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Le Verre d'absinthe

[printemps 1914]

Pablo Picasso

Le Verre d’absinthe appartient à une série de six bronzes, réalisés à partir d’un unique modelage de cire. Les peintures ou les matières dont ils sont revêtus, seule variation qui les distingue, loin de ne remplir qu’une fonction décorative, révèlent les reliefs, accentuant un élément plutôt qu’un autre, pour créer à chaque fois de nouveaux rapports formels. Comme dans la peinture cubiste synthétique1, la couleur participe de la construction de l’espace. La pièce enduite de sable brun, version monochrome de la série, arrondit et ressert les contours, contredisant les qualités tranchantes du verre.

 

Fréquemment traité par Picasso, le thème du verre bouleverse la notion de sculpture, comme le fait remarquer Daniel-Henri Kahnweiler, l’un des premiers marchands de Picasso : « Le caractère de « transparence » qui se trouve ainsi, pour la première fois, dans le relief, apparaît dans la sculpture européenne en ronde bosse en 1914, dans Le Verre d’absinthe en bronze peint de Picasso. L’intérieur du verre y est montré en même temps que sa forme extérieure… La sculpture emblème remplace ainsi, dans l’art européen, la sculpture dérivée des moulages sur nature ».

 

En outre, à chaque pièce est ajoutée une véritable cuillère à absinthe, comme un fragment de réalité qui s’intègre à l’œuvre d’art. Par ce geste, Picasso ne vise pas un effet de réalisme comme Degas lorsqu’il habille l’une de ses sculptures, Petite danseuse de quatorze ans (1880), d’un véritable tutu, ni ne dénonce la futilité de l’art comme le fait Marcel Duchamp à la même époque. Il crée une œuvre qui confronte les trois niveaux ontologiques traditionnellement mis en jeu dans l’art : la réalité avec la cuillère, la représentation avec le verre schématisé et l’imitation littérale avec le morceau de sucre qui couronne l’ensemble.

 


1. Voir l'analyse de La Bouteille de vieux-Marc, verre et journal, 1913