Skip to main content

Les protagonistes du projet

L'architecture du Centre Pompidou

Beaubourg, une œuvre collective

Le Centre Beaubourg, aujourd’hui Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, dans sa nature de centre polyvalent dédié à l’art et à la culture et de machine complexe à la frontière entre l’ingénierie et l’architecture, échappe à toute tentative visant à identifier cette œuvre comme le résultat d’un seul auteur. Il s’agit d’une œuvre polyvalente et collective, fruit de choix et de vicissitudes auxquels ont contribué non seulement les visions des architectes et des ingénieurs, mais aussi les volontés présidentielles, les orientations de certains responsables gouvernementaux, les visions des experts appelés à en définir le contenu, les indications des entreprises et des autorités françaises, et même l’influence des résistances des nombreux détracteurs de cette œuvre.


La définition du contenu du Centre Pompidou

L’origine de ce projet est due à Georges Pompidou. Alors premier ministre du président Charles De Gaulle, il réussit à convaincre ce dernier de renoncer aux six visions présentées au concours pour la rénovation du quartier des Halles au profit d’un projet comprenant un « monument vertical » destiné à accueillir le nouveau siège du ministère des économies et des finances, mais conçu surtout pour revitaliser l’architecture française dans le débat international et pour célébrer le septennat gaulliste. Devenu président, Pompidou décide de réactiver l’idée de ce monument mais en l’assignant à « l’art et à la pensée contemporains ».

 

Le soin d’en préciser le contenu est confié à Sébastien Loste, normalien et homme de lettres, qui travaillait déjà pour De Gaulle sur le projet de rénovation des Halles. En 1970, en l’espace de quelques mois, Loste réduit les ambitions présidentielles monumentales et transforme le « monument » en un centre d’information ouvert destiné à accueillir le Centre national d’art contemporain (Cnac), le Musée national d’art moderne (Mnam), la Bibliothèque publique d’information (Bpi) et le Centre de Création industrielle (Cci), auxquels s’ajoutera, à partir de l’été 1971, le Centre de recherche acoustique (Cra), rebaptisé par la suite Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam).


La création délicate de la délégation du Centre Beaubourg et du jury de concours

Au cours de l’année 1970, Loste réunit autour de lui des représentants des institutions destinées à faire partie du futur Centre, ces figures institutionnelles que Pompidou, depuis ses premiers échanges avec le ministre des affaires culturelles Edmond Michelet, avait baptisées du terme de « utilisateurs ». Parmi les autres, on peut citer Jean-Pierre Seguin, bibliothécaire en charge de la construction de la Bpi, Blaise Gautier, producteur radiophonique et premier coordinateur des événements du Mnam, Dominique Bozo, conservateur du Mnam et responsable du programme muséographique du futur Centre Georges-Pompidou, Germain Viatte, conservateur du Cnac et chargé de la documentation contemporaine au moment du chantier, François Mathey.

Loste confie le soin de traduire les exigences des « utilisateurs » à l’architecte et ingénieur français François Lombard, un fonctionnaire ministériel déjà connu dans les milieux de l’administration française comme le plus grand expert des recherches sur la programmation architecturale diffusé dans le domaine anglo-saxon de l’après-guerre.

 

Lombard et Loste sont également chargés de définir le contenu d’un concours international d’architecture pour la réalisation du Centre du Plateau Beaubourg.

Loste continue à participer aux travaux du Centre, mais, à partir de l’été 1970, le comité, devenue délégation pour la réalisation du Centre du plateau Beaubourg, est confiée à un haut fonctionnaire français, Robert Bordaz. Celui-ci avait déjà à ce moment-là une expérience managériale de haut niveau (il a été responsable de l’ORTF et a dirigé l’évacuation française de Diên Biên Phu en mai 1954 à l’issue de la guerre d’Indochine) et des qualifications liées au monde de l’architecture (il a dirigé le cabinet d’Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, et les travaux du pavillon français à l’Exposition universelle de 1967 à Montréal). 


Sous l’impulsion de Loste et grâce à des échanges directs avec Pompidou, la délégation met en place au second semestre 1970 un jury international de neuf personnes à majorité étrangère caractérisé par un parfait équilibre de ses membres. Il comprend le constructeur Jean Prouvé, quatre architectes, Émile Aillaud, Philip Johnson, Oscar Niemeyer et Jorn Utzon, et autant d’« utilisateurs », Wilhelm Sandberg, Gaëtan Picon, Frank Francis et Michel Laclotte.

Prouvé souhaite secrètement faire du concours un instrument politique pour sauver de la destruction les pavillons de fer et de fonte des Halles signés Victor Baltard. Rapidement, Utzon se retire du jury et est remplacé par le bibliothécaire belge Herman Liaebers. Cela laisse présager les désaccords et les machinations qui vont agiter le jury dès son entrée en fonction.


Un centre d’information en direct à Paris

Parmi les 680 équipes destinées à concourir à Paris et provenant de pas moins de 46 pays, du Brésil au Japon, se trouve Ted Happold. Ingénieur de la division Structure 3 du cabinet anglais Ove Arup & Partners il se convainc de participer pour faire du Centre Beaubourg le manifeste d’une structure métallique complexe à concevoir avec des articulations d’avant-garde en acier moulé. 
Entre janvier et février 1971, Happold élargit l’équipe du projet à Richard Rogers et Su Rogers, qui travaillent depuis quelques mois avec l’architecte italien Renzo Piano, avec lequel ils viennent de former Piano+Rogers Architects. 
Pour ces jeunes architectes, le concours parisien devient l’occasion de reprendre le projet d’un institut éducatif d’avant-garde à concevoir selon une stratégie basée sur l’emploi de structures métalliques légères et la restauration du tissu urbain - deux principes que Piano avait déjà expérimentés avec l’architecte italien Gianfranco Franchini pour un projet dans le quartier de Sestri Ponente, à l’ouest de Gênes (Italie), et qu’il avait tenté de poursuivre avec ce dernier et les Rogers depuis 1970, mais sans succès. 
Avec l’aide de l’architecte John Young, Piano, Rogers et Franchini, et les ingénieurs d’Ove Arup & Partners décident de consacrer le site du plateau Beaubourg à une piazza pour l’animation du public, et de suspendre sur une partie de celle-ci des plates-formes vides et flexibles, soutenues par un treillis métallique contenant les installations et servant de support à des écrans audiovisuels pour faire du Centre un véritable « centre d’information en direct » (“live centre of information”). 
Présenté devant les jurés en juillet 1971, ce projet n’a fait qu’attiser la curiosité de Johnson et Niemeyer, mais sa victoire, qui n’était pas acquise, s’est révélée être un choix de compromis. Sous l’impulsion de Johnson, de Niemeyer, de Picon et seulement en dernière instance de Prouvé, le jury décide d’offrir à Pompidou un ouvrage qui répond non pas aux besoins monumentaux de l’Élysée mais à ceux des utilisateurs, à la recherche d’espaces dotés d’une flexibilité conforme aux théories muséographiques de l’art contemporain.
 


La réalisation d’une machine monumentale

La mise au point du projet lauréat amène Piano et Rogers à constituer une équipe internationale comprenant Gianfranco Franchini, chargé d’adapter le projet au programme, l’architecte et dessinateur d’automobiles Laurie Abbott, qui se voit confier la tâche ambitieuse d’intégrer structure et installations techniques, mais aussi Alan Stanton, Cuno Brullmann, Walter Zbinden, John Young et Mike Davies, qui seront chargés respectivement de la direction des équipements mobiles, des espaces polyvalents, des sous-sols du Centre Pompidou, du mobilier et de l’Ircam. Ce dernier, placé sous la direction du compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez, sera réalisé comme un projet autonome.


Dans la mise au point du projet, les architectes travaillent en étroite collaboration avec l’équipe d’Ove Arup & Partners qui, placée sous la direction de l’ingénieur Peter Rice, compte dans ses rangs des personnalités telles que Lennart Grut, Tom Barker, Robert Peirce et Michael Sargent, chargés respectivement de la spécification technique de la structure, des installations, des fondations et du sous-sol, ainsi que des circulations. Avec une équipe essentiellement étrangère et composée presque exclusivement d’étudiants en architecture et de jeunes diplômés, le cabinet Piano+Rogers Architects doit faire face aux attaques de la presse, aux résistances des entreprises et des autorités municipales, et souvent au scepticisme de la délégation et de l’Élysée

La coordination du chantier a été assurée par la société Grands Travaux de Marseille dirigée par Jean Thaury, appuyée par les conseils de spécialistes de renommée internationale tels que le métallurgiste Karl Kussmaul et le spécialiste dans les réglementations anti-incendie Lawrence G. Seigel. Il ne faut pas oublier le travail de milliers d’ouvriers inconnus de l’histoire mais dont les origines, de l’Allemagne à l’Algérie, confirment l’essence du Centre Pompidou comme le premier ouvrage public véritablement international de la Ve République

 

Malgré la mort de Georges Pompidou le 2 avril 1974, alors que les travaux de bétonnage du sous-sol n’étaient pas encore terminés, puis la résistance de son successeur Valéry Giscard d’Estaing, et les problèmes de fabrication des éléments de structure rencontrés par la société allemande Krupp Industrie-und Stahlbau, les architectes et les ingénieurs achèvent cependant les travaux le 31 janvier 1977. Ils ont pu compter sur la maîtrise politique et administrative de Bordaz et de ses collaborateurs Claude Mollard et André Darlot, ainsi que sur le soutien du premier ministre Jacques Chirac et de Claude Pompidou

Boris Hamzeian

 

Boris Hamzeian est architecte et historien de l'architecture. Il est l'auteur d'une thèse de doctorat sur l'histoire de l'architecture du Centre Pompidou (École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) en 2021) et actuellement chercheur au service Architecture du Musée national d'art moderne.

 

Référence bibliographique :

Hamzeian (Boris), Live Centre of Information, De Pompidou à Beaubourg, 1968-1971, Barcelone : Actar Publishers (en collaboration avec le Centre Pompidou), 2022 – monographie également disponible en anglais et en espagnol.