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En Iran, la révolution par les livres

Le Centre Pompidou vient d'acquérir un riche fonds de livres iraniens de photographie. C'est la première fois qu'une institution extérieure à l'Iran recueille une telle collection thématique autour de la révolution de 1979 et de la guerre Iran-Irak (1980-1988). Entretien avec Hannah Darabi, artiste iranienne aujourd'hui installée à Paris, qui a réuni cette collection.

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Pouvez-vous nous présenter cet ensemble en quelques mots et nous en donner ses principales thématiques ?
 

Hannah Darabi – Cet ensemble de livres photographiques et de textes (trente-huit titres), publiés entre 1979 et 1983, concerne une période historique importante en Iran. Alors que la révolution iranienne contre le régime de Pahlavi a été déclarée victorieuse le 11 février 1979, l’espoir d’accéder à la démocratie reste toujours fort parmi les différents partis politiques, ainsi que pour le peuple. La pratique de la fabrication des livres à cette époque est en phase avec ce désir de prendre part à cet événement historique, d’y contribuer et, le cas échéant, de se l’approprier. L’absence de censure étatique en 1979 créa également un contexte favorable à l’édition. Cette ouverture ne dura malheureusement pas longtemps. En 1983, le ministère de l’Orientation islamique prend officiellement ses fonctions et impose de nombreuses restrictions, non seulement sur la base des lois islamiques du nouveau régime, mais également afin de réprimer les idées et les positions alternatives. Ce corpus réunit des livres concernant la révolution ainsi que la guerre Iran-Irak, qui éclate en 1980.

 

Alors que la révolution iranienne contre le régime de Pahlavi a été déclarée victorieuse le 11 février 1979, l’espoir d’accéder à la démocratie reste toujours fort parmi les différents partis politiques, ainsi que pour le peuple.

Hannah Darabi

 

Pourquoi et comment avez-vous commencé à constituer cette collection de livres publiés en Iran ?
 

HD – En 2015, je travaillais sur un projet autour de ma ville natale, Téhéran. Je cherchais des documents en lien avec l’histoire politique et urbanistique de la ville chez les bouquinistes de la rue Enghelab, une rue réputée pour son incroyable concentration de librairies et de maisons d’édition. J’ai alors trouvé le premier livre de la collection, Allah Akbar. En le feuilletant, j’ai été impressionnée par sa conception, en particulier par le rapport créé entre les photographies et les textes, en vue de fabriquer une histoire de la révolution iranienne de 1979 en faveur d'une certaine idéologie, celle de son auteur, Shahrokh Hatami. Cette trouvaille a suscité chez moi une grande curiosité pour les publications de cette époque en lien avec une révolution impliquant des acteurs idéologiquement très différents, voire opposés, et par conséquent la volonté de poursuivre cette recherche.

 

Découvrez l'ensemble du fonds et des notices bibliographiques.

Quelle place tiennent les livres de manière générale dans votre travail ? Dans quelle mesure ces livres-ci ont-ils nourri votre recherche artistique ?
 

HD – En tant qu’artiste photographe, je considère le livre d’artiste ou le livre photographique comme un médium en soi. Mes projets artistiques, qui relèvent en général d'une pratique qu'on peut qualifier de documentaire, traitent la plupart du temps de sujets peu abordés, en lien avec mon pays. À cet effet, j’investis l’image photographique pour sa capacité à mettre au jour « ce qui n’est pas là », ce qui demeure invisible. Le support du livre me permet de rassembler plusieurs registres photographiques, mais aussi des textes, pour multiplier les possibilités de comprendre le propos principal. Mon livre autour de cette collection, Rue Enghelab, la révolution par les livres : Iran 1979-1983 (lauréat du prix du livre historique lors des Rencontres de la photographie d’Arles en 2019, ndlr), en constitue un bon exemple. Un livre bien conçu est un espace où des objets différents peuvent dialoguer et renvoyer à un univers unique, celui de l’artiste.

 

Un livre bien conçu est un espace où des objets différents peuvent dialoguer et renvoyer à un univers unique, celui de l’artiste.

Hannah Darabi

 

Lorsque j'ai commencé à rassembler ces livres, je me suis soudainement retrouvée face à un nombre important d’images de la révolution et de la guerre, que je n'avais jamais vues dans leur forme originale, c’est-à-dire dans un livre. Ainsi, ces images « étrangement familières » m'ont confrontée à ma propre expérience (et celle de ma génération) de cette révolution et à notre compréhension erronée et incomplète de cette histoire. La multitude de récits photographiques ou littéraires autour des événements de 1979, ainsi que la variété des témoignages des personnes que j’ai interviewées pour ce projet, fait clairement apparaître qu’il n’y a pas d’image collective de la révolution iranienne. En vue de traduire le caractère fragmentaire de chacune de ces représentations de la révolution, j’ai choisi, pour ce catalogue, de faire dialoguer mes photographies contemporaines avec ces images d’archives.

Quelle seconde vie imaginez-vous pour ce fonds au sein de la bibliothèque Kandinsky et du Centre Pompidou ?
 

HD – Il existe très peu de recherches sur les livres photo publiés en Iran, et ces livres, malgré des tirages importants, sont devenus rares, et très difficiles à dénicher. Aujourd’hui certains d’eux se trouvent dans les archives d’institutions culturelles et de propagande islamique en Iran, comme la bibliothèque de Howze Honari. Il me semble très important que, pour la première fois, une institution en dehors de l'Iran fasse l’acquisition d’une collection thématique de livres photo iraniens. La collection va être placée dans la collection d’imprimés d’une institution dédiée à des recherches artistiques ; ces livres vont donc être libérés de leur fonction première de propagande, et devenir accessibles à un public international.

 

Quelles formes d’appropriation de ce corpus par les chercheurs et artistes seraient pour vous un motif particulier de satisfaction ?
 

HD – Ce corpus présente la photographie documentaire, la culture visuelle, ainsi que l’histoire de la publication de cette époque en Iran, en abordant deux sujets historiques importants, la révolution iranienne de 1979 et la guerre Iran-Irak. De nouvelles recherches sur la représentation de ces événements historiques restent toujours nécessaires. ◼