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Christian Petzold, tournage "Barbara", 2012

Christian Petzold, l'Allemagne en face

Avec son nouveau long-métrage Ondine, le réalisateur allemand Christian Petzold met de nouveau au cœur du récit l'Allemagne contemporaine, avec Berlin pour décor principal. Doublement primée à la Berlinale 2020, cette quinzième fiction était présentée en avant-première au Centre Pompidou le 10 septembre dernier. Décryptage d'un cinéma ancré dans le réel avec le chercheur Pierre Gras.

± 6 min

Reconnu par le public français depuis Barbara (2012), Phoenix (2014) et Transit (2018) Christian Petzold, né en 1960, est un des cinéastes allemands les plus importants de ceux révélés après la réunification. Après des études à l’école de cinéma de Berlin, il réalise son premier long métrage en 1995, l’intriguant Pilotes. Il a proposé au public quinze films de fiction à ce jour, collaborant pour tous ses scénarios avec le documentariste et essayiste de cinéma Harun Farocki, avant la disparition de celui-ci en 2014. Jusqu’au début des années 2010, le cinéaste filme l’Allemagne contemporaine : il propose une manière d’observation anthropologique de son pays sous la forme d’un cinéma narratif faisant la part belle au cinéma de genre et au mélodrame. Il évoque les traces du terrorisme d’extrême-gauche dans l’Allemagne réunifiée au début du siècle (Contrôle d’identité, 2000), les sociétés de capital-risque du capitalisme mondialisé (Yella, 2007), le poids de l’argent dans les relations humaines (Jerichow, 2008) ou la place de la voiture dans la vie des Allemands (L’Ombre de l’enfant / Wolfsburg, 2003).

 

 

Tous ses films ont pour sujet la « vie de tous les jours » et la mécanique sociale qui la façonne.  

 

 

À cet égard, il est le cinéaste contemporain qui aborde le plus frontalement ces questions, en portant une attention particulière aux apprentissages modernes dans l’emploi, la famille ou le couple. Milieux professionnels, astuces criminelles, codes vestimentaires et comportementaux, usages des technologies sont au cœur de ses sujets qui montrent comment l’évolution sociale invite les individus à construire leur nouveau moi plus « en phase » avec les besoins de l’économie contemporaine. Ainsi dans Yella, thriller gothique féminin, rejoignant l’ambition fassbindérienne de rivaliser avec les grands films américains du genre, Nina Hoss, actrice devenue égérie du cinéaste depuis Dangereuses Rencontres en 2001, incarne, dans une ambiance fantastique se mêlant au réalisme documenté, une jeune femme issue de l’Allemagne de l’Est qui cherche un nouveau départ grâce à un poste dans la finance à l’Ouest.

Avec Barbara en 2012 puis Phoenix en 2014, deux fictions historiques dont Nina Hoss est l’héroïne, l’œuvre prend un nouveau tournant. Dans le premier, une femme médecin de la RDA des années 1980 mutée dans une petite ville pour sanctionner son projet de passer à l’Ouest, doit choisir de quitter le bloc communiste ou de lutter ici et maintenant. Dans le deuxième, Nelly, l’héroïne défigurée rescapée d’Auschwitz, se bat dans l’immédiat après-guerre pour retrouver à la fois un visage neuf et l’amour de son mari. Les combats des protagonistes sont situés dans le passé, mais il s’agit toujours de construire un futur humain alors que le système social paraît ne laisser d’autre choix aux individus que de se conformer. Il est logique alors que son avant-dernier film sorti en 2018 soit l'adaptation dans le monde contemporain de Transit, le roman d'Anna Seghers écrit en 1942. L'actrice Paula Beer y fait d'ailleurs sa première apparition dans l'œuvre du cinéaste, on la retrouve de nouveau en rôle principal d'Ondine pour lequel elle gagne le prix d'interprétation féminine au festival de Berlin 2020. 

 

Les deux films historiques nous amènent à revoir sous un nouveau jour les films précédents, faisant mieux apparaître les choix figuratifs du cinéaste. Le réalisme souvent associé trop légèrement à ses films n’en est pas un. Il ne résulte que d’une série de décisions rigoureuses de mise en scène : que représenter ? Comment ? Loin de respecter un supposé « réel », il faut pour le cinéaste construire minutieusement le regard du spectateur sur un univers filmique pour conduire ses réactions (voir le début de L’Ombre de l’enfant). Ce cinéma, qui connaît les leçons du grand cinéma américain et revendique l’héritage politique du cinéma godardien, rejoint également celui de Claude Chabrol, une source d’inspiration majeure pour Petzold, en choisissant de dépeindre une société à travers des intrigues narratives dans une forme post-hitchcockienne.

 

 

Le cinéma de Petzold connaît les leçons du grand cinéma américain, revendique l’héritage politique du cinéma godardien, et rejoint également celui de Claude Chabrol, une source d’inspiration majeure. 

 

 

Et cela sans jeu au second degré de citations cinéphiliques ou de destruction des codes, ce dont témoignera brillamment Phoenix, variation sur Sueurs froides (Vertigo, Alfred Hitchcock, 1958). Qu’il s’agisse de l’Allemagne contemporaine ou de celle d’hier, Petzold fait sienne l’interrogation de Farocki : comment, dans le régime actuel du « tout image », lutter contre « la prolifération dans tous les domaines d’images apprêtées à seule fin de nous signifier quelque chose » ? En décantant vision et écoute, ses films permettent de porter notre regard sur le présent nourri d’un passé que cette prolifération des images ne cherche qu’à refouler et de contribuer à construire un futur qui n’est pas décidé par avance. ◼

Ondine, ou le sacre de Paula Beer

 

Ondine (interprétée par Paula Beer) est maîtresse de conférences à Berlin. Sa vie bascule lorsque son compagnon, Johannes (Jakob Matschenz), la quitte. La légende voudrait qu'elle tue l'homme qui l’a trahie et qu'elle retourne sous les eaux. Mais sa récente histoire d’amour avec Christoph (Franz Rogowski) la préserve de cette malédiction. 

 

Christophe Petzold réinvente le mythe d'Ondine en s’inspirant notamment de la nouvelle Ondine s’en va d’Incheborg Bachmann (1961) et de cette femme sirène qui ne peut vivre sans amour humain. Si, dans le mythe, Ondine assassine et disparait après la trahison, ici la naissance d'un nouvel amour la pousse à rester sur terre, dans ce Berlin désenchanté du 21e siècle. Résistance au mythe et capacité à se révolter contre sa propre légende sont au cœur de ce film.

 

AprèsTransit en 2018, Paula Beer et Franz Rogowski forment de nouveau un couple devant la caméra de Christian Petzold, qui souligne l'alchimie évidente qui les unit. Pour son interprétation sensible, Paula Beer a été récompensée de l'Ours d'argent à la dernière Berlinale.

 

Ondine, de Christian Petzold, sortie le 23 septembre