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Festival ManiFeste 2021, scènes du miroir

Le « monde d’après » s’écrit ici et maintenant. Il se vit et s’écoute en juin lors du festival et de l’académie de l’Ircam. Manifeste pour la jeune génération libérée de l’autorité des aînés ; manifeste pour l’électronique émancipée de sa tutelle instrumentale ; manifeste pour la musique orchestrale et d’ensemble, révélée, métamorphosée par la technologie ; manifeste pour le concert sans l’astreindre à « faire spectacle » à tout prix et à moindre coût.

± 5 min

À l’affiche du festival ManiFeste-2021, la musique dans le miroir de l’image, la musique dans le miroir de la fiction, la musique dans son propre miroir, lorsqu’elle se donne une ascendance lointaine. Trois scènes réflexives pour un festival.

 

Retrouvez toutes les informations liées au festival sur le site de l'Ircam.

Première scène : une nouvelle génération musicale, libérée de l’autorité des aînés, fait entendre sa voix propre et sa consistance artistique. Pouvoir dire « je », sinon « nous », assomption jubilatoire d’un moi avec les autres – dans le miroir. Deux directions se disputent précisément l’horizon musical. Un premier modèle relie l’émergence de l’œuvre à un passé glorieux, mémorable, et tente de lui trouver sa place dans une généalogie forte. Le second modèle ne considère que le moment contemporain, le sonore non pas tant l’écriture musicale, qui rencontre le spectacle vivant, le cinéma, la vidéo, le web-art… La création baigne alors dans le champ vibrionnant du contemporain. Œuvre ou dispositif, pour le saisir rapidement. Décréter la pleine victoire des arts sonores annexés aux arts visuels, c’est ignorer que la puissance du dispositif s’écrit elle aussi, tout comme la musique. L’Ircam concourt, par volonté et par appétit, à ces deux modèles, le généalogique comme le contemporain, qu’il s’agit d’intensifier. Pour le premier, les jeunes artistes gagnent de nouveaux accès aux orchestres et aux ensembles dans l’académie de ManiFeste. Pour le second, la chaire établie avec l’École des beaux-arts de Paris initie un atelier commun entre des étudiants qui s’ignoraient jusqu’ici. L’année même où le cursus de composition et d’informatique musicale de l’Ircam marque son trentième anniversaire, la parole est donnée à ceux qui l’ont accompli et à ceux qui le conçoivent aujourd’hui. En paraphrasant Jean Monnet à propos de l’Europe, si c’était à refaire, je commencerai par l’enseignement.

« Quand j’ouvris les yeux, je vis l’Aleph.
- L’Aleph ? répétai-je.
- Oui, le lieu où se trouvent, sans se confondre tous les lieux de l’univers, vus de tous les angles. »

Jorge Luis Borges, L’Aleph, 1967

La deuxième scène au miroir, c’est le dispositif par lequel une création musicale se dote d'une généalogie. Où posez-vous votre axe de réflexion, je dirais votre présent et votre ombre portée. Mémoire de la polyphonie de l’Ars Nova chez Philippe Leroux, intégration des canons de Palestrina dans The Mirror Stage de Bernhard Lang, très inspiré par ailleurs de Lacan, plis baroques dans Répons. L’une des sources de l’œuvre-somme de Pierre Boulez fut l’échec relatif de Poésie pour pouvoir, qu’exhume aujourd’hui Marco Stroppa. Quarante ans après sa création, Répons conserve la force d’une première fois. De même que le premier prélude et fugue du Clavier bien tempéré de Bach expose le tempérament égal en dépliant l’ordre de ses arpèges, de même l’entrée stupéfiante de l’électronique de Répons exulte, proclame et démontre : « Voici les solistes, voici l’espace, voici l’électronique, voilà la spirale. » Sans autre rhétorique que le geste musical embrasant la salle entière.

Si l’image fait écran, c’est l’une de ses fonctions souveraines, les Musiques-Fictions renouvellent précisément le genre de la pièce radiophonique, écoutée collectivement, sans accaparer le regard. C’est la troisième scène spéculaire. Tout est ici affaire de langage et d’oreille. Avec la collection des Musiques-Fictions, le studio se transforme en outil d’écriture à plusieurs mains, où s’agencent les voix de la fiction, la création électronique, l’immersion. Au texte toute l’intelligibilité ; au son, toute la dramaturgie ; à la musique, un espace à soi.

 

L’imaginaire, le symbolique et le réel. Le règne du cinéma, de la fiction et de la musique. Ou encore, l’image de soi, le réseau des signifiants, l’envers du sens. Aux trois registres célébrés par la psychanalyse, ManiFeste-2021 répond point à point : le pouvoir de l’image, la puissance du langage, le réel inassignable qu’est la musique. Musique, seul réel qui fasse pièce, par inclusion, de l’image et du symbole. Une musique qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.


Reste alors l’obscur objet du désir musical. « Désire-moi » : telle pourrait être la déclaration secrète de la musique contemporaine, tellement secrète qu’elle est trop souvent recouverte par le militant, valeureux et laborieux « connais-moi ». En écho survient la requête légitime que nous adressons à la musique, un « étonne-moi » redevenu collectif. ◼

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