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Portrait de l'artiste et poétesse Cameron

Sur les traces de l'artiste Cameron, « sorcière » et pionnière du féminisme

Créatures fantastiques et personnages ésotériques hantent les œuvres de Cameron. Artiste avant-gardiste, poétesse proche de Kenneth Anger ou Dennis Hopper, cette Américaine incarne à merveille la figure mystique de la « sorcière » comme pionnière du féminisme. Grâce à la bourse des amis du Centre Pompidou, la chercheuse Jeanne Rethaker a pu rencontrer en Californie l'artiste George Herms. Compagnon d'aventures de Cameron (disparue en 1995), il en brosse un portrait sensible et personnel.

± 7 min

À l’automne 2018, grâce la bourse Mission Recherche des amis du Centre Pompidou, j’ai eu l’occasion de voyager aux États-Unis, et de continuer mon travail sur l’artiste et occultiste Cameron (1922-1995), d’étudier les archives de la Cameron-Parsons Foundation à Santa Monica et celles du Getty Research Institute à Los Angeles, mais également d’entrer en contact avec des chercheurs et proches de l’artiste. Avec l’aide de Nicole Klagsbrun, j’ai eu la chance de rencontrer l’assemblagiste George Herms, chez lui à Irvine en Californie. Il m’a gentiment accordé un entretien, entouré de ses plus récentes junk sculptures, afin de me parler de Cameron, avec qui il se lia d’amitié à Los Angeles dans les années 1950, au sein d’un groupe de poètes et d’artistes bohèmes.

Cameron par George Herms, le 8 octobre 2018, à Irvine (Californie)

 

« J’étais un tout jeune homme quand j’ai rencontré ces artistes. Je ne connaissais rien. J’avais commencé des études d’ingénieur mais au fond de mon cœur, j’étais un poète. La bohème m’attirait. J’ai abandonné mes études et, d'un seul coup, j'ai rencontré des gens qui avaient une dizaine d'années de plus que moi et qui étaient photographes, peintres, poètes et musiciens de jazz. J'étais comme une ardoise vierge, je ne suis allé dans aucune école d'art, je me suis contenté d’imiter ces gens qui se sont tous avérés être de fantastiques géants de créativité. Comme l’a dit Diane de Prima, la Beat Generation n'était pas une génération, c'était un état d'esprit, une approche de la vie.

 

J’avais commencé des études d’ingénieur mais au fond de mon cœur, j’étais un poète. La bohème m’attirait.

George Herms


Wallace Berman représentait le summum de la créativité de cette époque-là, dans le mouvement des assemblagistes, avec Bruce Conner. En photographie, il y avait Edmund Teske et Charles Britton. Mais Cameron était Cameron, sa poésie et ses peintures étaient uniques. Je l'ai entendue lire de la poésie dans les années 1950, j'étais assez jeune et j'ai trouvé ça merveilleux. Elle a lu ce magnifique poème imaginaire à la bougie, c'était fascinant. La poésie de Cameron m'a ouvert des portes. 


Ma relation avec elle était amicale. Je passais chez elle et nous fumions ensemble. Elle aimait fumer de l'herbe, pas trop forte, mais elle aimait que l'effet soit constant. Elle a également essayé le peyotl. Elle voyait des choses, sous l’effet de la drogue, même si ses œuvres ne découlaient pas toujours de ces visions. J'ai essayé aussi. Je me suis juste détendu et j’ai apprécié. C’est après que l’on se met à dessiner.


De nombreux amateurs de sciences occultes voudraient en faire une sorcière mais je la connaissais en tant que personne et en tant qu’artiste. Pour Halloween, il y avait toujours des équipes de télévision devant chez Cameron. On la voyait comme une sorcière mais ça l'ennuyait vraiment, elle n'aimait pas du tout ça. Elle disait toujours : "la vraie magie est dans les poèmes et dans les peintures." Les journalistes étaient vraiment déçus. Elle ne pratiquait la magie qu’en privé. En 1957, ma première femme et moi sommes allés rendre visite à Cameron à Los Angeles, avec les Berman. Ma femme a ouvert un petit placard, qui contenait son sanctuaire secret, avec ses cartes astrologiques, ses œuvres, etc. Je suis allé fermer la porte car c'était personnel. Il y a eu une forte vague d'intérêt pour ce qu'on appelle l'occulte, avec Cameron, Wallace Berman, David Meltzer, qui ont exploré le côté spirituel de la vie. Berman parlait toujours de la Kabbale et Cameron travaillait sur l'occultisme et la magie. C'était une tradition liée notamment à William Blake. Cameron était censée aller rencontrer Aleister Crowley en Europe, il exerçait une énorme attraction. Mais elle s'est attardée à Paris en écoutant du jazz et Crowley est mort entre-temps.

San Miguel de Allende était un paradis pour les expatriés. C’était l'équivalent du quartier français de la Nouvelle-Orléans, ou de Greenwich Village à New York, c'était la bohème avant la Beat Generation. Leonora Carrington était là aussi, peut-être qu'elles se sont rendu visite. Cameron ne m'en a jamais parlé, mais plus tard j'ai reconnu des similitudes dans leurs dessins. Il y avait quelque chose d'étrange et d’ensorcelant dans la poésie et les dessins de Cameron.

 

Elle a été une pionnière du féminisme (…). Elle était unique et elle gravitait au milieu d'un boys club, mais sur un pied d'égalité, en tant qu'artiste et en tant que poétesse.

George Herms


Elle a été une pionnière du féminisme, en particulier avec l’enregistrement radiophonique de Woman and Super-Woman du Dr A. S. Raleigh. Elle était unique et elle gravitait au milieu d'un boys club, mais sur un pied d'égalité, en tant qu'artiste et en tant que poétesse. Je pense qu'elle a continué à faire ce qu'elle voulait faire de sa vie. Je sais que l'astrologie y jouait un rôle important. Cameron était une astrologue accomplie. Sur son lit de mort, elle m'a interrogé sur mon thème astral. Je lui ai donné les informations et elle était capable d'expliquer ce qu’elles signifiaient. Elle avait servi dans la marine et ce qu'elle y faisait était très structuré. C'est certainement ce qui a conduit aux dessins qu'elle a réalisés, comme la série "Pluto Transiting the Twelfth House". Il y a quelque chose de presque maniaque dans cette série. Cela me fait penser à des dessins scientifiques. La douzième maison est votre karma résiduel, tout ce dont vous n'avez pas pris soin dans votre vie apparaît à ce moment-là.


Elle a peint un portrait de moi. Elle venait tout le temps dans mon atelier, et un jour, elle m'a envoyé une lettre disant qu'elle voulait faire un portrait. Nous sommes allés dans mon atelier et elle a peint sur l'un de ces papiers peints verts. Elle aimait travailler sur des matériaux trouvés, des papiers peints, par exemple. Ce n'était que des échantillons qu'elle gardait. J'ai vu un de ses livres, sur Abraham Lincoln, elle y avait fait des dessins à l'encre et une sorte de pentagramme. Elle a également fait de superbes dessins en utilisant des encres colorées, comme ses œuvres Fairy Queen et Fairy King, et toute la série intitulée "The Lion Path". » ◼

Artiste et poétesse, Marjorie Cameron (née en 1922, à Belle Plaine, Iowa), dite Cameron, s’installe en Californie après le Seconde Guerre mondiale, où elle découvre les milieux underground de l’époque, la scène jazz et les mouvements occultes. En 1946, Cameron rencontre son futur époux Jack Parsons, scientifique pionnier de l’aérospatiale américaine et dirigeant de l’Agape Lodge, branche californienne de l’Ordo Templi Orientis (O.T.O.) d’Aleister Crowley, qui guidera son apprentissage des arts occultes et de ses rituels magiques. Cameron se rend au Mexique à la fin des années 1940, dans la colonie artistique de San Miguel de Allende. Puis, au début des années 1950, elle commence à fréquenter un groupe de poètes et d’artistes bohèmes et rencontre notamment Wallace Berman, Robert Alexander et George Herms, qui marqueront particulièrement son œuvre, dans laquelle mots et images s’entremêlent régulièrement. Ses peintures et dessins sont peuplés de créatures fantastiques et de symboles ésotériques. Elle s’intéresse également au rôle de la femme dans la société et dans la spiritualité, faisant de la figure proto-féministe de la sorcière un personnage important de son iconographie. Par ailleurs, elle joue dans plusieurs films indépendants de l’époque : elle est la Femme écarlate dans Inauguration of the Pleasure Dome (1954) de Kenneth Anger, et Curtis Harrington consacre en 1955 un court métrage à son œuvre (The Wormwood Star), avant de lui donner un rôle dans Night Tide (1961) aux côtés de Dennis Hopper. Elle décède en 1995 à Los Angeles.

George Herms (né en 1935, à Woodland, Californie) rencontre les artistes et poètes de la Beat Generation au mitan des années 1950, et devient l’un des membres fondateurs du mouvement assemblagiste de la côte ouest américaine, avec Wallace Berman, Bruce Conner et Jess. Influencé par la poésie et le jazz, Herms crée sculptures, collages, peintures, installations et poésies, avec des objets trouvés et mis au rebut. Membre d’un groupe d’artistes bohèmes et communautaires, il photographie ses amis artistes et poètes, dont Cameron, à de nombreuses reprises, et celle-ci lui consacre un portrait en 1967. Depuis les années 1970, il donne des cours dans plusieurs universités californiennes, et devient artiste en residence à l’université de Denver en 1981, à la Robbins Foundation à Philadelphia en 1991, et à l’Otis College of Art and Design à Los Angeles en 1994. En 1982, il est également lauréat du Guggenheim Fellowship et du prix de Rome américain. Aujourd’hui, Herms vit et travaille à Irvine, en Californie.

Créé en 2019, Mission Recherche est le comité des amis du Centre Pompidou en faveur de la recherche scientifique en histoire de l’art. Ses membres financent chaque année de une à cinq bourses permettant à un jeune chercheur d’accomplir, sous la direction d’un conservateur, une mission orientée vers des perspectives d’acquisition, à travers des études de terrain, l’étude d’archives, la réalisation d’entretiens ou de traductions inédites.