Tronc d'arbre
[1942 - 1946]

Tronc d'arbre
[1942 - 1946]
Domain | Dessin |
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Techniques | Graphite sur papier |
Dimensions | 36,6 x 27 cm |
Acquisition | Don de Mme Marie Matisse, 1984 |
Inventory no. | AM 1984-93 |
Detailed description
Artist |
Henri Matisse
(1869, France - 1954, France) |
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Main title | Tronc d'arbre |
Creation date | [1942 - 1946] |
Domain | Dessin |
Description | Feuille de carnet |
Techniques | Graphite sur papier |
Dimensions | 36,6 x 27 cm |
Acquisition | Don de Mme Marie Matisse, 1984 |
Collection area | Cabinet d'art graphique |
Inventory no. | AM 1984-93 |
Analysis
Le regroupement de ces quatre dessins, provenant de l'atelier de Matisse, peut être tenu pour une sorte de probation visuelle des préoccupations qui dominent le travail de l'artiste à partir de 19421. S'adressant à Louis Aragon, celui-ci écrivait alors : « JE VOUS AI MONTRE, n'est-ce pas, ces dessins que je fais, ces temps-ci, pour apprendre à représenter un arbre, les arbres ? Comme si je n'avais jamais vu, dessiné d'arbre. »2 De l'importance de ce réapprentissage, témoigne également une lettre à André Rouveyre, datée de la même année, où Matisse analyse l'état de son savoir antérieur, la sorte de blocage qu'il éprouvait et son application du principe chinois consistant à faire croître le dessin avec l'arbre même : « J'ai combien de fois voulu dessiner des arbres mais sans y parvenir. D'abord par l'imitation. Je n'ai jamais été encouragé à poursuivre mon dessin, car mon résultat était sans vie, sans aucun rapport avec le sentiment qui m'avait encouragé à dessiner l'arbre. Ensuite quand je ne mettais en jeu que mon sentiment, mon émotion, j'étais tellement pris par la beauté du tronc, sa puissance et son mystère que je ne pouvais dépasser ses branches maîtresses »3. Les études du MNAM concrétisent cette fixation de l'artiste et semblent là pour illustrer les divers registres graphiques qu'il pouvait employer dans le rendu de sa vision fragmentaire de l'objet. Les feuilles AM 1984-93 et AM 1984-92 appartiennent au même carnet et présentent, la première, une esquisse pleine page du tronc qui insiste sur la manière dont les branches prennent attache ; la seconde, une mise en place plus générale indiquant le mouvement de poussée de l'arbre : jaillissement des deux lignes parallèles du tronc et retombée courbe du feuillage. Dans cette dernière étude, une ellipse donne la dimension spatiale supplémentaire d'un arrière-plan. Au verso, est conservée l'empreinte d'une corolle de fleur, peut-être un magnolia. La feuille AM 1984-88 figure les branches maîtresses de ce qui pourrait être un olivier. Matisse s'intéresse ici à la découpure des vides créés par l'enchevêtrement des branches. En hachurant au crayon noir leurs surfaces, il inverse le rapport positif-négatif, plein-creux du motif et matérialise la valeur plastique de l'espace entre les formes.
Matisse engage la recherche du « dessin de l'arbre » simultanément aux natures mortes et aux portraits de Thèmes et variations où ressemblances et différences s'affrontent pour exprimer le sentiment profond du sujet. «... Je ne me débarrasserais pas de mon émotion en copiant l'arbre avec exactitude, ou en dessinant les feuilles une à une dans le langage courant... Mais après m'être identifié en lui. Il me faut créer un objet qui ressemble à l'arbre. Le signe de l'arbre. »4 Il s'agit pour l'artiste de travailler comme Lorrain ou Poussin l'avaient fait en inventant leurs propres signes « arbres » ou « feuilles » afin de générer la sensation de la multitude là où il n'y a qu'une indication. Matisse affirme : « L'importance d'un artiste se mesure à la quantité de nouveaux signes qu'il aura introduits dans le langage plastique. »5 Il illustre de hiéroglyphes démonstratifs sa correspondance à Aragon sur ce sujet. La lettre reproduite constitue une sorte de cryptogramme où se combinent dessins d'yeux, de nez, de bouches, visages schématiques, noms des peintres inventeurs, et dans la marge les mots soulignés Les Arbres. De même le dessin AM 1984-88 conserve à son verso des tracés de bouche plusieurs fois répétés qui pourraient confirmer l'hypothèse d'une exécution en 1942.
«... Il y a quelques mois, sans préméditation, j'ai pris un bloc de papier à lettres et j'ai essayé de dessiner des branches de feuillages par les moyens les plus simples ; au fur et à mesure que sortait l'encre de ma plume sur le papier, je voyais se former les feuillages »6. Le quatrième dessin du MNAM (Arbuste, AM 1984-77), représentant sans doute les surgeons d'un olivier, ne s'ordonne pas avec l'aisance ici décrite par Matisse, mais s'exaspère, multiplie les ratures, pour saisir la structure contrariée des branchages. Il semble en cela constituer l'étape première de l'étude d'après nature incarnant la résistance de l'objet avant que puisse se décliner la série des visions synthétiques dont témoignent les reproductions. La production de cette série du « signe de l'arbre », qui compte de nombreuses planches, est ainsi décrite par Matisse : « J'ai donc dessiné les feuilles au fur et à mesure que je montais mes branches, par un dessin simplifié (...) Ensuite j'ai fait un tronc avec des branches dans le même plan, parallèles à l'horizon. Ensuite dans un autre dessin j'ai pu mettre les branches dans des plans variés »7. On peut suivre, ici, à nouveau, le principe du travail graphique convertissant l'objet en signe pour accéder finalement à une formulation plus complexe qui veut fixer, à la fois, la structure dans ce qu'elle contient d'ordre, les potentialités directionnelles du mouvement et l'accident.
Anne Baldessari
Notes :
1. Dominique Fourcade propose pour les dessins AM 1984-93 et AM 1984-92 une datation en 1939 les rapprochant des études exécutées à Rochefort-en-Yvelines. Par contre, les dessins AM 1984-88 etAM 1984-77 appartiennent, selon lui, aux études menées à Vence entre 1943 et 1946 (Cahiers du MNAM, n° 13, 1984, p. 15).
2. Cité in Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 171 : « Propos sur le dessin de l'arbre rapportés par Louis Aragon », extraits de « Matisse-en-France » 1942, in Louis Aragon, Henri Matisse. Roman, Paris, Gallimard (vol. 1), 1971.
3. Ibid., p. 167 (« Lettre à André Rouveyre sur le dessin de l'arbre »).
4. Ibid., p. 171 (« Propos sur le dessin de l'arbre rapportés par Louis Aragon »), op. cit.
5. Ibid., p. 172.
6. Ibid., p. 167 (« Lettre à André Rouveyre...», op. cit.
7. Ibid., p. 168.
Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989
Bibliography
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Matisse et l''arbre : Le Cateau-Cambrésis, Musée Matisse, 11 octobre 2003 - 11 janvier 2004. - Le Cateus-Cambrésis : Musée Matisse, 2003. (Cit. p. 116, reprod. p. 116) . N° isbn 2-85025-905-5
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Henri Matisse : The Colour of Ideas. Masterpieces from the Centre Pompidou, Paris : Budapest, Museum of Fine Arts, 30 juin-16 octobre 2022. - Paris / Budapest : Centre Pompidou / Museum of Fine Arts, 2022 (sous la dir. d''Aurélie Verdier et David Fehér) (cat. n° 69 reprod. coul. p. 207) . N° isbn 978-615-5987-85-4
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