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Portrait de Lek & Sowat par Maya Angelsen

Le Centre Pompidou &... Lek & Sowat

Mêlant abstraction du lettrage, architecture et archéologie, le duo de street artists Lek & Sowat crée une sorte de land art contemporain. Anciens pensionnaires de la Villa Médicis, pionniers de l'exploration des « ruines contemporaines », les graffeurs ont réalisé la fresque visible sur les palissades temporaires qui longent le Centre Pompidou. Ils nous racontent, de son chantier à aujourd’hui, l’importance du bâtiment et du quartier pour leur discipline.

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Pionniers de l’urbex, cette exploration urbaine consistant à parcourir la ville à la recherche de ruines modernes, en France, Lek & Sowat sont ceux par qui le graffiti est entré au Centre Pompidou. Après la très symbolique intégration aux collections du Centre Pompidou de leur œuvre Tracés directs en 2014, ils ont été invités, cinq ans après, à s’exprimer sur le dispositif de voirie sécurisant l’accueil temporaire du public, situé rue du Renard. Tous deux quadragénaires, ils travaillent ensemble depuis 2010 et repoussent les limites du graffiti traditionnel. Mêlant abstraction du lettrage, architecture et archéologie, ils créent une sorte de land art contemporain. En 2012, leur projet Mausolée et l’installation d’une résidence artistique sauvage au cœur d’un centre commercial abandonné proche de Paris, menée avec l'aide d'une quarantaine d'artistes, les fait remarquer hors les murs tagués. Ceux qui deviennent ensuite pensionnaires de la Villa Médicis en 2015 nous racontent, de son chantier à aujourd’hui, l’importance de Beaubourg pour leur discipline.

Sowat — Pour les gens du graffiti, le Centre Pompidou, ou plutôt son chantier et ses palissades des années 1970, sont mythiques. C’est un des spots, avec les travaux de la pyramide du Louvre, qui a vu naître la discipline en France. Parmi eux, Gérard Zlotykamien, qui peignait à la bombe sur ces barrières, ou Ernest Pignon-Ernest et Jean Faucheur, pionniers de ce que l’on appelle aujourd’hui le street art

 

Lek — J’ai aussi été très marqué, alors que j’étais tout gamin, par le travail de l’Américain Gordon Matta-Clark qui réalisa l’un de ses « cuttings », d’immenses trous ronds, dans la façade d’un des immeubles voués à être détruits pour laisser place à Beaubourg. Il n’est pas vraiment estampillé graffiti, mais son travail dans ces lieux abandonnés a pu influencer mon intérêt pour l’exploration urbaine et les ruines contemporaines. C’était fou, comme si un rayon de soleil perçait le bâtiment. Ces artistes vivaient ce que l’on a vécu à nos débuts, ils n’étaient pas reconnus par le monde de l’art et peindre palissades et panneaux publicitaires, mettre leur art là où on ne l’attendait pas, à proximité d’un musée et de ses œuvres, c’était une façon de se signaler, de dire « Nous sommes là aussi ! ». C’est intéressant parce que notre démarche était la même quand nous avons réussi à ce que l’une de nos œuvres, Tracés directs, intègre les collections du Centre Pompidou en 2014. 

Sowat — Aujourd’hui, il y a une reconnaissance et un marché pour le graff, mais il y a encore dix ans, lorsque l’on a commencé à travailler tous les deux, ce n’était pas totalement le cas. Nous qui sommes autodidactes, n’avons pas fait d’école d’art et ne venons pas de ce milieu, avions envie de créer une liaison entre nous, l’extérieur, et le monde de l’art, l’intérieur, celui des institutions, et notamment le Centre Pompidou, premier musée de France.

 

Nous qui sommes autodidactes, n’avons pas fait d’école d’art et ne venons pas de ce milieu, avions envie de créer une liaison entre nous, l’extérieur, et le monde de l’art, l’intérieur, celui des institutions, et notamment le Centre Pompidou, premier musée de France.

Sowat

 

À cette époque, je vivais dans le quartier et nous travaillions beaucoup chez moi sur notre projet Mausolée, pour lequel nous avons investi un centre commercial abandonné dans le nord de Paris, mais aussi réalisé des vidéos. Nous allions souvent voir des expos au Centre – « Simon Hantaï », « Jacques Villeglé » ou, plus tard, « Soulages » m’ont coupé le souffle – et déjeuner sur le parvis en regardant le bâtiment avec envie. 

 

Lek — C’était un des lieux de l’art que nous avions comme objectif avoué, c’est le plus grand symbole de l’acceptation de l’art ; on voulait y entrer ! Pour que nos parents comprennent enfin ce que nous faisions, mais aussi, et surtout, pour que cette validation institutionnelle soit, pour nous, comme pour toute la culture graffiti, une intégration à l’histoire de l’art et un droit à la conservation.

 

Sowat — Futura 2000, Rammellzee ou Lee Quinone… nous regardions les artistes de la première génération du graffiti new-yorkais comme d’autres regardent Michel-Ange ! Pour nous, le seul séisme après l’urinoir de Duchamp, c’est eux ! C’est la bombe aérosol, l’idée de vandalisme, l’obsession de la typographie, du tag, ce nom que l’on se trouve et que l’on répète dans l’espace public afin de se faire connaître. Le premier métro peint de manière abstraite par Futura à New York dans les années 1970 a toute sa place dans ce que l’histoire retiendra de l’art. Sauf que, par définition, c’est une discipline éphémère. 99% des chefs-d'œuvre de cette culture disparaissent purement et simplement. Pour nous, c’est une catastrophe. L’humanité a toujours pratiqué le graffiti. L’art pariétal comme à Lascaux, c’est un mouvement mondial, et notre courant, apparu en France il y a trente ou quarante ans, mais lui aussi planétaire, en est une réactivation. Peu d’arts sont aussi universels. 

 

L’humanité a toujours pratiqué le graffiti. L’art pariétal comme à Lascaux, c’est un mouvement mondial, et notre courant, apparu en France il y a trente ou quarante ans, mais lui aussi planétaire, en est une réactivation. Peu d’arts sont aussi universels. 

Sowat

 

Lek — On voyait des cultures, comme le punk, disparaître et nous ne voulions pas que cela arrive à la nôtre, également poussée vers la sortie par le street art; avec notamment le raz de marée Banksy, et d’autres propositions graphiques, plus ouvertes, moins cryptées. Nous nous sommes alors improvisés médiateurs et cela nous a menés, et le graffiti avec, à la Villa Médicis, au Palais de Tokyo et au Centre Pompidou.

 

Sowat — Nous avons été invités par Sophie Duplaix, conservatrice au Centre Pompidou, à donner une conférence aux côtés de Jacques Villeglé. Et nous sommes tombés amoureux de ce monsieur. Il y a énormément de similitudes dans nos travaux. Comme nous, il extrait des choses de la rue pour en faire des œuvres et, comme nous, a commencé en binôme, avec Raymond Hains. Nous sommes restés en contact avec l’institution, comme avec Jacques, et l’avons invité à participer à notre projet Tracés directs. C’est même lui qui, après le passage de nombreux graffeurs invités à dessiner, puis à être gommés, sur un tableau noir, pose la touche finale de cette œuvre réalisée in situ au Palais de Tokyo en 2013. »

 

Nous avons été invités par Sophie Duplaix, l’une des conservatrices du Centre Pompidou, à donner une conférence aux côtés de Jacques Villeglé. Et nous sommes tombés amoureux de ce monsieur. Il y a énormément de similitudes dans nos travaux.

Sowat

 

Lek — Ce travail sur l’effacement, la fragilité de la trace, et la vidéo de la performance qui l’accompagne ont rejoint, pour notre plus grand bonheur, les collections du Centre Pompidou en 2014. Il nous a, par ailleurs, également inspiré le travail commandé par le Centre Pompidou pour recouvrir la palissade protégeant l’entrée de la rue du Renard, le temps des travaux du parvis. En effet, le courrier officiel reçu lors de l’intégration de Tracés directs mentionnait le texte de son cartel. Cela était si long, si scientifique et si symbolique de la logique interne que nous avons voulu le détourner et l'utiliser à l’extérieur. Notre travail pour ce chantier représente donc le cartel d’une œuvre intitulée J’aurais voulu être un artiste et signée Lek & Sowat. Tout cela sur des palissades anti-graffiti !

Sowat — Le service technique du Centre nous a envoyé à peu près tous les modèles de palissades qu’il était possible d’utiliser avant que nous trouvions celles qui seraient les plus exploitables. C’est assez ironique. Ils nous ont également fait visiter, immense privilège, le toit du musée où j’ai découvert avec étonnement que Renzo Piano et Richard Rogers, les architectes du bâtiment, avaient fait courir les couleurs primaires du Centre, là où personne ne les voit, peu d’appartements donnent dessus. 

 

Lek — Au début, ces couleurs c’était de la signalétique (vert pour les circuits d’eau, jaune pour l’électrique, bleu pour la climatisation et rouge pour les liens de communication, ndlr), puis c’est devenu artistique. On a alors souhaité les faire descendre jusque dans la rue et les apposer sur nos palissades. Cela crée un effet camouflage, nous aimons intégrer notre travail à son environnement. Ces aplats de couleurs permettent également de donner un rythme à cette très longue palissade de 280 mètres recto-verso.

 

Sowat — Comme l’arrière du Centre Pompidou est son endroit le plus vandalisé et que le mobilier urbain attire, de facto, les graffeurs, on savait surtout que notre travail allait être « toyé », c’est à dire que d’autres allaient venir taguer sur notre travail. Nous avons donc choisi de développer une typographie plus qu’une proposition abstraite qui n’aurait servi que de toile de fond pour les autres. Les zones de couleurs servent alors d’espaces où s’accumulent esthétiquement les autres graffitis. Ce que nous ne savions pas, en revanche, c’est que notre palissade allait être au cœur d’une manifestation des Gilets Jaunes en décembre 2019 et qu’elle allait même servir de bouclier. Nous travaillons sur un film à ce sujet. Un objet usuel devenu une œuvre pour Pompidou qui redevient utilitaire, la boucle est bouclée ! ◼