que le cabinet Ove Arup & Partners décide d’y répondre, s’adjoignant bientôt les services des architectes britanniques Richard et Su Rogers, puis de l’Italien Renzo Piano, avec le succès que l’on sait.
L’idée d’un squelette métallique complexe est le premier postulat, jamais remis en question, qui guide la réponse de l’équipe lauréate. Elle est au cœur de leurs travaux respectifs de l’époque et tous admirent la qualité des volumes – halls de gare, marchés couverts, hangars – que le métal permet d’obtenir. Elle est aussi un impératif pour créer la façade animée (le mur « tridimensionnel ») qu’ils projettent alors.
Pour dissimuler le fait que les poutres venaient de la vallée de la Ruhr, elles étaient acheminées de nuit par convoi exceptionnel. Depuis un dépôt ferroviaire situé à la porte de la Chapelle, on les transportait discrètement deux par deux jusqu’au chantier, entre 3 et 5 heures du matin.
Imaginez le scandale quand l’appel d’offres pour la production d’éléments en acier fut remporté par l’entreprise allemande Krupp-Stahlbau, qui produisait les armes du troisième Reich pendant la Seconde Guerre mondiale ! L’orgueil métallurgique français était piqué au vif, s’ajoutant à une méfiance diffuse envers une équipe d’architectes et d’ingénieurs étrangers. Pour dissimuler le fait que les poutres venaient de la vallée de la Ruhr, elles étaient acheminées de nuit par convoi exceptionnel. Depuis un dépôt ferroviaire situé à la porte de la Chapelle, on les transportait discrètement deux par deux jusqu’au chantier, entre 3 et 5 heures du matin. La grande rigueur de planification et l’absence de retards de livraison permirent le montage de la structure en seulement neuf mois à partir d’octobre 1974. Ce qui, de l’avis de Renzo Piano, « n’était rien au regard de l’immensité de la tâche ».
Et demain ?
Emblématique, le squelette du Centre Pompidou entre – comme le reste du bâtiment – dans un processus de rénovation de cinq ans. Les habitués ne devraient pas le retrouver très changé à la réouverture prévue pour 2030, car si l’intérieur du Centre Pompidou est conçu pour toujours bouger et se transformer, les modifications sur sa structure métallique sont plus délicates et nécessitent un certain savoir-faire.
Emblématique, le squelette du Centre Pompidou entre – comme le reste du bâtiment – dans un processus de rénovation de cinq ans. Les habitués ne devraient pas le retrouver très changé à la réouverture prévue pour 2030.
Nicolas Moreau, architecte, fondateur de l’agence Moreau-Kusunoki, rappelle la métaphore poétique de Renzo Piano : « Il disait que la structure de Beaubourg, c’est comme un grand cheval. Si tu accroches quelque chose qui le dérange, il va se secouer pour l’enlever et ça va tomber. »
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé quand l’agence Moreau-Kusunoki a commencé à travailler sur le projet de rénovation du Centre pour 2025–2030 : « On avait prévu des gradins, on voulait créer de nouvelles connexions, et cela a été rejeté par la structure elle-même. Ces grandes gerberettes et le reste, c’est comme une énorme machine qui impose son rythme à son environnement. » ◼
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