Amphion

L’année où il achève des réalisations monumentales pour plusieurs pavillons de l’Exposition internationale de 1937 et découvre la mer en Bretagne, Laurens réalise aussi deux œuvres majeures, La Grande Musicienne et Amphion (cat. exp. Paris, 1967, op. cit. , n o 54), un rare exemple de sujet masculin qui réunit les thèmes de l’architecture et de la musique. Amphion est l’un des fils jumeaux de Zeus qui, utilisant les sons de sa lyre, fit s’élever de lui-même le mur d’enceinte de Thèbes construit par son frère. La Musicienne est la somme de L’Océanide et d’autres bronzes des années 1930. Jambes et bassin forment une voûte solide, où s’appuie la métamorphose du buste, au bras transformé en harpe. Comme dans La Musicienne , l’instrument de musique d’ Amphion , symbolisé par l’entrelacement des mains, est en même temps son corps. Un corps de résonnance, que Laurens matérialise par le traitement en cannelures de la figure, qui fait allusion aux cordes de la lyre et rappelle le carton ondulé utilisé par l’artiste dans ses collages et ses constructions cubistes. L’œuvre peut être vue au moins de deux côtés : de dos, creusée sous l’orbe fermé des bras et au-dessus des jambes croisées, une surface plus obscure, comme recueillie sur une musique intérieure ; de face, une stature élancée, élevant avec fermeté dans l’air son chant puissant. Un thème central du cubisme – l’instrument de musique anthropomorphe – est ramené aux origines du mythe, sous la double apparence de l’énergie et de la vie contemplative. Dans ces années 1930 où triomphe le dérèglement surréaliste, l’expérience cubiste permet à Laurens de conserver une envergure formelle à ces œuvres grâce à une métamorphose maîtrisée des corps.

Marielle Tabart

Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007