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Avec les Dégommeuses, pan dans la lucarne du patriarcat !

Elles sont footballeuses et défient les normes de genre. Depuis douze ans, les Dégommeuses, un collectif de femmes, personnes trans et non binaires en mixité choisie, foulent les pelouses – et les préjugés. Invitées exceptionnelles du festival Hors Pistes le temps d’un week-end, elles partagent avec le public leurs réflexions et leurs expériences autour des règles, des normes et des injonctions dans le sport. Rencontre avec deux d’entre elles, Cha et Veronica.

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Ce vendredi après-midi, le Centre Pompidou est comble, les publics vont et viennent, d’une expo l’autre, à l’abri de la grisaille parisienne. Au niveau -1 du Forum, c’est le festival Hors Pistes qu’on installe. Des gradins de bois ont déjà été montés par les menuisiers, sur la première rangée, une feuille A4 négligemment posée, une sommation : « Ne pas monter debout ! » – la ola attendra un peu. Aux murs, le papier peint aux tons verts spécialement dessiné par l’artiste Mehryl Levisse, récemment disparu. Nul doute, il va y avoir du sport. Parmi les invité·e·s de la manifestation, les Dégommeuses qui, récemment encore, défrayaient la chronique lors d’une action féministe et pacifiste au parc des Princes. Faisant suite au baiser forcé de Luis Rubiales, le président de la fédération espagnole sur Jenni Hermoso, et à la plainte déposée par Kadidiatou Diani pour agression sexuelle contre l'ex-entraîneur du PSG Didier Ollé-Nicolle, Alice Coffin et les Dégommeuses avaient alors brandi une banderole : « Jenni, Kadi, on vous croit », dénonçant les violences sexistes et sexuelles dans le sport en général, et dans le foot précisément.

 

Pour les Dégommeuses, le sport est éminemment politique. Lutte contre la lesbophobie, la transphobie, la misogynie, les racismes et les discriminations…


Pour les Dégommeuses, le sport est éminemment politique. Lutte contre la lesbophobie, la transphobie, la misogynie, les racismes et les discriminations… C’est autour d’un verre, à l’occasion du Tournoi international de Paris organisé par la fédération sportive gaie et lesbienne en 2010, que s’est constitué le noyau de camarades de lutte qui deviendra, début 2012, l’association Les Dégommeuses. Veronica en était, Cha est arrivée ensuite. Douze ans plus tard, certains préjugés sont toujours là : à chaque entraînement, ou presque, les insultes homophobes pleuvent, et les Dégos doivent rappeler à l’équipe précédente qu’elles sont inscrites au planning. « Tous les lundis, il y a des mecs qui reviennent à la charge… se désole Cha. On est tout le temps en train de batailler. Mais on arrive mieux à fermer les écoutilles et à passer outre les remarques. On tient bon. » On le sait, le foot, pour une partie de la population, c’est une affaire de vrais mecs sévèrement burnés, pas de femmes – et encore moins de lesbiennes.

 

Je suis restée chez les Dégommeuses parce qu'il y a le sport, que c'est collectif. Soudain, j'appartenais à un groupe, une équipe qui fait corps sur le terrain comme sur le côté militant. Les deux ensemble, c'est génial ! Cette ambiance, je ne l'ai pas retrouvée ailleurs.

Cha

Pour faire bloc, la communauté est toujours au centre de leurs attentions. Entre deux matches, l’asso des Dégos assiste d’autres personnes LGBTQIA+ ; des exilées lesbiennes et trans ayant dû fuir leur pays natal, notamment. Elles se retroussent les manches, se forment à l'accompagnement administratif et juridique en les aidant dans leurs démarches pour obtenir l’asile, leur offrent des passes de transport en commun, ou des équipements sportifs, les logent parfois. Ça a commencé à l’occasion de Foot for Love et à la venue en France, à leur invitation en 2012, d’une délégation de footballeuses et militantes lesbiennes sud-africaines entraînées par l'artiste photographe Zanele Muholi. « On a fait des matches, une expo photo. On s’est retrouvées comme ça, avec des femmes ougandaises, d’autres pays aussi, réfugiées en France à cause de leur orientation sexuelle. Elles avaient fait du foot dans leur enfance », se rappelle Veronica.

Le foot, d'ailleurs… Au fil de la conversation, on réalise qu'il n’est qu’un prétexte. « Moi, je suis arrivée par le biais militant. Dans la lignée du Mariage pour tous, on a créé un nouveau collectif. Et de fil en aiguille… Le foot, ça m’excitait pas plus que ça. Y avait le sport d’un côté, mais surtout, j’ai trouvé un groupe. On faisait corps sur le terrain, comme sur les aspects militants », admet Cha. « Nous sommes venues au foot par les Dégommeuses », acquiesce Veronica, tout en reconnaissant que d’autres Dégos, pour leur part, ont découvert le collectif par la pratique sportive, avant de prendre part aux actions militantes.

 

Le foot, c’est un plaisir, une joie militante. Une clef de lecture du monde. Un jeu coopératif… et de compétition.
Veronica

 

Il faut dire qu’il y a de quoi faire. Outre les deux entraînements hebdomadaires, les matchs et les rencontres, la centaine de Dégommeuses est très engagée sur les manifestations, la Pride bien entendu, mais aussi les marches antiracistes, conformément à l’approche intersectionnelle du collectif visant à se réapproprier son terrain, également au sens métaphorique, et son corps. Sans compter les actions de proximité avec les associations du 20arrondissement autour de la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, l’organisation de conférences, d’expositions, la production d’affiches pour célébrer la diversité des origines et des corps, loin des canons mis en avant par les instances officielles comme la Fifa. Car même si Veronica et Cha reconnaissent que les mentalités changent peu à peu, très lentement, trop lentement, il y a encore fort à faire pour que les Dégommeuses l’emportent sur tous les terrains : « Être au Centre Pompidou, c’est l’occasion de faire entendre la voix des Dégo, on veut recréer pour Hors Pistes un espace d’échanges, donner la parole aux minorités de genre », conclut Veronica. ◼