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Restauration Barnett Newman, « Shining Forth (to George) », 1961

Barnett Newman, la tache d'huile et la restauratrice

Vingt-quatre ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour restaurer Shining Forth (to George), de l'artiste abstrait américain Barnett Newman, souillé accidentellement par un jet d'huile. Retour sur cette longue et délicate renaissance de l'un des chefs-d’œuvre des collections du Musée, véritable défi posé à Véronique Sorano-Stedman, cheffe du service de la restauration au Centre Pompidou.

± 4 min

C’était en juin 1990, onze ans après l’entrée de Shining Forth (to George), l’un des chefs-d’œuvre de Barnett Newman, dans les collections. L’œuvre est accidentellement souillée en salle par un jet d’huile provenant d’un engin de manutention. Sept coulures brunes blessent la monochromie claire du fond ivoire de l’œuvre au format imposant (290 × 442 cm). Cette souillure contraint le Centre Pompidou à prendre des mesures d’urgence, puis à organiser une consultation internationale autour de ce qui s’annonce alors comme une restauration impossible.

 

L’œuvre est accidentellement souillée en salle par un jet d’huile provenant d’un engin de manutention. Sept coulures brunes blessent la monochromie claire du fond ivoire de l’œuvre, contraignant alors le Centre Pompidou à prendre des mesures d'urgence.

 

 

Les premières études et analyses réalisées par des laboratoires français et étrangers aboutissent à la mise en place de protocoles expérimentaux sur des maquettes, puis une méthode d’extraction des taches est testée. Les effets secondaires de cette tentative et ses limites en termes de résultat diffèrent le traitement. L’estoc est donné par l’évolution des matériaux propres à l’œuvre : une autre altération, sous la forme d’une tache de couleur ocre, est apparue. Shining Forth (to George) reste alors en sommeil, dans l’attente de nouvelles thérapies. La connaissance approfondie de l’œuvre et de ses matériaux de composition, conjuguée aux avancées en matière de nettoyage des matériaux synthétiques, sous l’impulsion de chercheurs américains, ne permettront de reprendre le traitement de l’œuvre qu’en 2010. Le Centre de recherche et de restauration des musées de France, le Centre Pompidou et Richard Wolbers de l’université du Delaware, spécialiste de Barnett Newman, élaborent un protocole à partir de nouvelles analyses et de nouveaux tests. En décembre 2014, le tableau est définitivement restauré, retrouvant toute sa qualité et sa force.

 

La connaissance approfondie de l’œuvre et de ses matériaux de composition, conjuguée aux avancées en matière de nettoyage des matériaux synthétiques, sous l’impulsion de chercheurs américains, ne permettront de restaurer la toile qu'en 2010.

 

 

Réduite à l’essentiel – une toile laissée brute, simplement enduite, rythmée par trois bandes noires verticales –, l’œuvre est en réalité d’une composition beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Donald Judd, dans une étude consacrée à cette peinture, souligne la fausse symétrie de sa structure. Son extrême simplicité est un moyen pour Newman de traduire le sens du « sublime », en référence à une mystique religieuse profondément inspirée par la Kabbale. Dédiée à son frère George disparu en février 1961, Shining Forth (littéralement « qui brille au loin » ; le nom de George en hébreu est « Zerach », du verbe « briller »), elle apparaît comme une peinture de lumière. ◼

Cette œuvre a été restaurée grâce au soutien de la galerie Gradiva.

Cet article est intialement paru dans Code Couleur 22, le magazine-programme du Centre Pompidou, en 2015.