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Opération sauvetage réussie pour trois tableaux du musée Sursock

Gravement endommagés par le souffle de l'explosion accidentelle qui a ravagé la capitale du Liban en août 2020, trois tableaux emblématiques du musée Sursock de Beyrouth ont été restaurés par les équipes du Centre Pompidou. Ils retrouvent enfin les cimaises du célèbre musée d'art moderne du Liban, qui rouvre le 26 mai 2023. Retour sur une périlleuse mission de sauvetage avec Véronique Sorano-Stedman, cheffe du service restauration.

± 5 min

Le 4 août 2020 à 18h07, une explosion massive provenant du port de Beyrouth détruisait une grande partie de la ville. Situé à seulement huit cent mètres de la déflagration, le musée Sursock a été grièvement touché. Palais de style vénitien et ottoman construit en 1912, devenu un musée près de cinquante ans plus tard selon le vœu de son propriétaire le collectionneur Nicolas Sursock, le musée Sursock rassemblait une vaste collection d'art moderne. Quarante œuvres  – sur un total de cent trente-trois exposées – ont subi des dommages à des degrés divers. Le Centre Pompidou a alors pris en charge la restauration de trois peintures gravement altérées. Retour sur une mission de sauvetage avec Véronique Sorano-Stedman, cheffe du service restauration.

Pamela Sticht — Comment l'aide du Musée national d'art moderne s'est-elle mise en place ?

Véronique Sorano-Stedman — Il semble que la France soit le pays qui a réagi en premier à l’annonce de cette catastrophe en proposant ses services. L’Institut du patrimoine (INP), la Cité de l’architecture et du patrimoine - école de Chaillot, l’Institut du monde arabe (IMA), l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) et le Musée des civilisations de l'Europe et de la méditerranée (Mucem) se sont manifestés, mais c’est d’abord le directeur du Musée national d'art moderne qui a pris contact avec la directrice du musée Sursock pour évoquer la possibilité de se rendre sur place, interpellé par l’ampleur des dégâts. Elle a estimé que la contribution la plus utile pouvait être la prise en charge de quelques tableaux très endommagés au sein des ateliers de restauration du Centre Pompidou.


Comment avez-vous procédé pour décider de la procédure à suivre ?
Véronique Sorano-Stedman —
Les trois œuvres choisies par la directrice du musée Sursock présentaient des altérations de différentes natures, affectant à la fois les supports de toile et les couches picturales. L’impact visuel des dommages était cependant un peu différent pour chacune. Le portrait du collectionneur d'art Nicolas Ibrahim Sursock par Kees Van Dongen comportait une déchirure complexe en partie supérieure, très gênante visuellement en raison de sa longueur et de sa localisation sur un fond assez lisse. Le Portrait d’Odile Mazloum par Cici Tomazeo Sursock présentait de multiples perforations et une perte d’adhérence généralisée entre support et couche picturale. Enfin, l'œuvre Consolation de Paul Guiragosian avait perdu une grande partie de sa matière en relief, comme soufflée par l’explosion. Concernant cette dernière peinture, la directrice a souhaité que subsiste un témoignage de la violence de l’explosion. C’est pourquoi nous avons recherché une solution permettant de ne pas masquer les manques, mais d’en atténuer la gêne visuelle pour maintenir un équilibre entre l’intégrité esthétique de la peinture et son histoire matérielle.

 

Nous avons recherché une solution permettant de […] maintenir un équilibre entre l’intégrité esthétique de la peinture et son histoire matérielle.

Véronique Sorano-Stedman

Comment pourrait-on décrire ce qui a été fait pour chaque tableau ?
Véronique Sorano-Stedman — Les tableaux ont été répartis entre les trois restauratrices de peinture au sein du service. Les solutions techniques adoptées ont été différentes selon la nature des altérations, mais se rejoignaient sur le consensus de rétablir une cohésion structurelle entre les couches peintes, de consolider les déchirures et les perforations de façon durable et de réintégrer les accidents visibles de façon illusionniste. L’emploi de matériaux réversibles et compatibles avec l’aspect des couches de surface a aussi fait partie de la démarche. Cependant, en restauration, il peut y avoir plusieurs réponses techniques à un problème et chaque restauratrice a assumé ses propres choix de traitements, en particulier concernant les supports de toile. Le tableau Portrait d’Odile Mazloum, par exemple, a dû faire l’objet de traitements plus généralisés comme le renfort par doublage de la toile d’origine, en raison du nombre d’impacts et de déformations, ainsi qu’une imprégnation de consolidant pour rétablir l’adhérence de la peinture à la préparation et au support.

 

Combien de temps a duré la restauration ?

Véronique Sorano-Stedman — Les peintures sont demeurées près d’un an dans les ateliers du Musée national d’art moderne à Paris, le service de restauration ayant souhaité prendre le temps de la concertation en interne et avec l’équipe de restauration du musée Sursock. Il faut aussi souligner, dans le cas d'œuvres très endommagées, que la prudence est de mise. Elle impose de vérifier les traitements de refixage ou de reprise de déformations sur un temps long. Ils peuvent parfois avoir été insuffisants, et il faut alors réitérer les opérations. 

 

Rendre justice aux œuvres en leur permettant de retrouver un état esthétique proche de l’état d’origine est toujours une immense satisfaction.

Véronique Sorano-Stedman

 

Restaurer une œuvre est un long processus qui ressemble parfois à « soigner un blessé ». Comment a été vécue cette restauration particulièrement importante ?
Véronique Sorano-Stedman — Rendre justice aux œuvres en leur permettant de retrouver un état esthétique proche de l’état d’origine est toujours une immense satisfaction. S’y ajoute aussi parfois la joie de l’artiste ou du collectionneur. Invitée récemment au musée Sursock pour présenter en public les restaurations effectuées au Musée national d’art moderne, j’ai ainsi pu rencontrer le modèle du portrait de Cici Tomazeo Sursock, Odile Mazloum, elle-même galeriste et artiste. Son émotion à la vue des dommages subis par le tableau et sa restauration est un moment inoubliable qui nous conforte dans l’utilité de nos missions. Les échanges avec nos homologues du musée Sursock nous ont permis de mesurer le privilège que nous avons d’œuvrer sur une collection aussi diversifiée que la nôtre ; cela contribue au développement de notre expertise comme à son rayonnement à l’étranger. ◼