Cine/Video
Amir Naderi et le cinéma moderne iranien
Rétrospective intégrale / Panorama
5 abr - 17 jun 2018

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Les mille vies d’Amir Naderi n’ont entamé ni la vigueur de son verbe ni la force de son regard. Personnage aussi méconnu qu’essentiel de l’histoire du cinéma mondial, le cinéaste iranien né en 1945 à Abadan poursuit une carrière entamée avec Au revoir l’ami, son premier long métrage, en 1971. Auteur à ce jour de plus de 22 films, ce cinéphile effréné, autodidacte, construit une œuvre unique, traversée par différents genres, du film noir au road-movie, et déplacée sur plusieurs pays, l’Iran bien sûr, mais aussi les Etats-Unis, le Japon ou encore l’Italie. Son film le plus connu à ce jour, Le Coureur (1985), raconte son enfance solitaire dans l’Iran d’avant la révolution.
Il sera l’un des premiers à mettre en scène un enfant, dans Harmonica et L’Attente, en 1973, pour le Kanoon, l’Institut pour le Développement Intellectuel des Jeunes et des Enfants, puis dans ses deux chefs-d’œuvre Le Coureur et L’Eau, le vent, la terre, en 1989, primés dans de nombreux festivals internationaux. Entre temps, la révolution islamique éclate en Iran, puis la guerre avec l’Irak, et Amir Naderi réalise deux films que la censure par le pouvoir en place rend invisibles depuis, les documentaires La Recherche (1 et 2), en 1980 et 1981. A la fin de cette décennie, Naderi émigre aux Etats-Unis et signe une trilogie new-yorkaise, dans la lignée du plus pur cinéma indépendant américain avant de vivre et enseigner au Japon, où il réalise Cut, en 2011.
Aux côtés d’Abbas Kiarostami, Forugh Farrokhzad, Daryush Mehrjui, Sohrab Shahid-Saless et bien d’autres encore, Amir Naderi incarne la modernité cinématographique iranienne qui voit, à l’aube des années 60, une génération d’hommes et de femmes de cinéma traduire leur engagement politique en radicalité artistique
Après Abbas Kiarostami avec qui Amir Naderi écrit le scénario d’Expérience, en 1973, et Jafar Panahi, le Centre Pompidou rend hommage à Amir Naderi, figure majeure du cinéma moderne iranien, pour la première fois en France, et donne à voir à travers plus de 20 films rares dont certains longtemps interdits, une vision de cette modernité.
La programmation du panorama est signée par Agnès Devictor, maître de conférences en Histoire du cinéma à l’Université de Paris Panthéon-Sorbonne et spécialiste de l’Iran et de son cinéma, chargée de mission du Centre Pompidou.
Lettre d'Amir Naderi à Jean-Michel Frodon, Los Angeles, le 21 octobre 2017
Mon cher Jean-Michel […] Pour t’écrire, il m’a fallu faire comme les personnages de mes films : creuser profondément, cette fois dans mon propre passé. […] ce bref essai est en fait une lettre à un ami. Je n’ai jamais connu mon père et ma mère est morte quand j’avais 5 ans, c’est pourquoi je considère que c’est le cinéma qui m’a élevé. Je l’avais dans le sang à ma naissance et il est une part essentielle de ma personne […]. J’ai grandi dans la rue, et le cinéma est devenu ma seule maison. Je ne suis jamais allé à l’école, j’ai passé mes journées dans les salles […]. J’ai fait tout ce qui était possible pour pouvoir aller au cinéma, j’ai vendu des sodas et des friandises, distribué des publicités, à l’occasion j’ai travaillé dans la cabine de projection. […]
La ville d’Abadan, où je suis né, est parmi les plus chaudes et les plus sèches du monde. Elle a été construite pour le commerce du pétrole et de l’acier, et son port est bordé d’entrepôts maritimes. J’ai grandi à côté de ces docks, dans l’odeur du pétrole, et les bateaux que je voyais ont été ma première source d’inspiration. Je suis tombé amoureux de leurs formes et de leur beauté, et j’ai fini par très bien les connaître, longtemps avant de savoir quoi que ce soit de la nature. Ma fascination s’est vite étendue aux avions, aux trains et aux voitures. […] Déjà à cette époque mon esprit ne tenait pas en place, et me poussait sans cesse en avant, vers ce qu’il y avait de nouveau à découvrir.
[…] Abadan était une ville beaucoup plus occidentalisée que le reste du pays. On croisait souvent des marchands étrangers, des marins et des ouvriers du pétrole, ceux-là même dont je cirais les chaussures pour quelques pièces de monnaie, des pièces surtout destinées à payer des tickets de cinéma ou à acheter des magazines avec des photos de bateaux ou d’avions. Mais plus que leur argent, c’est la culture que ces étrangers apportaient avec eux qui m’importait. Certains cinémas organisaient à leur intention des projections dans leur langue, et c’est à cette occasion que j’ai découvert des films que je n’ai jamais oubliés, comme Sur les quais d’Elia Kazan, Picnic de Joshua Logan ou Le Troisième Homme de Carol Reed. […] Ils ont nourri mon amour du cinéma.
Grâce à ces étrangers, j’ai aussi eu accès à une autre influence occidentale […] : la musique. Toute la journée le long des quais on pouvait entendre du jazz américain et de la musique classique européenne jaillissant des radios […]. Ces musiques ont nourri mon âme, enrichi mon esprit, m’ont empli de passion et d’inspiration. […]
C’est au sculpteur Barat Partovi qui fut le mentor de mon enfance, que je dois mon amour de la lecture. Il m’a fait connaître Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov […] qui sont rapidement devenus mes préférés, avec Jean-Jacques Rousseau dont les Confessions m’ont particulièrement influencé.
Je n’ai jamais compris pourquoi j’ai porté plus d’attention à ces influences étrangères qu’aux traditions de mon pays. Cela n’a jamais été un refus délibéré de ma culture, seulement un mouvement inconscient. […] Tout ce que je puis dire, c’est que ce sont surtout les influences occidentales qui ont construit les bases de la personne, et du cinéaste, que je suis aujourd’hui.
En grandissant, j’ai trouvé du travail dans des boutiques de photographes, auprès de qui j’ai découvert la magie de prendre et de développer des photos. J’ai acheté un petit appareil et je me suis mis à faire mes propres images. C’est avec cet appareil que j’ai commencé à explorer la nature de l’image et qu’a débuté le long processus d’élaboration de mon regard de cinéaste.
Ma passion pour le cinéma m’a permis de me lier à de nombreux grands critiques, écrivains et artistes. […] À cette époque j’ai aussi collaboré à la seule bonne revue de cinéma qui existait en Iran, et où étaient traduits des textes de publications étrangères […], ainsi que les articles du critique Robin Wood et des textes de grands cinéastes […].
C’est aussi à l’époque où je travaillais pour ce magazine que j’ai commencé à comprendre que chaque aspect du film dépendait d’une personne différente, le réalisateur, le caméraman,le monteur, etc., et que je pouvais devenir l’un d’eux. J’ai pris l’habitude d’aller voir les films muni d’un carnet, et de prendre une grande quantité de notes sur chaque élément de production, de les classer et de les analyser en détail. À cet égard, la salle de cinéma a été mon université. […]
En 1968, j’ai parié avec des amis que j’arriverais à prendre un billet pour la toute première projection de 2001, l’odyssée de l’espace à Londres et que je rencontrerais Stanley Kubrick, qui était alors mon cinéaste préféré. […] Bien sûr je l’ai fait. J’ai vendu tout ce que j’avais, sauf un appareil photo, et j’ai fait tout le voyage en stop. Cette expédition m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses. J’ai passé le plus clair de mon temps à Londres au cinéma Curzon, à regarder autant de films que je pouvais. De là, je suis allé à Paris où je me suis immergé dans la Nouvelle Vague à la Cinémathèque française. Quand je suis rentré chez moi, il n’y avait pas de doute, il fallait que je fasse un film. Alors je l’ai fait.
Malheureusement, à l’époque de mon enfance et de mon adolescence, le cinéma iranien était horrible. […] Quelques réalisateurs talentueux avaient bien essayé, comme Ebrahim Golestan, Forough Farrokhzad, Farrokh Ghaffari ou Jalal Moghadam, mais ils étaient marginalisés par le système corrompu d’alors, uniquement orienté vers le profit des studios. Ce système refusait de financer ou de montrer des films créatifs, empêchant la voix de ces réalisateurs d’être entendue par un public significatif. […] Néanmoins, ma génération de cinéastes a commencé à changer cela. Chaque film que nous avons fait a irrigué les graines plantées par les grands réalisateurs iraniens qui nous avaient précédés. C’est une grande joie pour moi de pouvoir dire qu’aujourd’hui ces graines sont devenues un arbre magnifique, et qui porte des fruits nombreux. Le cinéma iranien est maintenant un des meilleurs du monde, et ses jeunes réalisateurs continuent d’offrir des films ambitieux et originaux. J’espère que de manière modeste mes propres films ont contribué à la croissance de cet arbre. Mes trois premiers films ont été tournés dans le cadre du système des studios, où j’avais l’impression d’étouffer. […] Même si j’aimais mon deuxième long métrage, L’Impasse, j’ai décidé de m’éloigner et d’essayer de faire ce que je considère comme du cinéma pur. […] Il en est résulté mon film L’Attente. Je l’ai revu récemment, et quarante-quatre ans après il me semble toujours frais, comme si je l’avais tourné hier. J’ai toujours été heureux de la manière dont ce film a trouvé sa forme. C’est peu après que j’ai rencontré Kamran Shirdel, qui avait réalisé de très beaux courts métrages et des documentaires dont la tonalité nous semblait très nouvelle. […] Le fait de venir d’horizons si différents nous a permis d’apprendre beaucoup l’un de l’autre. C’est à la même époque que j’ai découvert l’œuvre du photographe Henri Cartier-Bresson, qui est devenu mon idole. De lui, j’ai appris la puissance du noir et blanc, le silence, et la capacité de l’appareil de prise de vue de capturer magiquement un instant pour l’éternité.
En creusant dans ma mémoire, je me rends compte qu’aucun résumé de mon existence ne serait complet sans mentionner deux maîtres cinéastes qui malheureusement ne sont plus là, mais dont je garde sans cesse le souvenir avec moi. Je parle, bien sûr, de Sohrâb Shahid Saless et d’Abbas Kiarostami. Le cinéma iranien doit à ces hommes une dette qu’il ne pourra jamais rembourser.
Jean-Michel, tu m’as demandé pourquoi j’avais tourné mes deux documentaires, La Recherche et La Recherche 2. La raison s’appelle Rossellini – que j’ai découvert grâce à Shirdel. Rossellini est un homme qui a véritablement compris le cinéma, et il a eu une influence gigantesque sur mon travail. Shirdel m’a fait découvrir le néo-réalisme, tremplin de mes rencontres ultérieures avec l’œuvre de grands Européens comme Antonioni, Fellini, Renoir, Carné, et Max Ophuls. Kamran, chez qui j’habitais à l’époque, m’a aussi inspiré par ses propres films. Je lui dois énormément.
Après la Révolution, l’Iran a été contraint à une guerre avec l’Irak. J’ai pensé que peut-être, peut-être, je pourrais faire un film comme ceux de Rossellini, un document cinématographique consacré à cette période de l’histoire du pays auquel les générations futures pourraient se référer. En tournant ces deux films [La Recherche et La Recherche 2], j’ai découvert deux aspects de la mise en scène qui allaient désormais jouer un rôle central dans mon travail : l’importance du son et le montage. En 1980, je suis venu en France présenter La Recherche au Festival des 3 Continents à Nantes. Après avoir vu le film, Mary Meerson, la compagne de Henri Langlois, m’a dit qu’elle voulait le montrer à la Cinémathèque française. C’est là [à la Cinémathèque], en visionnant les copies de films de Mizoguchi, Kurosawa, Ozu et d’autres, que j’ai découvert ma passion pour le cinéma japonais. Leur poésie et leur manière de voir habitent désormais mes films. Une des raisons pour lesquelles j’ai voulu tourner au Japon mon film Cut a été de rendre hommage à ces maîtres.
Après les deux documentaires, j’ai réalisé Le Coureur et L’Eau, la terre, le vent. Un jour, juste avant la fin du tournage de L’Eau, la terre, le vent, j’étais parti marcher dans le désert. Je me suis tourné vers mon assistant et lui ai dit : « Tu sais ? Je crois que j’ai fait tout ce que pouvais faire comme cinéaste dans mon pays. Maintenant, il faut que je bouge, je dois trouver quelque chose de nouveau. » C’est à ce moment que j’ai pris le plus grand risque de mon existence, après y avoir longtemps réfléchi. Comme le petit garçon du Coureur qui veut tellement pouvoir s’envoler, j’ai quitté mon pays bien-aimé et je suis parti en quête de nouvelles expériences, des nouveaux films que je pourrais réaliser dans de nouveaux pays, dans d’autres langues et par d’autres moyens. Cela a été un immense sacrifice, mais trente-deux ans plus tard je peux dire avec certitude qu’il en valait la peine. Durant tout ce temps, je n’ai jamais regretté ma décision, pas même une seconde.
En ce moment je suis à Los Angeles. Je vais commencer à tourner mon vingt et unième film. Impossible de décrire l’excitation qui m’envahit. J’ai plus d’énergie que jamais. La seule chose à laquelle je suis capable de penser, à tout moment, est ce film. J’y pense en permanence, plus qu’à ma vie même, parce que le cinéma est ma vie. Je me suis consacré au cinéma, et à rien d’autre. Hier, je faisais un tour, en sifflotant, comme j’en ai l’habitude, quand tout à coup je me suis retrouvé en train de crier dans la rue : « Mon dieu ! Je vais faire un autre film. C’est incroyable ! » Toute ma vie j’ai voulu faire des films, et les faire à ma façon. Et c’est ce que je ferai. Cut, Amir
Source :
DDC / Les cinémas
L'invention d'un langage, par Agnès Devictor
Depuis la Palme d’or décernée à Abbas Kiarostami en 1997 pour Le Goût de la cerise, le cinéma iranien continue de rafler les plus hautes distinctions de la planète festivalière. Plus personne ne s’en étonne. Mais sa puissance créatrice, sa singularité et son ancrage dans une modernité cinématographique sont encore très méconnus. On peut dater son émergence de 1962, quand la poétesse Forough Farrokhzad ouvre une brèche avec La maison est noire, documentaire de commande qui se révèle une œuvre bouleversante consacrée au quotidien de ceux qui vivent reclus dans une léproserie, hors du temps mais dans la vie. À sa suite, de nombreux cinéastes investissent le documentaire pour filmer avec liberté, insolence et poésie la vie des plus pauvres, exclus des écrans. Ainsi, Kamran Shirdel brosse un portrait de Téhéran loin des dogmes énoncés dans les livres scolaires avec Téhéran, capitale de l’Iran (1966) quand Naser Taqva’i prend prétexte d’un film sur la culture des palmiers dattiers dans La Palme (1969) pour montrer que la richesse économique ne revient pas à ceux qui les cultivent. Dans Le Vent des Djinns (1969), il s’introduit dans une séance de transe et en saisit la montée vers l’extase guérisseuse, entre croyance populaire et technique de soin. Aux antipodes d’une vision touristique et folklorique, ces films sont aussi de précieuses ressources pour une approche anthropologique de l’Iran. Dans le même esprit, le cinéma de fiction inaugure en 1969 de nouveaux rapports à la narration, au tournage et aux acteurs, avec La Vache que réalise Dariush Mehrjui et qu’il co-écrit avec Gholam Hossein Saedi, l’un des plus grands écrivains iraniens contemporains. Situé dans un village archaïque, en contradiction ouverte avec l’image que veut donner des campagnes le régime du Shah, le film associe réalisme rigoureux et fantastique aux franges du surréalisme. Mehrjui creuse les abîmes de l’absence, du deuil impossible qui conduit à la folie et à l’absurde. Ce film est immédiatement considéré comme un tournant dans l’histoire du cinéma national, et son acteur Ezzatollah Entezami, qui débute devant la caméra, deviendra « le Gabin iranien », figure nationale unanimement reconnue.
Durant les années 1960-70, le très prolifique cinéma iranien continue de produire surtout des films commerciaux sacrifiant aux genres formatés, mais il connaît par ces nouvelles approches une rupture profonde. Au sein de ce mouvement très fécond, qui sera nommé « cinéma différent » en Iran, une partie de ces films relève spécifiquement de ce que l’histoire du cinéma a défini comme un « cinéma moderne », par le travail sur les rythmes, les cadres, les distances, le questionnement de l’espace et de la durée, l’exploration de l’intime et la disponibilité au social, et particulièrement la mise en question du regard passif du spectateur en affirmant la présence explicite de la mise en scène. Cette rétrospective ambitionne de mettre en lumière ces films qui, dans ce « cinéma différent », dessinent une modernité cinématographique à l’iranienne. Certains de ces réalisateurs se réfèrent au néoréalisme et à la Nouvelle Vague, mais beaucoup puisent aussi leur inspiration dans la poésie et la littérature contemporaine iranienne. Dès L’Averse (1972), Bahram Beyza’i, figure du théâtre iranien, développe un cinéma qui interroge les troubles de l’identité individuelle et collective, quand Bahman Farmanara mobilise avec Prince Ehtejab (1974) une forme minimaliste pour explorer le malaise qui ronge une société iranienne sur le déclin. Avec Les Mongols (1973),Parviz Kimiavi s’inspire de Godard pour orchestrer des télescopages historiques, visuels et narratifs afin de dénoncer la télévision, Gengis Khan des temps modernes qui menace de tuer le cinéma.
Penser le cinéma
Critique de tous les pouvoirs en vigueur dans un monde régi par un régime autoritaire, ce cinéma moderne iranien questionne également ses propres pouvoirs et ceux des réalisateurs. Déjà en 1967, dans La nuit où il a plu, Shirdel, enquêtant sur un fait divers dans un village du nord de l’Iran, faisait trembler les catégories du réel et de la vérité, du documentaire et de la fiction, et rendait sensible combien tout film est le résultat des choix du réalisateur. Cette interrogation sera redéployée près de vingt-cinq ans plus tard, dans un pays désormais gouverné par des religieux mais où règne un amour passionnel du cinéma, avec Close up (1991) de Kiarostami, un des sommets d’une œuvre entièrement traversée, selon des modalités variables, par cette modernité. Dans Et la vie continue (1992), qui clôture symboliquement ce programme, il ne s’agit plus d’un fait divers mais des conséquences dramatiques d’un tremblement de terre. Ce road movie, où un acteur endosse le rôle de l’auteur parti à la recherche des enfants qui ont joué dans son précédent film et qui sont peut-être ensevelis parmi les milliers de victimes bien réelles du séisme, marque une nouvelle étape de la réflexion de Kiarostami sur les pouvoirs et l’éthique du cinéaste, tandis que sa caméra témoigne d’une épiphanie de la vie humaine au cœur des ruines et du deuil.
Interroger le monde
L’enjeu de cette programmation est également de souligner combien cette modernité s’affirme et se déploie par-delà les fractures politiques et historiques. Quand éclate la Révolution iranienne, ces réalisateurs continuent en effet d’interroger le monde avec leur caméra. Ils participent au mouvement de contestation, témoignent du traumatisme de la longue guerre que le pays affronte face à l’Irak (1980-1988), interrogent les échecs de la République islamique comme dans l’intransigeant Mariage des bénis de Mohsen Makhmalbaf (1989). Cette modernité met aussi en jeu la place de cet art dans l’histoire avec Il était une fois le cinéma que ce même réalisateur signe en 1992. Parmi ceux qui, au cœur de ces bouleversements politiques et esthétiques, travaillent la place du sujet filmé, la durée des plans, la capacité de la caméra à comprendre et à donner une forme au monde, se dégage l’autodidacte Amir Naderi. Cet amoureux fou du cinéma commence sa carrière en s’inspirant du film noir et du western, tourne quelques uns des plus beaux films du cinéma pour enfant, dont Le Coureur qui fera découvrir le cinéma iranien en Occident en 1985. Exemplaire de cette modernité, Naderi comme les héros de ses films s’élance sans cesse, et parcourt avec rage et obstination les territoires cinématographiques les plus inventifs.
Agnès Devictor, maître de conférences en histoire du cinéma à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’Iran et de son cinéma, est l’auteure de Politique du cinéma iranien (2004), Images combattants et martyrs : la guerre Iran-Irak vue par le cinéma iranien (2015) et de L’Iran mis en scène (2017). Elle signe pour le Centre Pompidou la programmation du panorama du cinéma moderne iranien.
Source :
DDC / Les cinémas
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5 abr - 17 jun 2018
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