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Thomas Hirschhorn, "Outgrowth", 2005

Le prix Marcel Duchamp s'expose pour ses vingt ans

Mettre en avant la jeune création française dans toute sa diversité, telle est l’ambition du prix Marcel Duchamp qui a fêté en 2020 ses vingt printemps. Pour célébrer cet anniversaire, le Centre Pompidou lui consacre une exposition-hommage : « Accrochage 20 ans du prix Marcel Duchamp ». Le florilège des œuvres présentées dialogue avec les collections, comme un hommage au travail de ces artistes devenus incontournables.

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De Thomas Hirschhorn à Éric Baudelaire, les œuvres des dix-neuf lauréats ou lauréates des précédentes éditions du prix Marcel Duchamp, de 2000 à 2019, émaillent le parcours des collections contemporaines du Musée, au niveau 4. Les candidats et candidates de l’édition 2020, dont Kapwani Kiwanga est l’heureuse lauréate avec son œuvre Flowers for Africa, sont pour leur part exposés ensemble en Galeries 3 et 4. « C’était vraiment une volonté de notre part d’intégrer les œuvres de cet accrochage des vingt ans du prix Marcel Duchamp aux collections contemporaines. Elles sont placées en résonance avec des œuvres plus anciennes et dialoguent ainsi entre elles », explique Nicolas Liucci-Goutnikov, commissaire de l’exposition.

 

 

Les pièces présentées, qui ne sont pas nécessairement celles pour lesquelles les artistes ont été sacrés l’année du Prix, ont été articulées « de sorte à montrer la porosité entre les acquisitions du Musée et le Prix lui-même », toujours selon Nicolas Liucci-Goutnikov. Une façon de rappeler que le prix Marcel Duchamp fut, dès sa première édition en 2000, pensé en partenariat étroit avec le Centre Pompidou, afin d’offrir aux artistes lauréats un espace d’exposition et, à terme, une plus grande visibilité. Devenu en vingt ans d’existence un véritable rendez-vous pour collectionneurs et amateurs passionnés, ce Prix est la récompense la plus prestigieuse attribuée en France à un artiste vivant.

Dominique Gonzalez-Foerster, Julien Prévieux, Mircea Cantor, Clément Cogitore, Kader Attia… de grands noms ont reçu ce trophée, équivalent du Turner Prize Outre-Manche, que Fabrice Hyber a matérialisé avec humour, en affublant d’un marcel blanc une bouteille enfermée dans une boîte à la couleur de son fameux vert électrique. À l’origine de ce prix, Gilles Fuchs, collectionneur passionné et ancien président de la maison Nina Ricci. Dans les années 1990 il réalise que la scène hexagonale s’est complètement effacée sur le plan international à tel point que Marcel Duchamp, père des ready-made, est purement et simplement considéré comme américain par le Museum of Modern Art (MoMA). Il faut dire que l’artiste, français de naissance, s’était installé aux États-Unis dès 1915.

 

Accompagné de l’historien de l’art Daniel Abadie, à qui l’on doit notamment les fameuses expositions « Paris-New York » (1977) ou « Dalí » (1979) au Centre Pompidou, de la critique d’art Catherine Millet et du galeriste Daniel Templon, il fonde en 1994 l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (Adiaf), afin d’enrayer cette tragédie loin d’être inéluctable. « Quand un artiste français était au catalogue d’une maison de ventes internationale comme Christie’s ou Sotheby’s, on criait victoire. C’était le désert ! Duchamp et Matisse, stars de la fin du 19e siècle, s’étaient éteints à la fin des années 1960 et Dubuffet avait disparu en 1985… Les Nouveaux Réalistes, Supports/Surfaces ou la Figuration libre, ne faisaient pas le poids devant la prédominance du Pop Art. Même le MoMA décrochait ses Soulages », se remémore Gilles Fuchs.

 

À l’origine du prix Marcel Duchamp, Gilles Fuchs, collectionneur passionné qui réalise dans les années 1990 que la scène hexagonale s’est complètement effacée sur le plan international.

 

 

Signe d’un succès avéré, l’association venue à la rescousse d’un art français en mal de représentation et de promotion à l’international, lancée initialement par cinq personnes, compte aujourd’hui plus de quatre cents membres. Une ambition renforcée par la création, seize ans plus tard, d’un événement traditionnellement inscrit au calendrier de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) : le prix Marcel Duchamp. Depuis 2000, il vient récompenser chaque année le meilleur de la création française de demain.

 

« Dès le départ, il s’agissait de montrer comment, en France, une diversité de pratiques est accueillie, non seulement du point de vue des disciplines elles-mêmes que de l’héritage culturel porté par chacun des artistes », explique Nicolas Liucci-Goutnikov. Et contrairement aux idées reçues, « l’art contemporain ne naît pas de nulle part, il n’est pas un art de pure rupture ». Un point important qui explique pourquoi les œuvres des artistes lauréats, au lieu d’être regroupées dans un espace isolé, ont au contraire été mêlées et immergées au sein de la collection, signes d’une histoire qui continue de s’écrire.

 

Un dialogue sous le signe de l’ouverture des possibles où le duo Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (prix Marcel Duchamp 2017) se heurte à la célèbre installation One and Three Chairs de Joseph Kosuth, l’enseigne lumineuse Caractères de Mathieu Mercier (2003) fait écho à Marcel Broodthaers ou encore les Quatre Z’Eléments : Air, Eau, Feu, Pierre de Philippe Mayaux se confrontent au Magasin de Ben, bric-à-brac géant aux allures de ready-made duchampien.

Premier lauréat historique, Thomas Hirschhorn est connu pour ses œuvres volontairement artisanales et bricolées. Outgrowth, enchevêtrement de globes terrestres aux excroissances notables, en est l’incarnation même. À la fois fragile et monumental, son travail est à l’image de notre monde : en décrépitude. S’il n’en était qu’à ses débuts à l’époque où il fut primé par une poignée de collectionneurs, l’artiste reconnaît sans hésitation que le prix Duchamp « a indéniablement aidé au fait qu’on prenne (s)on travail au sérieux, en tout cas beaucoup plus au sérieux qu’auparavant. » Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, duo d'artistes franco-libanais récompensé en 2017, abondent également en ce sens, précisant que bien « qu’ayant gagné d’autres prix, c’est le seul qu’ils voient mentionné désormais dans les textes qui leur sont consacrés et dans leurs biographies. » Preuve que ce prix jouit d’une renommée avérée aux yeux de toutes et tous.

 

Lauréat 2014, Julien Prévieux se joue des codes qui régissent le monde du travail, l’économie et la politique en les détournant avec une incroyable autodérision. De ses lettres de non-motivation hilarantes à ces gestes filmés, petits soubresauts dans un univers normé, « qu’il s’agisse de se frotter le front, d’un vol à la tire ou d’un simple regard », chez lui, « tout peut devenir une œuvre d’art ». Avec son abécédaire de photographies de logos composés d’une seule lettre, Claude Closky (2005) critique avec humour la société de consommation. En 2019, Éric Baudelaire succède à Clément Cogitore qui, tout comme lui, affiche une pratique artistique multi-support alliant films, vidéos, photographies et installations en tout genre pour dresser le portrait des problématiques sociales et des phénomènes politiques contemporains.

 

De leur côté, Cyprien Gaillard (2010) et Tatiana Trouvé (2007) interrogent la question de la mémoire en collectant des souvenirs voués à disparaître, quand Laurent Grasso (2008) et Melik Ohanian (2015) se retrouvent autour de l’art et des sciences. Une structure lumineuse pour l’un, telle une métaphore poétique de la surveillance généralisée, un dessin mural composé de douze LED pour l’autre, transformant des données climatologiques en image scintillante. La pratique picturale se cristallise quant à elle autour de deux femmes : Carole Benzaken (2004) et ses images-réalités tirées de son quotidien à Los Angeles, et Latifa Echakhch (2013) artiste franco-marocaine à l’engagement non dénué de poésie.

Depuis 2016, le Centre Pompidou invite les quatre finalistes du Prix à exposer leur travail – une première pour certains –, permettant à un large public de découvrir, pendant trois mois, leurs réalisations. Une formule permettant de renforcer une fois de plus la visibilité de leurs œuvres, puisque, jusqu’en 2016, seul le lauréat bénéficiait d’un espace d’exposition durant les quatre jours de la Fiac. Au-delà de l’exposition au Centre Pompidou et du catalogue associé, les artistes du Prix bénéficient également d’un accompagnement de l’Adiaf pour des expositions à l’international. Le prix Marcel Duchamp devenant ainsi, au fil des années et des expositions, un véritable ambassadeur de la scène hexagonale.

 

Depuis 2016, le Centre Pompidou invite les quatre finalistes du Prix à exposer leur travail, permettant à un large public de découvrir, pendant trois mois, leurs réalisations.

 

 

Le 7 janvier dernier, en direct via Instagram, Gilles Fuchs a présenté, pour la dernière fois en tant que président, les quatre artistes sélectionnés pour la 21e édition du prix Marcel Duchamp. Deux femmes et deux hommes, un souci de parité devenue une tradition, et une moyenne d'âge de 40 ans : Julian Charrière, Isabelle Cornaro, Julien Creuzet et Lili Reynaud Dewar. L’avocat de formation a en effet passé le flambeau de la présidence de l’Adiaf, trois semaines plus tard, à Claude Bonnin. Cet ingénieur qui a fait toute sa carrière chez Saint-Gobain dévoilera le nom de l’heureuse ou l'heureux élu(e) en octobre prochain, pendant la Fiac, date à laquelle l’ouvrage de Bernard Marcadé sur les vingt ans du Prix sortira. Un beau programme en perspective ! ◼

Les lauréat(e)s du prix Marcel Duchamp

 

Artistes de nationalité française, ou artistes étrangers résidant en France, travaillant dans tous les domaines des arts plastiques et visuels (installation, vidéo, peinture, photographie, sculpture ou performance), les lauréates et lauréats du prix Marcel Duchamp sont représentatifs de la richesse de la création contemporaine française et de la diversité de ses pratiques. 

 

Les quatre artistes nommés pour chaque édition, choisis dans un premier temps par un comité de collectionneurs, à la suite d’un vote auquel tous les membres de l’association sont invités à participer, sont ensuite départagés par un jury international réunissant des conservateurs et conservatrices de grandes institutions, des collectionneurs et collectionneuses français et étrangers, changeant chaque année. Le résultat de cette sélection donne à voir un panorama ouvert et pluriel de la scène artistique française.

 

Thomas Hirschhorn (2000 - 2001)

Dominique Gonzalez-Foerster (2002)

Mathieu Mercier (2003)

Carole Benzaken (2004)

Claude Closky (2005)

Philippe Mayaux (2006)

Tatiana Trouvé (2007)

Laurent Grasso (2008)

Saâdane Afif (2009)

Cyprien Gaillard (2010)

Mircea Cantor (2011)

Daniel Dewar et Grégory Gicquel (2012)

Latifa Echakhch (2013)

Julien Prévieux (2014)

Melik Ohanian (2015)

Kader Attia (2016)

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (2017)

Clément Cogitore (2018)

Éric Baudelaire (2019)

Kapwani Kiwanga (2020)

Chiffres-clés du prix Marcel Duchamp

 

20 éditions, 20 lauréat(e)s

85 artistes distingués depuis 2000

70 personnalités du monde de l’art ayant participé au Prix (jury, rapporteurs…)

50 expositions organisées autour des artistes

50 artistes et 140 œuvres présentés à l’étranger lors des expositions internationales