Parfois je crache par plaisir sur le portrait de ma mère
1929

Parfois je crache par plaisir sur le portrait de ma mère
1929
This work marks Dali's tumultuous entrance into Surrealism and his definitive break with his family environment.
Coming from André Breton's collection, this work was presented in the Galerie Goemans in Paris in 1929. Here the painter exploits the principle of psychic automatism in order to defend his right to express his conscious and unconscious fantasies, even if they transgress moral taboos. Borrowing from religious imagery, Dali reduces the representation of the Sacred Heart to an outline which he defiles with a profanatory inscription in ungainly handwriting. This use
of line drawing and text was unusual for the Catalan artist and is reminiscent of contemporary Surrealist leaflets.
Domain | Dessin |
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Techniques | Encre sur toile de linon gris collée sur carton |
Dimensions | 68,3 x 50,2 cm |
Acquisition | Achat, 1989 |
Inventory no. | AM 1989-5 |
Detailed description
Artist |
Salvador Dalí
(1904, Espagne - 1989, Espagne) |
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Main title | Parfois je crache par plaisir sur le portrait de ma mère |
Former title given by the artist | Le Sacré-Coeur |
Creation date | 1929 |
Domain | Dessin |
Techniques | Encre sur toile de linon gris collée sur carton |
Dimensions | 68,3 x 50,2 cm |
Inscriptions | Signé et daté en bas à droite : Salvador Dali 1929 |
Acquisition | Achat, 1989 |
Collection area | Cabinet d'art graphique |
Inventory no. | AM 1989-5 |
Analysis
Dans la seconde moitié des années 1920, Salvador Dalí explore plusieurs voies stylistiques qui le conduisent à pratiquer une peinture se référant, tantôt au cubisme, tantôt à la métaphysique, puis au régionalisme classicisant du Noucentisme catalan. L’année 1928 marque son entrée dans une phase plus délibérément subversive de son œuvre. Il donne le coup d’envoi de cette stratégie de la provocation à l’occasion d’une conférence qu’il prononce, le 13 mai, à Sitges, à l’invitation de la revue L’Amic de les arts . Faisant écho aux exhortations modernistes, au rejet des traditionalismes locaux du futuriste Filippo Tommaso Marinetti (qui vient de donner une conférence à Barcelone, en février 1928, au théâtre Tívoli), Dalí en appelle à la destruction du quartier gothique de Barcelone, prône l’abolition de la sardane (la danse nationale catalane). L’année 1929 est celle de l’entrée fracassante de Dalí sur la scène du surréalisme. À Paris, il rencontre les surréalistes, ainsi que Tristan Tzara, le fondateur du dadaïsme. Avec Luis Buñuel, il entreprend la rédaction du script de Un chien andalou . Durant l’été, il reçoit à Cadaquès la visite de René Magritte, de Paul Eluard et de sa femme Gala, dont il tombe éperdument amoureux. Ce climat d’émulation libertaire conduit Dalí à concevoir son tableau sacrilège : Parfois je crache par plaisir sur le portrait de ma mère . L’œuvre reprend l’usage pictural des mots, révélé à Dalí par les peintures de Joan Miró et de Magritte. La silhouette d’une figure auréolée, qui entoure l’image du Sacré-Cœur, probablement inspirée par le Sacré-Cœur de Picabia qui fit la couverture de Littérature en 1922, en souligne l’anticléricalisme. Un anticléricalisme qui fait écho à celui que cultive le surréalisme. L’œuvre est présentée dans la première exposition parisienne de Dalí à la galerie Goemans (20 novembre-5 décembre 1929), dont André Breton préface le catalogue avant d’acquérir le tableau. Dans le compte rendu qu’il en livre dans la Gaceta literaria du 15 décembre 1929, Eugenio d’Ors signale la présence de cette œuvre, en révélant ainsi l’existence au père de Dalí. Cet outrage à la catholicité enracinée dans la culture espagnole sera à l’origine de l’expulsion de Dalí du domicile familial, mise en scène dans Guillaume Tell (1930).
Didier Ottinger
Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007
Analysis
1929 marque l’« entrée tumultueuse » de Dalí dans le surréalisme, saluée avec enthousiasme par André Breton, qui préface sa première exposition parisienne, galerie Goemans, et garde dans sa collection ce grand dessin sur toile qui y était présenté sous le titre Le Sacré-Cœur . Avec son allure de bannière votive et son efficace d’affiche-programme, l’œuvre manifeste, comme au début des années 1920 certains papiers Dada de Picabia (pour les revues Littérature et 391 ), la volonté de détruire les valeurs bourgeoises, religion, patrie, famille. Sa charge iconoclaste et ouvertement profanatrice (la silhouette du Christ bénissant est porteuse d’une insulte adressée à sa Mère) possède la violence sacrilège qui anime alors les esprits – aussi bien Georges Bataille, qui vient d’écrire en 1928 Histoire de l’œil , que, après lui, André Breton et Paul Eluard, dont l’ouvrage L’Immaculée Conception , publié en 1930, sera illustré de vignettes dessinées par Dalí. Le jeune peintre, désormais en rupture de ban familial (durant l’été 1929, il rencontre Gala), et qui va proposer dans sa conférence sur la « Position morale du surréalisme », à l’Ateneo de Barcelone, le 22 mars 1930, un vaste programme de « démoralisation généralisée », sous les auspices de Lautréamont, de Sade et de Freud, semble bien être au cœur de cette offensive de subversion : la même année, il réalise avec Bun˜uel le très anticlérical film L’Âge d’or ; en 1931, il poursuit son offensive avec une toile intitulée Profanation de l’hostie et conçoit pour le 10 e anniversaire du parti communiste l’image d’« un énorme bûcher où brûl[ent] des ciboires, des titres de vente, des armes, des décorations et autres accessoires symbolisant le capitalisme » (A. Thirion).
Le blasphème, inscrit en grosses lettres cursives empâtées d’encre, s’écrase littéralement sur l’écran de la toile, tel un crachat lancé sur l’image sainte, au centre de laquelle apparaît un trivial « sacré-cœur » : double profanation, double souillure, que Bataille, qui portait alors à Dalí une attention fascinée (« Le jeu lugubre », Documents , nº 7, déc. 1929) aurait pu identifier à un « cri de porc ». Le parti purement scriptural du dessin est exceptionnel chez Dalí, qui s’adonne d’habitude à une figuration minutieuse, illusionniste, héritée de De Chirico : il révèle sans nul doute l’influence non seulement des nouvelles « peintures-mots » ( Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt , 1929) de Magritte, qui lui rend visite à Cadaquès pendant l’été 1929, mais aussi des « peintures-poèmes » des années 1925-1927 – déjà bien connues de lui – de son compatriote Miró ( La Sieste , Le Corps de ma brune , Photo : ceci est la couleur de mes rêves ), qui lui avaient révélé le pouvoir hallucinatoire des mots calligraphiés. Dalí en a compris la leçon, comme le montre la répétition sans fin des mots « ma mère », inscrits dans une des peintures clés de l’année 1929 : L’Énigme du désir, ma mère, ma mère, ma mère .
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008