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Frànçois and the Atlas Mountains, photo © Margaux Shore

Avec Frànçois Atlas, Baudelaire fait pop !

Invité dans le cadre du festival Extra! et du Baudelaire Poetry Day, le chanteur du groupe Frànçois and the Atlas Mountains interprète Fleurs du Mal, son album d’adaptations musicales du recueil de Charles Baudelaire. Le plus baudelairien des chanteurs français revient sur la genèse d’un projet pop et original. Entretien.

± 5 min

Lorsqu’il pose devant l’objectif de Margaux Shore, vêtu d’une simple redingote aux tons bleu-gris, un bouquet de pissenlits à la main et le regard perdu, loin, très loin, dans ses songes, François Marry, alias Frànçois Atlas, est presque plus baudelairien que Baudelaire. Tout y est : le spleen, le dandysme, l’élégance surannée du 19e siècle. L’histoire remonte à 2016. Lors du vernissage d’une exposition en hommage à l’artiste, le musée de la Vie romantique a proposé au chanteur et fondateur du groupe Frànçois and the Atlas Mountains de mettre en musique quelques poèmes de l’auteur. Et ce fut un coup de foudre, réciproque, entre les compositions lumineuses de l’un et la poésie vénéneuse de l’autre. Il y eut d’abord un concert. Puis, un album, Fleurs du Mal, paru en 2018. Entouré de trois instrumentistes, le musicien reprend les huit titres de Fleurs du Mal à l’occasion du Baudelaire Poetry Day, au Centre Pompidou, et promet même quatre inédits issus du recueil. Avant la performance, nous avons demandé à François Marry de réagir à quelques mots typiquement baudelairiens.

Fleurs du Mal

« J’ai découvert la poésie de Baudelaire à l’instar de tous les petits Français, à l’école ; j’avais étudié “L’Albatros”. C’était beau. Très beau même. J’étais déjà sensible à la musicalité de ses mots, au rythme de sa scansion, à la fulgurance de ses images. Mais forcément, à cet âge et dans ce contexte-là, on trouve la poésie un peu scolaire… Quand le musée de la Vie romantique m’a proposé cette carte blanche, je me suis replongé dans son œuvre. Et ce n’est qu’au fil du travail d’adaptation que j’ai entendu la beauté de son orfèvrerie poétique. J’ai lu les textes, à voix haute, composé les premiers accords, sans trop savoir à quoi m’attendre. Et immédiatement, j’ai eu l’impression de caresser du velours. Plus tard, pour le titre de l’album, j’ai choisi de retirer l’article de son recueil ; une façon de me l’approprier et de lui donner une dimension plus pop. »

 

Spleen

« Évidemment, c’est le premier mot qui vient à l’esprit quand on pense à Baudelaire. Chez les Anglais, le terme spleen désigne la rate. Ils considèrent que cet organe est le siège de la mélancolie – à l’instar des Chinois d’ailleurs. Cette association physiologique m’amuse parce qu’elle est, de fait, envisagée comme une pathologie. Je suis moi-même sujet à ces transports-là. Néanmoins, en composant ces chansons et en reprenant ces textes, j’ai choisi des accords doux et lumineux. Dans mes Fleurs du Mal, la musique peut être considérée comme un médicament au spleen baudelairien. Ajouter du gris au gris aurait été bien trop évident et redondant. D’ailleurs, on a tendance à se représenter Baudelaire en poète dépressif et tourmenté. Peut-être l’était-il lors de l’écriture… Mais il me plaît de l’imaginer dans d’autres états, souriants, enthousiastes, amoureux. Il y a tout de même de la lueur dans sa poésie. Je pense en particulier à “Élévation”, qui ne figure pas sur mon album, mais que nous jouerons en concert au Centre Pompidou. “Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides, / Va te purifier dans l’air supérieur, / Et bois, comme une pure et divine liqueur, / Le feu clair qui remplit les espaces limpides.“ »

 

Dans mes Fleurs du Mal, la musique peut être considérée comme un médicament au spleen baudelairien.

François Marry

 

Bohème

« J’ai grandi à Saintes, en Charente-Maritime, une ville un peu endormie. Dès le plus jeune âge, j’avais des envies de départ. Je regardais les trains partir, je faisais du stop, je voyageais avec mon sac à dos, je dormais où je pouvais, parfois sur la plage. Des expériences formatrices qui s’inscrivent dans le romantisme baudelairien. Mais j’ai changé. Désormais, je préfère tisser des fidélités pour donner plus de profondeur à ma musique. J’ai compris qu’il était nécessaire de retrouver certaines personnes dans des lieux récurrents pour s’y associer pleinement. Contrairement au poète, je ne travaille pas seul. »

 

Paris

« Je me suis lancé dans ce projet au moment où j’emménageais à Paris, une ville éminemment minérale dont l’architecture est toujours figée dans le 19e ; le siècle d’Haussmann, mais aussi de Baudelaire. Dépaysé, je me suis réfugié dans sa poésie. J’y trouvais du sens, des échos, des coïncidences. Et j’étais rassuré. Son Paris est peuplé de courtisanes, de flâneurs, de gens habillés en noir, un parapluie à la main. Rapidement, ces premiers clichés ont cédé la place à une réalité sociale plus dure, également présente dans ces textes. Baudelaire a vécu dans des quartiers très différents pour des questions d’argent et de santé. Et il dépeint admirablement l’aspect morcelé de la capitale, qui est toujours d’actualité. Quel rapport existe-t-il entre Belleville, le Marais, Barbès, le 6e arrondissement ? On s’y perd. Aujourd’hui, je trouve que Paris est une ville exigeante où l’intensité des fêtes, la nuit, n’a d’égal que la violence du monde du travail, le jour. »

 

Dandysme

« Pour Baudelaire, le dandysme était la quintessence du style, de l’intelligence et du caractère. J’aime le mystère que ce mot recèle, au-delà de la posture qui frappe de prime abord. J’ai toujours eu l’impression que les dandys se soustrayaient au temps et aux modes. J’y vois un détachement et une coquetterie, joliment mise en scène, et forcément très personnelle. D’une certaine façon, l’accent sur le a dans mon nom de scène, Frànçois Atlas, est une forme de dandysme ; un peu baudelairienne peut-être… On se confectionne un costume, on s’invente un personnage comme une œuvre, et l’on échappe à soi-même. »

 

D’une certaine façon, l’accent sur le a dans mon nom de scène, Frànçois Atlas, est une forme de dandysme ; un peu baudelairienne peut-être…

François Marry

 

Scansion

« La scansion baudelairienne et l’alexandrin, en particulier, ont évidemment joué un rôle déterminant dans la composition de ces morceaux. J’ai l’habitude d’écrire mes propres paroles, mais ce fut une réelle joie de chanter ses mots. Leur beauté, implacable, m’évoque la noblesse. Il y a un mouvement continu entre les vers, qui vous emmène d’une syllabe à une autre avec une fluidité déconcertante. En travaillant, je me suis rendu à l’évidence que Baudelaire devait imaginer ses textes en marchant, en se parlant à lui-même ; un peu comme un rappeur finalement. Il y a une telle oralité… C’est déjà si musical… Au départ, je voulais adapter ses poèmes de façon minimaliste, avec un micro et du rythme, uniquement. Mais les accords à la guitare m’ont aidé à retenir les vers. »

 

En travaillant, je me suis rendu à l’évidence que Baudelaire devait imaginer ses textes en marchant, en se parlant à lui-même ; un peu comme un rappeur finalement.

François Marry

 

Classicisme

« Je n’ai pas été élevé dans la religion, mais étrangement, j’ai toujours eu besoin d’icônes à vénérer. Une question de repères… Je n’ai pas fait de hautes études et je n’ai pas un grand bagage intellectuel, pourtant, je n’ai ni peur d’aimer ni peur de me confronter aux classiques ; ce sont des gages de qualité. Baudelaire n’a rien de poussiéreux. Tout le monde a le droit de s’en emparer, au même titre que tout le monde a le droit de dessiner la tour Eiffel ; inutile d’être savant. »

 

Muses

« Comme Baudelaire, j’ai besoin de muses pour trouver l’inspiration. En ce sens, je corresponds au cliché du romantique. Certaines personnes me font l’effet de pierres précieuses, ou d’objets rares, que j’aime chérir, et qui me poussent à créer. Je ne suis pas dupe, il s’agit bien souvent de projections idéales. Et pourtant j’y reviens, comme une forme de maladie ou d’addiction. Faut-il se faire soigner ? Si Baudelaire avait soigné ses addictions aux muses, son œuvre ne serait certainement pas la même. » ◼

Frànçois and the Atlas Mountains, Banane Bleue, disponible (Domino Records)