Watteaus Rache (La vengeance de Watteau)

Après s’être détourné de l’actionnisme, au début des années 1970, Brus réalise un ensemble de dessins « noirs », avant de se diriger vers un nouveau « monde des couleurs ». La réintroduction des couleurs dans son œuvre va de pair avec un retour au style du « beau dessin » viennois et avec la citation de certaines grandes figures de l’histoire de l’art. L’artiste engage à ce moment-là un dialogue avec ceux qu’il nomme ses « esprits jumeaux », artistes du passé avec lesquels il partage une conception visionnaire et romantique de l’art. Très proche de l’univers de la peinture, ce dessin sur papier craft déploie une virtuosité qui favorise le caractère allégorique de l’œuvre. La « vengeance » de Watteau évoquée par le titre correspond à celle du romantisme contre un rationalisme qui a asséché l’esprit de la modernité, celle aussi de ce qu’il appelle « la muse légère » contre une théorisation outrancière et stérile dont il dénonce le manque de profondeur véritable. « La beauté aujourd’hui est vengeance », écrit-il, conscient de marquer une rupture, par ces œuvres qui ne refusent ni la beauté ni la trivialité kitch, avec les avant-gardismes dont il récuse le simulacre révolutionnaire. « Ce qui est révolutionnaire c’est le geste, c’est la prise », ajoute-t-il, en engageant son œuvre dans l’exercice empathique d’une correspondance au travers des temps qui renoue avec les fondements littéraires des mythes ancestraux. Brus ramène ainsi la pratique artistique vers une vérité du « cœur mis à nu », et détourne ironiquement la maxime cartésienne en déclarant : « Ego Ergo Ego ».

Catherine Grenier

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007