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Marlene Monteiro Freitas ou l’art des métamorphoses

Complice de longue date du Centre Pompidou, Marlene Monteiro Freitas, à qui le Festival d’Automne consacre un portrait, présente Guintche dans une version live augmentée. Solo né d’un de ses dessins, celui d’un musicien de jazz, il devient, porté par Marlene, tableau vivant. Portrait comme une tentative d’approche de l’artiste et ses métamorphoses.

± 5 min

S’agissant de Marlene Monteiro Freitas, artiste protéiforme s’il en est, il n’est pas vain d’en passer par les métamorphoses. Masque, maquillage, lumière, tout chez elle participe d’une continuel exercice de transformation. Il s’agit dès lors d’élargir la focale pour mieux nous inviter dans ses mondes. Marlene Monteiro Freitas évoque comme point de départ de sa création « un désir, une curiosité et finalement un vertige ». Une simple image peut être à l’origine d’une pièce. Une estrade, pareille à celle d’un tribunal (Mal —  Embriaguez Divina), une scène extraite d’un spectacle de marionnettes (Jaguar), un exercice d’échauffement (First Impression). Ou un dessin, celui d’un musicien de jazz pour Guintche. On le voit, l’esprit en éveil, la créatrice ne s’interdit rien. Même si c’est de la recherche et du travail de répétition que vont naître ses œuvres. De son Cap Vert natal, elle a gardé le goût des carnavals et des émotions partagées. Marlene y a co-fondé une première compagnie de danse, Compass. Avant de se frotter aux écritures contemporaines, étudiant à l’École supérieure de danse et à la Fundaçao Calouste Gulbenkian toutes deux à Lisbonne puis à P.A.R.T.S., l’école initiée par Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles. Marlene Monteiro Freitas va ensuite se nourrir de ses rencontres, ici et ailleurs, avec Emmanuelle Huynh, Boris Charmatz ou Tania Carvalho. Dès Primeira Impressão (First Impression 2005), la soliste impose ses métamorphoses. Héritière improvisée des pionniers et pionnnières du 20siècle, de Dada à Valeska Gert, elle ose le collage et l’impureté, le grotesque et le sublime. Ses matières vivantes qu’elle malaxe et déforme sont riches de la performance, la danse, la musique, la peinture. « La scène n’est-elle pas le lieu de la libre mise en danger des frontières ? » nous confiera Marlene Monteiro Freitas un jour. Elle s’emploie dès lors à flouter ces dernières. 

 

La scène n’est-elle pas le lieu de la libre mise en danger des frontières ?

Marlene Monteiro Freitas


La musique est souvent l’ossature de ses pièces, imposant une dramaturgie ou, mieux, des tours et détours. Son grand-père était compositeur et enseignant, sa mère taquine le piano. Dans cet environnement musical, Marlene Monteiro Freitas a grandi dans la ville de Mindelo, est passée des fanfares de rue aux bandes-son imaginées pour des premiers spectacles bricolés, sous influence de la danse hip hop. On retrouve son goût pour les ambiances sonores disparates dans son approche au plateau. La créatrice avoue ne pas faire de différence entre une partition musicale, un morceau de littérature, une idée ou une image en tant que point de départ d’un projet. Mais cette « masse » musicale, elle entend la manipuler pour, « doucement ou violemment », façonner une pièce. Guintche live ou Pierrot Lunaire, récente réussite, Marlene Monteiro Freitas trace ainsi des lignes de fuite comme autant de paysages enchantés.


Du récital solo à la pièce de groupe, bienvenue à ce que vous croyez voir. Les titres même de ce corpus d’œuvres forment un archipel en mouvement. « Paradis-collection privée », « d’ivoire et de chair — les statues souffrent aussi » ou « Bacchantes — prélude pour une purge » sont des horizons mentaux, des dérives visuelles. Les scénographies, comme en écho, emportent le spectateur très loin. Parade fantasque, ring imaginaire, tribunal fantoche, boîte à fantasme. Il s’agit de préparer chacun à ce voyage immobile des corps. Marlene Monteiro Freitas s’y entend plus que toute autre. Plis, torsions, superpositions, le langage même de la créatrice en dit long sur ses intentions. Bousculer l’ordonnancement au plateau, dévier les trajectoires attendues. Une architecture de scène en constante mutation à l’image de ces maquettes de papier brandies par les performeurs de Mal. Dans l’esprit de Marlene Monteiro Freitas, il est question de confiance et de partage. Autour d’elle, avec elle, des fidèles et des rencontres. Laisser de l’espace à l’inconscient ou à l’irrationnel nécessite une parfaite entente. Que l’on imagine nourrie de discussions. Marlene, alors, reprend sa position de cheffe de troupe. Non pas en surplomb mais bel et bien aux côtés de ses complices, en régie comme sur scène.

 

Jeu de hanches, pas glissés, regard effronté, il y a du faune dé-genré dans cette démonstration. Plumes et paillettes en prime. Percussif, Guintche est un cœur battant au rythme des mille vie de Marlene Monteiro Freitas.

 

Et lorsqu’elle se retrouve « seule » sous les regards du public, la metteuse en scène accompagne au plus près l’interprète qu’elle ne cesse d’être. À ses yeux, performer sur scène reste l’expérience la plus « transformative » qu’elle connaisse. Ce qui ne manquera pas de renvoyer aux métamorphoses. Guintche, ici présenté dans une version live avec les musiciens Henri « Cookie » Lesguillier et Simon Lacouture, voit Marlene Monteiro Freitas endosser des « peaux » comme d’autres des parures. Boxeuse, sorcière, feu-follet. Histoire, qui sait, de renvoyer à ce mot créole utilisé dans le parler du Cap Vert. Guintche désigne un oiseau, une attitude ou « le nom d’un prostituée ». Surtout ce solo — mais pas seul — met en scène un corps multiple, celui de Marlene, offensant et mutant, séducteur et sur la défensive. Accompagnée d’une équipe, Rui Antunes au son, Yannick Fouassier aux lumières et à la scénographie, Marlene Monteiro Freitas déploie ses sortilèges. Jeu de hanches, pas glissés, regard effronté, il y a du faune dé-genré dans cette démonstration. Plumes et paillettes en prime. Percussif, Guintche est un cœur battant au rythme des mille vie de Marlene Monteiro Freitas. ◼