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Yetundey, ou le rap à la mode berlinoise

Elle est l’une des figures les plus intéressantes du rap outre-Rhin. À 26 ans, Yetundey propose une musique au carrefour de l’électro et du hip-hop, doublée de textes ciselés écrits en allemand. Invitée dans le cadre de « Berlin, nos années 20 », elle donne un concert gratuit le 4 juin prochain dans le Forum du Centre Pompidou. Rencontre avec une artiste polyglotte, drôle et engagée.

± 5 min

Quarante-cinq minutes de discussion à bâtons rompus avec Yetundey rendent humble pour le reste de la journée. La rappeuse berlinoise de 26 ans parle allemand mieux qu’une Allemande, anglais mieux qu’une Américaine et français mieux qu’une Française. L’interview se fera en français : « J’ai mis un peu de temps à mettre de l’ordre dans tout ça, explique-t-elle en riant. À la maison, on échangeait dans les trois langues… En même temps ! Un sujet en anglais, un verbe conjugué en allemand, un adjectif accordé en français. » Alexandrine Yetunde Joseph est née à Leipzig, une ville allemande d’un peu plus de six cent mille habitants, en Saxe. Sa mère est moitié nigériane, moitié française. Son père, moitié nigérian, moitié allemand. Sa famille « harmonieuse, métissée, accueillante ». Fille unique de la classe moyenne, Yetundey passe de l’école internationale à l’école franco-allemande et plonge dans la musique à l’âge de 6 ans, quand sa mère l’inscrit à des cours de piano. À 12 ans, la voici qui compose ses premiers morceaux ; tout arrive très vite dans la vie de Yetundey : « Je n’étais pas particulièrement studieuse, tempère-t-elle. Je détestais faire mes gammes et tous les exercices imposés, mais j’adorais écrire des suites d’accords, des mélodies. Alors tout est venu tout seul. ». Après le bac, elle file à Berlin, « pour son cosmopolitisme et son bouillonnement créatif. C’est une ville où tout est possible, où tout le monde peut-être ce qu’il veut, pour rien au monde je n’habiterais ailleurs ». Elle choisit des cours de musicologie, et se lance dans le rap… en allemand.

 

La grammaire allemande fonctionne un peu comme des Lego : on peut tout faire, à commencer par des néologismes et des jeux de mots. En fait, c’est une langue faite pour le rap !

Yetundey

 

Rap en allemand

« Le genre rap s’est imposé comme une évidence. Et toutes mes idées, toutes mes histoires, tous mes concepts ne rentraient pas dans le format pop, c’est trop court. Comme trop étroit. Le rap, pour moi, c’est synonyme d’espace de liberté. » Mais pourquoi le rap allemand ? « Ça, c’était plus compliqué, en effet. J’ai commencé avec l’anglais. Mais quelque chose ne collait pas, une question d’identité peut-être… » Elle essaie l’allemand. Elle n’y arrive pas. Elle persévère, elle bricole… Et il se passe quelque chose, enfin. « Une révélation, commente-t-elle. La grammaire allemande fonctionne un peu comme des Lego : on peut tout faire, à commencer par des néologismes et des jeux de mots. En fait, c’est une langue faite pour le rap. » Elle le prouve, en studio et sur scène ; dès le début. Hauts en couleur, ses textes sont imagés, ses émotions accessibles et son flow franchement musical. Mais elle détonne dans le paysage du rap allemand. « C’est le genre musical qui domine ici, encore plus qu’en France. Mais la production est très codifiée, très conventionnelle, très commerciale en fait. » Yetundey est tout le contraire : inclassable, excentrique, marginale.

Une femme dans le rap 

Yetundey trouve sa place chez 365XX, un label de rap allemand exclusivement dédié aux femmes (de talent), qui lui propose un contrat entre deux confinements, au cours de l’année 2021. L’idée d’un label exclusivement réservé aux femmes pourrait faire polémique en France. Pas en Allemagne, et encore moins à Berlin où la maison de disque est installée. « Il faut prendre les devants, estime Yetundey. Dans le rap, non seulement il y a trois nanas pour trente mecs, mais en plus, elles font toutes la même chose. Pour davantage de diversité, le militantisme s’impose. » Yetundey est une fille de sa génération. Hors de question de s’encarter dans un parti politique, de s’engager à l’ancienne. « La politique se fait dans les actes et dans la façon d’être au monde, note-t-elle. Je ne sais pas si je suis engagée. Mais il y a des sujets qui me tiennent vraiment à cœur, que je traite dans mes chansons : le problème de la santé mentale, la question du rythme de vie, la remise en question d’un certain capitalisme. Tout ce qui touche notre bien-être. »

 

L’humour est l’outil le plus puissant pour une fille comme moi. Les autres sont plus enclins à vous entendre, à réfléchir et à changer de point de vue s’ils passent d’abord par le plaisir de la comédie.

Yetundey

 

L'humour comme arme

Pour les non-germanophones, un détour sur YouTube s’impose. Yetundey, en plus d’être une musicienne et une danseuse créative, est une artiste à hurler de rire. Dans le titre Infinity Pool, par exemple, elle se moque des rappeurs (des mecs donc) qui se mettent en scène avec leur fric, leur drogue et leurs conquêtes. On la voit dans tous ses états, sous une pluie de dollars, dansant avec des types déguisés en requins… « L’humour est l’outil le plus puissant pour une fille comme moi. Les autres sont plus enclins à vous entendre, à réfléchir et à changer de point de vue s’ils passent d’abord par le plaisir de la comédie. J’aime cette légèreté, qui est sûrement d’ailleurs la chose la plus profonde que l’on partage, la violence est instantanément désamorcée par l’humour. C’est un mélange de divertissement et d’intelligence. » ◼