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Sayed Haider Raza, les lieux de l'abstraction

Reconnu comme l'un des plus grands peintres modernes indiens, Sayed Haider Raza fait partie d'une génération d'artistes cosmopolites. Après avoir créé le Progressive Artists' Group (PAG) en 1947, à Bombay, il s'installe à Paris en 1950, où il vit et travaille jusqu'en 2011. Cette exposition, qui rassemble une centaine d'œuvres, suit les développements formels et conceptuels du travail de Raza, exemplaire des dynamiques transculturelles dans l’art du 20e siècle. Présentation par les commissaires, Catherine David et Diane Toubert.

± 5 min

Figure majeure de l’art moderne indien, Sayed Haider Raza (1922-2016) suit une trajectoire oblique sur la scène internationale. En Inde, où le recours à la figure et la narration domine en peinture, il est l’un des rares représentants d’un art abstrait de paysage. En France, où il vit plus de soixante ans à partir de 1950, il est d’abord associé à l’École de Paris avant d’incarner, par le recours au motif symbolique du bindu (« graine », « point », « goutte » en sanskrit), une synthèse entre tradition euro-américaine de l’abstraction et spiritualité indienne. De fait, singulièrement « autre » en France comme en Inde, Raza ne regarde jamais là d’où on le voit : son œuvre est traversé de multiples dynamiques transculturelles dont l’exposition restitue la diversité et les nuances.

 

Les années de formation de S.H. Raza en Inde s’inscrivent dans le climat d’effervescence artistique et politique de Bombay à l’heure de l’Indépendance et de la Partition.

 

Les années de formation de S.H. Raza en Inde s’inscrivent dans le climat d’effervescence artistique et politique de Bombay à l’heure de l’Indépendance et de la Partition, dans un contexte économique marqué par la porosité entre activité commerciale et recherche plastique. L’enseignement que Raza reçoit à la Sir J.J. School of Arts, distinct des canons esthétiques nationalistes de l’École du Bengale, porte une attention renouvelée aux formes des sculptures classiques et des miniatures indiennes. Les expérimentations plastiques du Progressive Artists Group (PAG) dont Raza est membre fondateur en 1947 dessinent les contours d’une génération d’artistes cosmopolite, attentive aux avant-gardes européennes autant qu’à l’art classique indien et déterminée à inventer et à faire connaître de nouvelles formes d’expression.

À Paris, Raza consacre ses recherches picturales au paysage. Il s’inspire de l’espace bidimensionnel des miniatures indiennes et des icônes byzantines, des sculptures romanes et des primitifs siennois lorsqu’il représente les villages médiévaux de la région de Menton. Si la palette chaude aux complémentaires vibrantes et la touche expressive de la série d’églises qu’il peint ensuite évoquent Vincent Van Gogh et Paul Gauguin, elles reflètent aussi ses affinités avec Francis Newton Souza, compagnon du PAG qu’il retrouve à Paris. Raza rencontre en 1955 la galeriste Lara Vincy, qui le représente dès lors et œuvre avec détermination à sa reconnaissance. Le passage à la peinture à l’huile, travaillée au couteau, favorise la dissolution du motif dans la matière picturale et un rapprochement avec le style des peintres de l’École de Paris lui assurant de premiers succès auprès du milieu artistique parisien, qui lui décerne le prix de la critique en 1956, suivi de premières expositions internationales.

Les principes de composition des miniatures rajputs des écoles Mewar, Malwa et Bundi des 16e et 17e siècles et les peintures ragamalas, qui célèbrent la sensualité de la nature par d’intenses gammes chromatiques, inspirent à Raza des solutions abstraites. La peinture, empreinte de qualités émotives et sensibles, devient un « paysage de l’esprit ».

 

Les ragamalas associent la musique à la poésie et la poésie à la peinture. D’après les principes du râga, la mélodie, l'humeur d'un moment de la journée ou d'une saison est incarnée dans une peinture […]. Le râga colore l'esprit d'une certaine humeur. Le râga, c’est l'extase !

Sayed Haider Raza

 

Ces préoccupations rencontrent l’amplitude gestuelle et la portée spirituelle des œuvres de l’expressionnisme abstrait américain (Hans Hofmann, Sam Francis et Mark Rothko notamment), que Raza fréquente lors d’un séjour aux États-Unis en 1962. Il produit une série de toiles majeures intitulées La Terre, variations magnétiques et crépusculaires épuisant la thématique de son attachement au sol natal. Le noir, « couleur mère » dans la pensée indienne, acquiert une profondeur et une densité qui culminent dans le recours systématique à partir des années 1980 au motif géométrique et symbolique du bindu. ◼