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Moï Ver, le chaînon manquant du modernisme

Photographe, graphiste et peintre, le Lituanien Moshe Vorobeichic, dit Moï Ver (1904-1995) est l'un des maîtres de l’avant-garde photographique. Riche plus de trois cents œuvres, la rétrospective consacrée à l'artiste et présentée au Centre Pompidou en 2023 voyage désormais à l'international. Visible actuellement au Musée de Varsovie (jusqu'au 4 février 2024), elle sera à l'affiche du Musée d’art de Tel Aviv du 17 mars au 21 juillet 2024. Présentation par la co-commissaire de l'exposition*, Julie Jones.

± 5 min

Né en 1904 près de Vilnius, capitale historique de la Lituanie, Moï Ver se fait connaître dans les milieux artistiques parisiens du début des années 1930 après avoir étudié au Bauhaus de Dessau auprès de Kandinsky, Klee, Albers ou encore Moholy-Nagy ; il est notamment l’auteur d’un ouvrage aujourd’hui considéré comme majeur dans l’histoire de la photographie, intitulé Paris. 80 photographies de Moï Ver. Celui-ci est publié en 1931 aux éditions Jeanne Walter, personnalité proche de Le Corbusier et de Fernand Léger, entre autres. En Allemagne ou en Lituanie, Moï Ver s’est aussi inscrit dans l’histoire grâce à un petit ouvrage photographique également publié en 1931, consacré au quartier juif de Vilnius, sa ville d’enfance (The Ghetto Lane in Wilna, ed. Orell Füssli). En 1934, Moï Ver s’installe définitivement en Palestine mandataire où il réalise de nombreuses photographies, photocollages et créations graphiques pour les institutions sionistes pré-étatiques. Au début des années 1950, il prend le nom de Moshe Raviv, se retire dans la ville de Safed, au nord d’Israël, et se consacre à une pratique picturale inspirée par le mysticisme et l’art populaire juifs. Ses déplacements géographiques, la diversité extrême de son œuvre, ses multiples changements de noms ou de pseudonymes (nous ne citons ici qu’une infime partie de la liste…), sa pratique (simultanée) de nombreuses langues (yiddish, hébreu, français, anglais, allemand…), et la mise à disposition relativement récente de ses archives, ont largement contribué à rendre extrêmement difficile, voire impossible l’étude de son œuvre.

 

Ses déplacements géographiques, la diversité extrême de son œuvre, ses multiples changements de noms ou de pseudonymes, sa pratique simultanée de nombreuses langues et la mise à disposition relativement récente de ses archives, ont largement contribué à rendre extrêmement difficile, voire impossible l’étude de son œuvre.

 

À la fin des années 1960, un jeune couple, Ann et Jürgen Wilde, futurs grands collectionneurs, recueillent l’héritage photographique du critique et historien de l’art Franz Roh. Ils découvrent dans celui-ci une magnifique maquette originale de livre intitulée CI-CONTRE. 110 PHOTOS de moï Wer. Grâce à une recherche de longue haleine, les Wilde retrouvent l’artiste en Israël, Moshe Raviv. Cette (re)découverte suscite l’intérêt de nombreux historiens, dont Herbert Molderings, qui contribuera à replacer l’artiste dans l’histoire du modernisme photographique. En 2020, l’État français fait l’acquisition de cette œuvre, à l’intérêt patrimonial majeur. L’idée (et la possibilité) d’une rétrospective voit alors le jour, grâce aux efforts conjoints du Musée et de la famille de l’artiste. Les recherches se sont portées, outre sur des documents personnels, sur la presse et les publications diverses, en hébreu, en yiddish, en polonais, en lituanien et en français. En dehors des photographies reproduites dans ces trois ouvrages de 1931, le reste de son œuvre demeurait, jusqu’à ce jour, largement inconnu et non référencé.

La présente exposition et la publication l’accompagnant ont nécessité un travail important de datation et d’identification des titres. Si beaucoup de tirages possèdent des indications de l’auteur, elles ont été, pour la plupart, réalisées a posteriori. Il n’est pas rare de lire au verso de différents tirages d’une même photographie des titres et des dates différents. Nous avons adopté une méthode de recherches croisées entre les tirages, les planches contacts, les négatifs et les publications d’époque. Le jeu, ardu, pour les raisons invoquées ci-dessus, en valait très certainement la peine. Moï Ver, chaînon manquant du modernisme international, a traversé son siècle avec une vision résolument intime et plurielle. Maître de l’avant-garde photographique, sa documentation des populations juives en Europe de l’Est pendant les années 1930 représente aujourd’hui un témoignage inestimable ; ses nombreuses photographies prises en Palestine dans les années 1930 racontent l’histoire, encore largement méconnue en dehors d’Israël, des premières années de la construction difficile et polémique de ce nouvel état.

 

Maître de l’avant-garde photographique, sa documentation des populations juives en Europe de l’Est pendant les années 1930 représente aujourd’hui un témoignage inestimable.

 

Montrées aujourd’hui ensemble, les œuvres de Moï Ver contredisent une lecture fragmentaire de son œuvre, tant une ligne directrice semble s’imposer et l’unifier : en écho à son parcours, de Vilnius à Safed, en passant par Dessau, Paris, Varsovie et tant d’autres, son œuvre révèle un récit personnel et sinueux aux multiples portes ; il montre un intérêt constant pour la représentation de l’individu moderne dans des environnements divers en profonde transitions – sociale, culturelle, politique et artistique. ◼  

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