Skip to main content
Anna et Bernhard Blume, « Im Wahnzimmer », 1984 - bandeau mag

Faites tourner les tables avec Anna et Bernhard Blume !

Une table qui tourne ? Des assiettes qui s’envolent ? Un vase qui lévite ? Voilà les pouvoirs surnaturels dont sont tout à coup dotés les objets quotidiens sous l’objectif d'Anna et Bernhard Blume. En élaborant des images irrationnelles et jubilatoires, ce couple de photographes suggérait une critique doucement subversive de la classe moyenne allemande de la fin des années 1970. Plongée dans un « salon en folie ».

± 5 min

Une porte claque, le pied du buffet se met à frapper furieusement le sol, la table commence à tourner, un vase entame une lente lévitation, les corps se contorsionnent. Quel est l’esprit malin qui s’est emparé de cet intérieur petit-bourgeois ? Celui de la dérision sans doute. Depuis la fin des années 1970, Anna et Bernhard Blume proposent, à travers des séries de photographies mises en scène dont ils sont les principaux protagonistes, une critique insidieuse et doucement subversive de la classe moyenne allemande, de ses codes, de ses stéréotypes, de son rapport à la consommation, ou au matérialisme. Ils reconstituent des moments d’irrationalité, de décalage, de dérapage, où les objets du quotidien semblent soudainement animés de pouvoirs surnaturels, comme dans ces phénomènes de « poltergeist » (esprit frappeur) qui ont régulièrement défrayé la chronique dans les années 1970-1980 et sur lesquels les artistes se sont d’ailleurs à l’époque abondamment documentés.

 

Nos lieux de vie sont nos lieux de folie, les choses qui les peuplent sont aussi les objectivations de pulsions mises en sourdine.

Bernhard Johannes Blume

 

Sur la scène allemande de la fin du 20e siècle, les Blume ont occupé une position diamétralement opposée à celle de Bernd et Hilla Becher. Par rapport à ces derniers, qui ont incarné une tendance documentaire, objective et conceptuelle, pour ne pas dire « froide », de la photographie germanique, les Blume contrastent par leurs mises en scènes subjectives, ludiques et souvent pleines d’humour. Le polyptyque de dix photographies grand format (200 × 126 cm), entré dans les collections du Centre Pompidou en 2013, s’intitule d’ailleurs Wahnzimmer. C’est un jeu de mot sur la « salle à manger », qui se dit « Wohnzimmer » en allemand, et le mot « Wahn » qui signifie « démence ». Daté de 1984, il s’inscrit parfaitement dans ce registre de « folie domestique » qui a tant intéressé les artistes. C’est, au dire de plusieurs spécialistes, leur œuvre maîtresse pour cette période, la plus importante de leur carrière artistique qui a malheureusement pris fin en 2011 avec la disparition de Bernhard Blume.

Par son format monumental de plus de douze mètres de long, son importance dans l’évolution de l’œuvre des artistes et sa très grande qualité plastique, la série Wahnzimmer symbolise, dans la collection du Musée, une tendance majeure de la création artistique du siècle dernier. Depuis la Lettre aux voyantes des surréalistes jusqu’aux expériences psychédéliques des années 1970, en passant par l’influence avérée de la théosophie sur Mondrian, Kupka ou Kandinsky, on sait combien les artistes du 20e siècle ont été fascinés par l’occulte. Eux aussi à la recherche de la « transcendance », les Blume ont leur place dans ce cénacle. Ils se décrivent d’ailleurs volontiers comme des « médiums ». ◼