Le printemps comme une célébration chez David Hockney
« L’amour de la Nature est enraciné en chaque homme : sa recherche est assurément une voie qui conduit au bonheur. »
John Constable, lettre à John Fischer, 26 avril 1826
Durant l’année 1997, David Hockney séjourne durablement dans le Yorkshire. Chaque jour, il se rend de Bridlington, sur la côte de la mer du Nord, à York, où est hospitalisé son ami Jonathan Silver. Ses allers et retours réguliers sur la route qui traverse Sledmere et les collines de Garrowby lui inspirent une première série de paysages, dans lesquels il transpose à la campagne anglaise la lumière, les couleurs de la Californie.
Huit ans plus tard, Hockney s’installe à Bridlington, cette fois, pour plus d’une décennie. Ses promenades lui font retrouver les sites de son enfance, ceux des étés passés dans les fermes de ce nord-est du Yorkshire. L’exposition que la Tate Britain consacrait en 2006 aux paysages de John Constable venait à point nommé réactiver à sa mémoire la tradition du grand paysagisme anglais. L’exposition s’attachait en particulier aux études de Constable dont la liberté de facture annonce l’impressionnisme.
Pour Hockney qui, depuis la fin des années 1960, vit dans une Californie à la végétation perpétuellement luxuriante, la campagne anglaise devient une vaste horloge cosmique, qui ponctue avec régularité le passage des saisons. Le printemps y est particulièrement éphémère et spectaculaire. Après avoir littéralement « manqué » à plusieurs reprises les premières fleuraisons, Hockney décide d’une stratégie.
J’avais en tête d’enregistrer l’arrivée du printemps en 2011, ayant pu l’observer depuis sept années à Woldgate dans un petit chemin allant de Bridlington à Woldgate.David Hockney dans le catalogue A Bigger Picture
Le spectacle de l’explosion printanière requiert une mise en scène à laquelle Hockney donne la forme d’un long crescendo. Armé de son iPad, de janvier à juin 2011, il multiplie les études, scrutant les métamorphoses de la végétation bordant la petite route.
Point d’orgue du cycle d’images que Hockney voue à la célébration du printemps, The Arrival of Spring in Woldgate est un aboutissement, une œuvre de synthèse. Au centre de la composition, un chemin presque perspectiviste suggère une profondeur que dément radicalement la planéité affirmée du rendu de la forêt. Un souci de vérisme botanique qu’illustrent les herbes du premier plan, contraste avec la stylisation « matisssienne » de la frondaison.
La richesse ornementale de The Arrival of Spring, qui égale celle des œuvres de Gustav Klimt, inspire un ravissement que traduit en termes lyriques le rédacteur du livret d’accompagnement de son exposition à la Royal Academy. « Vous, invisibles spectateurs, vous trouvez sur le chemin, marchant dans une forêt aux couleurs vives vers un endroit plus fascinant que tous ceux que vous avez connus jusque-là. Nous, les spectateurs, sommes ici, face à un chemin conduisant aux couleurs chatoyantes qui sont celles d’un paradis terrestre. »
La fascination, la séduction qu’exerce sur ses spectateurs The Arrival of Spring tient à une écriture picturale, à une richesse chromatique, puisées chez Van Gogh et les Fauves.
La fascination, la séduction qu’exerce sur ses spectateurs The Arrival of Spring tient à une écriture picturale, à une richesse chromatique, puisées chez Van Gogh et les Fauves; elle tient aussi au savoir accumulé par Hockney dans l’art du décor d’opéra, dans celui de la mise en scène.
Avec les jeux de perspective complexes (perspective inversée et autres…), le format monumental est un des ressorts auquel recourt le peintre pour impliquer physiquement ses spectateurs, pour les « absorber » dans ses œuvres.
Comme ses vues de buildings, comme ses piscines des années 1960 qui appliquaient au monde visible les données plastiques et phénoménologiques de la peinture abstraite de son temps, The Arrival of Spring poursuit le dialogue de David Hockney avec les œuvres de l’expressionnisme abstrait qu’il avait admirées à Londres à la fin des années 1950.
L’absorption physique de leurs spectateurs que provoquent les toiles de Jackson Pollock, le vertige « sublime » qu’inspirent celles de Barnett Newman, se voient ici mis au service du grand hymne panthéiste que David Hockney consacre au sacre du printemps. ◼
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David Hockney, The Arrival of Spring in Woldgate, East Yorkshire in 2011 (2011)
© David Hockney