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Tim Etchells, mot compte triple

« Qu’y a-t-il entre nous ? », voilà la question que pose, en toutes lettres et sur la façade du Centre Pompidou, l'artiste visuel britannique Tim Etchells, fondateur de la compagnie de théâtre Forced Entertainment. Inaugurée le 2 octobre lors de la Nuit blanche, cette installation monumentale en néon rouge s'adresse à la ville avec cette phrase, d'apparence banale, mais qui se lit à de multiples niveaux. Rencontre avec un performeur qui n'aime rien moins que brouiller les pistes.

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Longue de 43 mètres de long et située à 20 mètres au-dessus de la Piazza, la phrase « Qu’y a-t-il entre nous ? » se laisse voir de loin. Créée spécifiquement pour le Centre Pompidou par l'artiste Tim Etchells (en complicité avec le Festival d'automne), elle interpelle le passant, provoquant réflexion, émotion — ou incompréhension. Une manière de s'interroger sur les liens et les histoires qui nous unissent. Par le biais de phrases simples écrites au néon, qui se découvrent dans les rues d'une ville en jouant avec l'architecture, l'artiste britannique s'efforce de créer des récits miniatures de Toulouse à Rome en passant par Zurich. Figure incontournable de la scène vivante britannique, Tim Etchells anime, depuis Sheffield, ancienne cité minière du nord, sa compagnie de théâtre Forced Entertainment. Il est aussi écrivain. Sorti en 2019, Endland, recueil de nouvelles en forme de chronique expérimentale d'un Royaume-Uni populaire perdu entre Brexit et nihilisme, préfacé par Jarvis Cocker (le chanteur de Pulp, ndlr), a été remarqué Outre-Manche. Rencontre avec un iconoclaste, provocateur dans l'âme.

 

 

Comment avez-vous choisi les mots « Qu'y a-t-il entre nous ? » (« What is between us » en anglais, ndlr), et que signifient-ils pour vous ? 

Tim Etchells — Comme à chaque fois, j'essaie d'utiliser le langage pour générer des questions, des histoires et des idées chez le spectateur. Il est important pour moi que l’œuvre soit complexe, plurielle. Ici, je pensais à l'œuvre et à sa place sur un bâtiment qui est l’un des cœurs de la ville. Je pensais aux différents types de liens, d'histoires et de récits qui se déroulent dans cet espace. Qu'est-ce que nous partageons, quelles sont les histoires dont, ensemble, nous faisons partie ? C'est une question très sociale, très politique. En même temps, je suis intrigué par l'idée que cette question soulève également l'idée de division – en anglais, « between » concerne aussi ce qui pourrait être une barrière ou un obstacle entre les choses ou les personnes. Alors, ce qu'il y a « entre nous » commence aussi à ouvrir des questions sur la division : quelles sont les choses, les forces, les récits, les conditions qui nous divisent ? 

 

Comment jouez-vous avec la langue, et quels sens cachés s'y dissimulent ?

TE — Le plus important pour moi est l'idée de vide, ou d'espace… donc les choses qui ne sont pas dites sont souvent aussi importantes que les choses qui sont dites. Dans le cas de cette œuvre « Qu'y a-t-il entre nous ? », il y a beaucoup de non-dits. On ne sait pas qui parle, ou à qui on s'adresse. Il est donc possible de l'imaginer de différentes manières. S’agit-il de la relation entre de nombreuses personnes ? Ou de la relation entre deux âmes ? S'agit-il du bâtiment ? Ou de la ville ? Ces ambiguïtés ou possibilités sont importantes pour moi car elles signifient que l’œuvre reste complexe : ces quelques mots raisonnent pour produire de nombreux sens différents, qui sont tous contenus dans une sorte de constellation ou de tension. 


Quand avez-vous commencé ces installations lumineuses géantes ?

TE — Dans le cadre des premières scénographies de Forced Entertainment, en 1987 et en 1991. La première enseigne au néon que j'ai réalisée pour un autre contexte, c'était pour l'exposition d'art Art Sheffield 08, en 2008. J'étais enthousiasmé par l’idée que l'œuvre soit dans l'espace public, en dialogue avec la ville. Chaque fois qu'une œuvre est réalisée pour un nouveau lieu, ou qu'une œuvre existante est installée dans un nouvel emplacement, il y a toujours une sorte de conversation avec l'environnement qui l’entoure. Les œuvres dans l'espace urbain ont aussi une temporalité intéressante, les gens les croisent à différents moments de la journée, à différents moments de leur routine quotidienne. Et parfois, ils passent devant plusieurs fois, en l’espace de plusieurs semaines ou de plusieurs mois. J'aime la façon dont, dans ces circonstances, les œuvres entrent dans l'expérience quotidienne des gens. Une phrase utilisée dans une œuvre peut être frappante ou inspirante, puis se fondre dans le paysage, pour être à nouveau remarquée plus tard... Dans cette situation, le texte a la chance de résonner de différentes manières, selon les différentes humeurs et énergies de la ville et de la météo. 

 

Chaque fois qu'une œuvre est réalisée pour un nouveau lieu, ou qu'une œuvre existante est installée dans un nouvel emplacement, il y a toujours une sorte de conversation avec l'environnement qui l’entoure.

Tim Etchells

De quelle manière la ville vous influence-t-elle ? 

TE — La ville est une machine qui nous relie et nous sépare de différentes manières, une machine qui reflète et porte également les traces de tous les autres systèmes et structures qui définissent nos vies. Dans cet espace public, l’œuvre a une grande possibilité de toucher les gens. Je suis également attiré par la façon dont la ville est un espace de contradiction, personnel et impersonnel, intime et social. C'est l'endroit idéal pour réfléchir à des considérations sur la société, sur la connexion et la division.

 

La ville est une machine qui nous relie et nous sépare de différentes manières, une machine qui reflète et porte également les traces de tous les autres systèmes et structures qui définissent nos vies.

Tim Etchells

 

Vous avez monté Forced Entertainment à Sheffield dans les années 1980, pourquoi cette ancienne cité minière ?

TE — La décision de nous y installer était un peu aléatoire. C'était en 1984. Nous sommes partis vers le nord, là où la résistance au thatchérisme était la plus forte, dans une ville qui, à cette époque, était pionnière d'une approche socialiste très différente. À l’époque, dans les villes comme Sheffield, il y avait une force créative, un humour subversif et un espace incroyable pour les idées progressistes. Sheffield nous convenait parce qu'elle était relativement isolée, la vie n’était pas chère, nous avons donc trouvé rapidement un vieil espace industriel pour travailler. Nous n'étions pas distraits ou aspirés par diverses influences comme nous l'aurions été à Londres. Nous avons tranquillement créé un espace pour collaborer, faire des recherches, commencer à concevoir des œuvres. C'était la chose la plus importante. Nous n'avions aucun financement, mais nous avions du temps. Jarvis Cocker, le fondateur et chanteur du groupe pop Pulp (autre gloire locale, ndlr) habitait au-dessus de l'un de nos premiers locaux de répétition. Pendant de nombreuses années, Pulp et Forced Entertainment étaient dans des positions assez similaires. Nous avons travaillé dur localement, développé nos approches. Mais contrairement à Pulp, Forced Entertainment ne s'est jamais produit dans un stade ! Je pense néanmoins que Pulp et Forced Entertainment sont le reflet de ce qui peut émerger de contextes régionaux forts au Royaume-Uni, dans des conditions politiques et sociales défavorables.

 

Il y a un aspect politique dans la façon dont mon travail vise à ouvrir un espace pour les autres. Il s'agit moins d’affirmer que de créer une zone dans laquelle les autres réagissent, imaginent et pensent par eux-mêmes.

Tim Etchells

 

En tant qu'artiste, qui vous a influencé ?

Une grande partie de mon travail vient d'une compréhension très performative de ce que la langue fait et peut faire. C’est de là, principalement, que me vient l'idée d'ouverture, d'un événement qui se déroule et qui a besoin d’un public pour « devenir » quelque chose, quelque chose de différent à chaque fois. Quant aux influences artistiques directes, il y en a beaucoup, et dans de nombreux domaines. L'esprit d’auto-création de la musique punk et new wave a été important pour ma génération. En même temps, je ressens une grande affinité avec la littérature expérimentale, l'art conceptuel et la musique contemporaine. Il ne s'agit pas tant d’y trouver une influence directe, mais il y a certainement des artistes dont le travail avec le texte et le langage a été une source d'inspiration. Je suis fan de Georges Perec. Plus récemment, Annie Ernaux a été une figure très importante pour moi. J'ai vraiment aimé le roman Les Années (sorti en 2008, ndlr), et je trouve tellement intéressante la façon dont elle crée cet espace personnel et social/partagé à travers le langage. 

 

Diriez-vous que votre œuvre est politique ? Si oui, de quelle manière ?

TE — Quelles sont les forces qui nous unissent ou nous séparent ? Pour moi, il y a un aspect politique dans la façon dont mon travail vise à ouvrir un espace pour les autres. Il s'agit moins d’affirmer que de créer une zone dans laquelle les autres réagissent, imaginent et pensent par eux-mêmes. Pour moi, c'est important dans toutes les formes dans lesquelles je travaille. Ce qui m’intéresse, c’est moins de « dire quelque chose » que de créer un espace permettant aux autres de réfléchir en profondeur, de créer une tension, un espace dans lequel certaines idées circulent, dans toutes leurs contradictions. ◼