Avec le duo AROTIN & SERGHEI, l'espace infini des possibles numériques
Depuis les années 1990, le duo d’artistes AROTIN & SERGHEI explorent notre monde saturé d’images et d’écrans, à travers des œuvres protéiformes réalisées en partenariat avec des institutions telles que la Ars Electronica, le Kunsthistorisches Museum de Vienne, la Biennale de Venise ou la Fondation Beyeler à Bâle. Ils présentent au Centre Pompidou, dans le cadre du festival ManiFeste, leur work-in-progress Infinite Screen sous forme de deux installations complémentaires qui relient les différents secteurs du Centre, les œuvres de sa collection, son architecture, ainsi que l’univers sonore de l’Ircam : Infinite Light Columns, quatre colonnes lumineuses et colorées de 9, 12, 20 et 23 mètres de haut, sorte de symphonie visuelle que l’on peut apercevoir depuis début juin le long des façades de l’Ircam, et Vertigo-Infinite Screen, une composition visuelle sur 18 écrans, installée sur la scène de la Grande salle du Centre Pompidou (et visible pendant six mois en streaming). Entretien croisé.
Parlez-nous de vos deux installations Infinite Screen que vous présentez pour le Centre Pompidou…
AROTIN & SERGHEI — Infinite Light Columns / Constellations of The Future 1-4, est une installation de quatre colonnes de lumière « infinies », composées de modules lumineux immatériels, dont la couleur et l’intensité varient avec le temps, et qui symbolise le renouveau. C’est un signe de changement de perspectives installé le long de la tour de l‘Ircam de Renzo Piano, exactement en face de l’Atelier de Brancusi et ces Colonnes sans fin auxquelles notre œuvre rend hommage. Pour réaliser les pulsions et éclats des modules de lumière de ces sculptures intermédiales, nous avons combiné des techniques analogues et digitales : des compositions de séquences d’images individuellement dessinées, animées de manière à ce que chaque cellule obtienne « sa propre vie » et programmées grâce à des systèmes de mesure de l’infini, comme l’astrophysique, des systèmes fractales, des algorithmes de la courbe de Fibonacci, et des clusters musicaux. L’installation est un symbole reliant notre monde au macrocosme.
Vertigo - Infinite Screen est conçue comme une introspection, un voyage vers l’intérieur dans le microcosme de la psyché. C’est une composition intermédiale et immersive sur 18 écrans, une collaboration interdisciplinaire avec l’Ircam, l‘ensemble Klangforum de Vienne et le compositeur Brice Pauset, inspirée par les couleurs et les symboles du film Vertigo. Les deux créations font partie de notre projet Infinite Screen, qui questionne l’idée de l’infini par rapport aux limites de nos écrans.
Ces œuvres dialoguent avec plusieurs champs de la création : la sculpture, avec son clin d’œil direct à Brancusi, mais aussi la musique, le cinéma, l'architecture…
AROTIN & SERGHEI — Dans nos créations, nous combinons une multitude de références, mais aussi de techniques et de médias, comme le dessin, la peinture, les captations de mouvements, la mise en espace architecturale, l’animation tri-dimensionelle, les techniques de montage cinématographique ou les procédés de composition musicale. Nous voulons élargir la palette d’expression tout en libérant notre esprit et celui des spectateurs des schémas prédéfinis. Nous parlons explicitement de nos sources d’inspiration, de l’histoire de l’art ou de la philosophie pour encourager le public à trouver son propre point de vue et son propre chemin. Au-delà de la référence aux Colonnes de Brancusi, Infinite Light Columns tisse des liens avec le concept de synesthésie de Kandinsky, et avec le Carré noir de Malevitch. Les surfaces insaisissables des écrans qui nous entourent sont comparables à ce fameux carré noir. Nous observons la façon dont l’information « surgit » et devient visible sur ces surfaces grâce à des millions de particules lumineuses invisibles, des « light cells » (cellules de lumière, ndlr) rouges, bleues et vertes, qui forment chaque pixel de notre langage visuel. Nous créons ensuite des cycles de « portraits » de ces cellules de lumière, qui à leur tour deviennent les modules de construction de notre Infinite Screen.
La fonction essentielle d’une œuvre d’art est d’être un objet de réflexion totalement libre, libre d’inspiration mais aussi d’interprétation, un espace onirique de la libre pensée.
AROTIN & SERGHEI
Cette installation accompagne la réouverture du Centre Pompidou. Est-ce pour vous, aussi, une façon de mettre l’art à la vue et à la portée de tous ?
AROTIN & SERGHEI — Tout à fait ! Nous posons un signe de notre aire digitale sur cette place emblématique des arts, qui dialogue autant avec les générations futures qu'avec l’esprit des avant-gardes artistiques qui caractérise la collection du Centre Pompidou et la recherche sonore de l'Ircam. Nous voulons donner à l'art d'aujourd'hui une fonction vitale et essentielle au sein de notre société et ouvrir le processus créatif à tous. Pour nous, l’œuvre d’art doit être un objet de réflexion totalement libre, libre d’inspiration mais aussi d’interprétation, un espace onirique de la libre pensée. ◼
Retrouvez toutes les informations liées au festival ManiFeste sur le site de l'Ircam.
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AROTIN & SERGHEI, Vertigo / Infinite Screen, 2021
Composition intermédiale, installation sur 18 écrans (12 tableaux), 450 x 1200 cm (détail)
© AROTIN & SERGHEI / Centre Pompidou
Production AROTIN & SERGHEI Contemporary Art Berlin / Infinite Screen Paris, en collaboration avec l’Ircam-Centre Pompidou, en partenariat avec la galerie Espace Muraille Genève, Studios Architecture Paris, W&K Vienna New York.