Croix noire sur ab
1975

Croix noire sur ab
1975
Domain | Dessin |
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Techniques | Encre de Chine et pastel sur papier |
Dimensions | 50 x 64,8 cm |
Acquisition | Achat, 1984 |
Inventory no. | AM 1984-365 |
Detailed description
Artist |
Antoni Tàpies
(1923, Espagne - 2012, Espagne) |
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Main title | Croix noire sur ab |
Creation date | 1975 |
Domain | Dessin |
Techniques | Encre de Chine et pastel sur papier |
Dimensions | 50 x 64,8 cm |
Inscriptions | S.B.G. : Tapies |
Acquisition | Achat, 1984 |
Collection area | Cabinet d'art graphique |
Inventory no. | AM 1984-365 |
Analysis
« Un champ de bataille où les blessures se multiplient à l’infini », dit Tàpies sur son art. Le signe, omniprésent, est tout autant symbole que griffure, forme identifiable, qu’entaille dans la matière picturale. Qu’il travaille sur papier ou sur toute autre forme de support, Tàpies est d’abord un expérimentateur, un inventeur de surfaces et de formes qui, bien avant d’être porteuses de significations claires ou ésotériques, sont ce « champ de bataille » où l’art naît de l’affrontement violent et inattendu de matières réputées peu compatibles. Encre de Chine et pastel sur papier dans Croix noire sur ab [1975], huile, vernis, crayon graphite, peinture synthétique, peinture à l’huile et tampons sur papier à la cuve dans Sans titre [1984]. Cette simple description tech- nique suffit à dire à quel point l’œuvre est ici le fruit d’une invention : d’une combinaison non définie a priori, dans laquelle le faire prime sur la théorie et la pensée. Non que cet artiste à l’érudition rare et subtile ne nourrisse son art de ses lectures philosophiques et littéraires, non que cet homme qui fut profondément marqué par Klee et, comme nombre de peintres espagnols de sa génération, par Miró, méconnaisse le rôle de la théorie en art, mais parce que c’est au sein d’une pratique physique que cet univers de références prend, littéralement, corps.
Un champ de bataille : mais Tàpies aurait pu aussi bien parler d’un organisme vivant, dans lequel la blessure, loin de porter la mort, est un geste fécond. Ainsi, dans Croix noire sur ab comme dans Sans titre, un même symbole, la croix, revient. Frontale, noire sur fond blanc, monumentalisée par un cadrage bord à bord dans l’œuvre de 1975, elle est graphique, irrégulière, partiellement disloquée pour se métamorphoser en une forme molle, salie par un jus marron, dans celle de 1984. Un signe repris dans maints autres travaux, dont la symbolique religieuse s’impose ? Sans doute. Mais, au-delà de son sens, c’est la façon dont il s’impose différemment sur les deux feuilles qui importe. Deux manières d’attaquer le support, deux manières de porter la blessure dans le papier s’affrontent : d’un côté un travail de peinture, forme sur fond, couleur étalée sur papier blanc, de l’autre un geste à la limite du graffiti, dans un espace taché, sali par une couleur marronnasse. Fantôme de Malevitch et de la grande peinture dans un cas, vocabulaire de l’art de la rue dans l’autre.
C’est cette rencontre violente du « haut » et du « bas » qui structure l’œuvre de Tàpies. Un temps surréaliste – héritier de Miró – avant d’être l’un des introducteurs de l’art informel en Espagne, il se met très tôt à n’utiliser que des matériaux pauvres. Sable, poussière, terre, colle et pigment s’allient pour constituer son médium : cette matière corporelle, vivante, il la blesse et l’anime d’un geste décisif pour faire surgir un lieu où le symbole côtoie l’ordure, où l’ascétisme oriental se conjugue à une pratique provocante et pauvre.
Pierre Wat
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008