Aller au contenu principal

Hervé Di Rosa, le passe-mondes

Héritier d’une histoire allant de Dada au mouvement punk en passant par Jean Dubuffet ou CoBrA, Hervé Di Rosa (né en 1959) n’a eu de cesse de remettre en question la légitimité des hiérarchies artistiques et de l’absolutisme du « grand art ». Acteur essentiel de la Figuration libre des années 1980, il est également un collectionneur passionné de ce qu'il nomme les « arts modestes ». En une trentaine d'œuvres, l’exposition « Hervé Di Rosa, le passe-mondes » offre un aperçu éloquent du parcours d'un artiste inclassable. Présentation par Michel Gauthier, commissaire de l'exposition.

± 4 min

Le nom d’Hervé Di Rosa évoque immédiatement les années 1980 et l’important moment de la Figuration libre. On a voulu y voir l’une des manifestations du postmodernisme et de la remise en cause de la logique des avant-gardes. On a aussi souvent considéré la Figuration libre comme la traduction française d’un retour à la peinture que d’autres tendances comme la Trans-avant-garde italienne ou les Nouveaux Fauves allemands manifestaient également. Di Rosa n’a jamais pensé ses peintures de l’époque de la Figuration libre dans cette perspective. Héritier du mouvement punk, il a plutôt envisagé sa pratique picturale des années 1980 comme l’expression d’une volonté dé-sublimatrice. Pour lui, la peinture figurative est alors aux beaux-arts ce que le rock est à la musique. C’est-à-dire un biais pour renouer non avec une histoire picturale qu’auraient interrompue le formalisme et le conceptualisme mais avec celle, complexe, qui, tout au long du 20siècle, de Dada à CoBrA en passant par Jean Dubuffet, a marqué le refus de la légitimité des hiérarchies artistiques et de l’absolutisme du Grand Art.

Dès cette époque, Di Rosa, en marge de sa production picturale, s’intéresse, en collectionneur, à des objets issus de la culture populaire, bandes dessinées, magazines pulp, disques vinyles et ces action figures qui apparaissent sur le marché français dès la fin des années 1970. En d’autres termes, Di Rosa pense moins son activité sous les auspices du passage du moderne au postmoderne que de l’échange du moderne contre le modeste. C’est en effet le mot qu’il choisit pour désigner cet immense pan de l’activité symbolique humaine qui se déploie à l’écart du système des beaux-arts. Il n’est pas possible de comprendre l’art de Di Rosa indépendamment de cette passion, car c’en est une, pour les arts modestes. Pour lui, cet intérêt à l’égard de territoires esthétiques longtemps tenus à l’écart du Grand Art ne relève pas seulement de cette fascination souvent éprouvée pour les objets « modestes » par des avant-gardes soucieuses de saper l’ordre établi.

 

Di Rosa s’intéresse, en collectionneur, à des objets issus de la culture populaire, bandes dessinées, magazines pulp, disques vinyles et ces action figures qui apparaissent sur le marché français dès la fin des années 1970.

 

Promouvoir l’ignoble afin de contester le noble. On se souvient des célèbres lignes de Rimbaud dans Alchimie du verbe : « J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs ». Chez Di Rosa, l’intérêt pour les « arts modestes », dès la période de la Figuration libre, n’est pas uniquement stratégique, elle est également sincère, échappant à la pulsion nihiliste. Son long combat pour la création du Musée international des arts modestes, à Sète sa ville natale, qui voit le jour en 2000, en témoigne.

Toutefois, à la fin des trépidantes années 1980, Di Rosa s’ennuie dans son atelier. Il ne s’imagine continuer à peindre, et de mieux en mieux, ses toiles bédéphiles, en affinant et raffinant l’iconographie qu’il a mise au point. Il entrevoit qu’il pourrait bientôt devenir prisonnier de cette figuration qu’il a contribué à libérer. La tension entre la dégradation punk des formes autorisées du Bel Art et la valorisation de formes jugées inférieures de l’activité esthétique ne saurait se stabiliser durablement. Afin d’éviter que l’iconographie de la Figuration libre ne se fixe dans son identité et ne finisse par se réifier, Di Rosa prend alors la décision de la faire voyager.

 

À partir de 1992, l’artiste soumet son répertoire iconographique à des savoirs et techniques inconnus de lui au gré de séjours plus ou moins prolongés dans différentes villes du monde.

 

Le projet « Autour du monde » est né. À partir de 1992, l’artiste soumet son répertoire iconographique à des savoirs et techniques inconnus de lui au gré de séjours plus ou moins prolongés dans différentes villes du monde — de Sofia à Lisbonne, en passant notamment par Kumasi, Porto Novo, Addis Abeba, Bình Du'o'ng, Durban, La Havane, Mexico, Foumban, Miami, Tunis ou Séville. Le projet « Autour du monde » met en lumière deux dimensions importantes de l’art de Di Rosa : une méfiance à l’égard du style et l’importance de la médiation technique dans l’entreprise de dépaysement. Ce voyage est également pour lui la possibilité d’élargir encore la carte du monde des arts modestes. L’exposition « Hervé Di Rosa, le passe-mondes », qui est l’occasion de présenter au public la généreuse donation faite par l’artiste au Centre Pompidou, a pour ambition de montrer, dans leur articulation, les trois facettes d’un travail qui appartient déjà à l’histoire : la libération de la figuration, la promotion des arts modestes et l’ambulation géographique des images. ◼

 

Découvrez le catalogue de l'exposition !

 

 

25 € | 22,50 € adhérent