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L'histoire secrète d'Alexandre Iolas, « découvreur » d'Andy Warhol et mécène du Centre Pompidou

INÉDIT ► Marchand d’art grec au flair redoutable, Alexandre Iolas fut l’un des premiers à exposer Andy Warhol. Soutien indéfectible des surréalistes, ami de Max Ernst et proche de Niki de Saint Phalle, il fit don d’une partie de sa phénoménale collection au Centre Pompidou — des œuvres de Martial Raysse ou René Magritte notamment. Figure charismatique, Iolas a durablement marqué l’histoire de l’art du 20siècle. Retour sur un destin hors norme, d’Alexandrie à Paris en passant par New York.

± 9 min

New York, 1949. Un jeune homme d’une vingtaine d’années passe devant la Hugo Gallery, sur la 55rue, à deux pas du MoMA. Sous son bras, un carton à dessins. Le galeriste, un certain Alexandre Iolas, lui demande ce qu’il y a à l’intérieur. « Mon déjeuner », répond avec humour Andrew Warhola.

 

À cette époque en effet, celui qui n’est pas encore le pape du Pop Art gagne sa vie en tant que dessinateur publicitaire, travaillant pour des marques de mode, des grands magasins (Bergdorf Goodman) ou des magazines comme Glamour. Il vient à peine de débarquer à Manhattan depuis son Pittsburgh natal. « C’est le dernier jour de ta vie que tu passes à dessiner des chaussures » lui aurait alors dit Alexandre Iolas.

 

À l’été 1952, Iolas et la Hugo Gallery présentent la toute première exposition d’Andy Warhol. À partir de ce moment, le destin de Warhol et celui d’Iolas seront scellés.

 

À l’été 1952, Iolas et la Hugo Gallery présentent la toute première exposition d’Andy Warhol, « Fifteen Drawings Based on the Writings of Truman Capote », inspirée par les écrits de l’auteur de De sang-froid, dont l’artiste est un fan absolu et obsessionnel. À partir de ce moment, le destin de Warhol et celui d’Iolas seront scellés. Le premier deviendra l’artiste américain le plus connu au monde ; le second, l’un des galeristes les plus influents du 20siècle.

Peu connu du grand public, Alexandre Iolas aura pourtant accompagné nombre d’artistes du 20siècle, notamment les surréalistes (Max Ernst, Victor Brauner, René Magritte, Dorothea Tanning, Leonor Fini, Roberto Matta…), ou encore les Nouveaux Réalistes (Jean Tinguely, Niki de Saint Phalle, Martial Raysse, Yves Klein…).

 

Doté d’un flair hors norme et d’un épais carnet d’adresses, l’homme conseille de nombreuses fortunes amatrices d’art, parmi lesquelles la collectionneuse britannique Pauline Karpidas, ou le couple de mécènes franco-américains Dominique et John De Menil (à l’origine du musée The Menil Collection à Houston, Texas).

 

C’était un personnage ! Génial, intuitif, pervers, drôle, avec une vraie passion de son métier. Il pouvait s’enfermer deux jours avant un vernissage, seul avec les œuvres.

Niki de Saint Phalle

 

Ses galeries à New York, Paris puis Madrid, Rome, Genève et Athènes accueillent certaines des expositions marquantes des années 1960–1970, Iolas contribuant au lancement de la carrière de certains des plus grands noms de l’art — dont Niki de Saint Phalle, qui le considère comme un « ami ».

 

 

« C’était un personnage ! Génial, intuitif, pervers, drôle, avec une vraie passion de son métier », se souvient l’artiste (citée dans le catalogue Un peu de mon histoire avec toi, Jean). « Il pouvait s’enfermer deux jours avant un vernissage, seul avec les œuvres. Il dormait même dans la galerie et ne quittait pas les lieux avant que l’accrochage ne lui convienne parfaitement ».

Homosexuel assumé, mondain fantasque, Iolas impressionne et envoûte. Dans Niki de Saint Phalle, la révolte à l’œuvre, une biographie de référence consacrée à l’artiste, l’historienne de l’art Catherine Francblin le décrit en ces termes : « brun, suprêmement élégant […] personnage haut en couleurs, grand séducteur. »

 

Je ne vends jamais un tableau, je fais tomber les gens amoureux du tableau que j’aime. 

Alexandre Iolas

 

Contrairement à d’autres galeristes, parfois animés par des desseins bassement matérialistes, Iolas cultive l’image d’un artiste parmi les artistes, qui le considèrent d’ailleurs comme l’un des leurs. Lui refuse même de se dire « marchand d’art ». Dans une interview donnée à Vogue en août 1965, il déclare ainsi : « Je ne vends jamais un tableau, je fais tomber les gens amoureux du tableau que j’aime. »

Dans les années 1970 et 1980, Alexandre Iolas fait don de plusieurs œuvres majeures au Musée national d’art moderne, dont un Martial Raysse (Tableau métallique : portrait à géométrie convexe, 1964), et un portrait de lui par René Magritte, intitulé Le Bon Exemple (1953).

 

Iolas est le marchand qui va contribuer non seulement à la reconnaissance américaine de Magritte mais aussi à sa fortune personnelle.

Didier Ottinger, directeur adjoint au Musée national d’art moderne

 

« Iolas est le marchand qui va contribuer non seulement à la reconnaissance américaine de Magritte mais aussi à sa fortune personnelle », décrypte Didier Ottinger, directeur adjoint au Musée national d’art moderne et commissaire de la récente exposition « Surréalisme ». Tout cela ne se fait pas sans heurts : « La correspondance entre Magritte et Iolas est à ce sujet assez savoureuse… Alors que Magritte vient de connaître sa période dite “Renoir”, où il renoue avec la technique de l’impressionnisme, Iolas lui explique qu’il lui faut peindre comme avant, car c’est ce que le marché attend ! Cela cause quelques états d’âme à Magritte, qui avant-guerre était plutôt proche du Parti communiste. », ajoute Didier Ottinger.

 

Pourtant, l’artiste s’exécute et se met à faire des « répliques » de ses œuvres des années 1930. Ce qui ne manque pas de déplaire à la frange surréaliste la plus radicale des amis belges du peintre, comme Marcel Mariën, qui éditera en 1962 des faux billets de banque avec la tête de Magritte à la place de celle du roi des Belges… Mais le marchand avait vu juste. Magritte devient le chouchou des collectionneurs américains. Et Iolas, le roi des galeristes.

Alexandre Iolas a vécu mille vies. Né Konstantinos Koutsoudis à Alexandrie en 1908, il se choisit tôt le pseudonyme « Iolas » (qui, en grec ancien, désigne un compagnon du personnage mythologique d’Héraclès). Issu de la petite bourgeoisie commerçante grecque établie en Égypte, il embrasse dès l’adolescence une carrière artistique. Ce sera la danse, qu’il étudie d’abord à Athènes à l’âge de 17 ans, puis à Berlin.

 

En 1932, il débarque à Paris où il s’inscrit à la Sorbonne, en histoire de l’art. Dans la capitale, il fait plusieurs rencontres déterminantes, d’abord celle de Florence Meyer, socialitse et photographe, amie de Man Ray et de Constantin Brancusi (c’est grâce au père de Florence, influent propriétaire du Wall Street Journal, qu’Iolas obtiendra sa green card en 1945), mais aussi Theodora Roosevelt, la petite-fille du président Roosevelt, elle aussi danseuse.

 

Gracieux et d’une grande beauté, Alexandre Iolas danse aux côtés de Georges Balanchine au Metropolitan Opera de New York, notamment. Il devient l’une des étoiles de la célèbre compagnie de Jorge Cuevas Bartholin, dit le marquis de Cuevas, et fait le tour du monde. Mais en 1944, une blessure marque la fin de sa carrière sur scène. Iolas décide alors d’embrasser celle de galeriste.

 

Dans une interview restée célèbre, Iolas raconte ainsi que son amour pour l’art moderne est né en 1933 à Paris, dans une galerie rue Marignan, lorsqu’il tombe en admiration devant Mélancolie, une toile de Giorgio De Chirico.

 

Dans une interview restée célèbre, il raconte ainsi que son amour pour l’art moderne est né en 1933 à Paris, dans une galerie rue Marignan, lorsqu’il tombe en admiration devant Mélancolie, une toile de Giorgio De Chirico. Iolas achètera alors le tableau à crédit. Il raconte que c’est cette épiphanie qui lui donnera plus tard l’envie d’ouvrir son propre lieu.

 

En 1945, Iolas est à New York, il fréquente de nombreux artistes, et se lie particulièrement d’amitié avec Max Ernst. En 1946, il prend les rênes de la Hugo Gallery, sur la 26e. Et en 1953, il ouvre enfin à Manhattan la première galerie à son seul nom.

Devenu la star des marchands d'art, Alexandre Iolas n’en oublie pas pour autant ses racines : dès les années 1950 et jusqu’aux années 1970, il se fait construire sur les collines une splendide villa moderniste de 18 000 mètres carrés, dans le quartier de Agia Paraskevi, à quelques kilomètres d’Athènes. Il s’y installe dans les années 1970, et le lieu, sorte de palais abondamment décoré façon rococo, fait office de galerie personnelle, Iolas montrant à ses invités de marque l’étendue de sa prodigieuse collection. La « Villa Iolas » devient rapidement une adresse très courue de la jet set internationale qui se presse aux splendides dîners mondains donnés par le maître des lieux.

 

En 1974, avec la fin du régime des colonels, Alexandre Iolas tombe dans une forme de disgrâce — certains l’accusant de compromission avec le précédent régime.

 

Pourtant, la chute le guette. En 1974, avec la fin du régime des colonels (une dictature mise en place après un coup d’état militaire en 1967, ndlr), Alexandre Iolas tombe dans une forme de disgrâce — certains l’accusant de compromission avec le précédent régime. Des dénonciations (infondées) de trafic d’œuvres d’art, et des rumeurs aux relents homophobes, colportées par la presse à scandale grecque, achèvent d’abîmer son image.

 

Les années 1980 seront plus difficiles pour Alexandre Iolas, qui décide de fermer toutes ses galeries. Dernier coup d’éclat : en 1985, sur une idée du marchand, Andy Warhol réalise The Last Supper, qui s’inspire du chef-d’œuvre La Cène, de Léonard de Vinci. Ce sera son dernier tableau — Warhol meurt en février 1987, peu après le vernissage de son exposition au Palazzo delle Stelline, à Milan. Malade du Sida, Iolas s’éteint lui le 8 juin 1987, à New York, quelques mois à peine après la disparition du pape du Pop Art.

 

La Villa Iolas, largement pillée et vandalisée à la disparition du marchand d’art, est laissée à l’abandon pendant près de quatre décennies. Rachetée par la municipalité en 2015, elle devrait prochainement renaître de ses cendres et accueillir un lieu culturel. Une manière de rendre hommage à l’héritage immense de ce marchand d’art qui se rêvait artiste. ◼

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