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Portrait du poète John Giorno par Jean-Jacques Lebel

La poésie en action

Le Centre Pompidou accueille depuis ses débuts la poésie sonore. Aujourd'hui le festival Extra! continue de faire vivre ce mouvement, qui ne cesse de bouleverser le territoire poétique. L'universitaire Peter Read raconte comment, dans les années 1980, Henri Chopin, Bernard Heidsieck, ou encore Michèle Métail avaient fait une halte au cœur du Forum pour les Rencontres internationales de la poésie sonore.

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Les Rencontres internationales de la poésie sonore figurent parmi les manifestations les plus marquantes des premières années du Centre Pompidou. Utopie itinérante, la caravane sonore débarque les 1er et 2 février 1980 dans son sous-sol, après des haltes au Havre et à Rennes. Elle réunit les principaux protagonistes d'un mouvement qui, depuis la fin des années 1950, ne cesse de bouleverser un pan important du territoire poétique. Travaillant souvent de concert avec le mouvement international de poésie concrète, les créateurs de poésie sonore entreprennent le démantèlement systématique de la langue et de ses conventions, afin de constituer une multitude de nouvelles combinaisons d'expression verbale et phonique. Ils appliquent, chacun de façon personnelle, des principes de multiplication, de permutation, de transformation et de répétition, en y insérant le souffle et le cri, lyrique ou percutant. Sous leur impulsion, la poésie se fait action et s'anime d'une vitalité charnelle qui donne à la matière sonore une présence rythmique, physique, quasi palpable.

 

La poésie se fait action et s'anime d'une vitalité charnelle qui donne à la matière sonore une présence rythmique, physique, quasi palpable.

 

 

Au Centre Pompidou, Bernard Heidsieck, élégant et tendu, la diction essoufflée, oscille entre la prédication giratoire et une lévitation extatique : son grand poème « Vaduz », structuré en tourbillon, fait tournoyer au pas de derviche, autour de Liechtenstein, toutes les tribus de la terre. L'Américain Brion Gysin, inventeur des récits « cut-up », collaborateur de William Burroughs, pratique des permutations titaniques, créées à partir de brèves formules, telle la mémorable « Junk is no good baby ». Gysin, comme Heidsieck, interviendra ensuite à plusieurs reprises dans le cadre des Revues parlées du Centre Pompidou, où il présentera ses travaux sur magnétophone, composés de collages, d'accélérations, de ralentissements. Un de ses enregistrements, déroulé à l'envers, délivre, parmi les sonorités abstraites du langage inversé, une formule inattendue, aléatoire et oraculaire : « In the palace, in the palace, spoon, spoon ».

Autre pionnier de l'emploi des magnétophones, Henri Chopin semble s'efforcer d'avaler le microphone, afin d'amplifier les rumeurs du corps, superposées et instrumentalisées dans ses compositions enregistrées. François Dufrêne, inventeur du « crirythme », puissamment improvisé, déploie des capacités impressionnantes de projection vocale, tout comme les Britanniques Bob Cobbing et Clive Fencott qui, lors de ces Rencontres, s'affrontent dans un dialogue bruitiste très combatif. Y répondent, notamment, les extraits lancinants de poésie ininterrompue de Jean-Luc Parant, et la présence charismatique de deux jeunes femmes : Michèle Métail, à la diction impassible, qui isole et aligne les composants grammaticaux du langage dans des structures de contrainte volontaire ; et Katalin Ladik, venue de Yougoslavie, qui vocalise un chant « phonopoétique » dont elle augmente l'effet hypnotique en s'aspergeant lentement la figure d'une mince fontaine de lait.

Citons encore Arrigo Lora-Totino (maître de la « poésie gymnique »), Giulia Niccolai et Adriano Spatola (Italie), Sten Hanson (Suède), Gerhard Rühm (Autriche), Nikolaus Einhom (Allemagne), Julien Blaine et Joël Hubaut (France), tous programmés aux Rencontres internationales, sans oublier Michel Giraud, particule électrique, animateur omniprésent, et Jean-Michel Place, qui venait d'éditer Poésie sonore internationale de Henri Chopin, ouvrage encyclopédique, accompagné de deux cassettes d'enregistrements.

L'esprit de quelques ancêtres, tels Khlebnikov, Marinetti, Albert-Birot, Ball, Arp, Schwitters, Hausmann, veille évidemment sur l'ensemble de la manifestation : les Rencontres internationales de la poésie sonore prolongent et actualisent les réalisations des premiers éclaireurs de l'avant-garde, que présentent alors les expositions mythiques « Paris-New York », « Paris-Berlin », « Paris-Moscou ». Au Centre Pompidou, la poésie sonore resurgira, notamment lors des éditions de l'ambitieux et diver­sifié festival Polyphonix. Le mouvement atteint son apogée en 1980, mais continuera à déstabiliser les poncifs linguistiques, idéologiques et culturels, à brouiller les significations et les messages, pour recréer une langue affranchie, originaire, animée de ce que Heidsieck a nommé « un souci débordant de recommunication ». ◼

Le prix littéraire Bernard Heidsieck – Centre Pompidou

 

Créé en 2017 en hommage au poète Bernard Heidsieck, décédé en 2014, le prix littéraire Bernard Heidsieck – Centre Pompidou est un prix de littérature hors du livre tout à fait inédit dans le monde des prix littéraires. Il met à l’honneur d'autres modalités de création et de diffusion de la littérature que le livre : poésie sonore, performances, conférences performées, lectures, film-poème, création radiophonique, littérature exposée, création numérique, etc. Remis à l'occasion du festival Extra!, Le prix littéraire Bernard Heidsieck – Centre Pompidou récompense chaque année les meilleur(e)s auteurs et autrices, et les meilleures œuvres dans ce domaine élargi de la littérature.

 

En 2020, les quatre nominé(e)s du prix littéraire Bernard Heidsieck – Centre Pompidou sont : Natalie Czech (Allemagne), Jérôme Game (France), Kinga Toth (Hongrie), Pierre Paulin (France).