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Honor Swinton Byrne, fille prodige

Fille de Tilda Swinton et du dramaturge John Byrne, Honor Swinton Byrne, 25 ans, s'est fait connaître dans le diptyque The Souvenir, Part I & II, signé Joanna Hogg. Elle y incarne avec brio une jeune femme prise au piège d'une relation toxique — un écho à la propre vie de la réalisatrice britannique. Rencontre avec une jeune actrice prometteuse, alors que sort en salle Eternal Daughter, nouveau long métrage de Joanna Hogg, invitée du Centre Pompidou pour une rétrospective.

± 4 min

Honor Swinton Byrne fait ses premiers pas devant la caméra dans le diptyque The Souvenir, Part I & II (2019, 2020) de Joanna Hogg (sorti en salle en février 2022). Elle y incarne Julie, alter ego de la cinéaste britannique. Avec ces deux films, Joanna Hogg revient sur ses années d’études en école de cinéma et sur l’histoire d’amour toxique qu’elle a entretenue avec un homme plus âgé qu’elle, Anthony, séduisant mais impénétrable. Honor Swinton Byrne n’a suivi aucune formation d’actrice, si ce n’est celle d’avoir traîné sur des plateaux de cinéma avec sa mère, et incarne avec un naturel remarquable ce personnage timide et observateur, à jamais changé par cette rencontre et son impact sur sa création artistique. Sa mère, Tilda Swinton, amie de jeunesse de Joanna Hogg, est également sa mère, Rosalind, à l’écran, dans un vertigineux jeu de miroirs. Encore étudiante à Edimbourg, Honor Swinton Byrne poursuit sa carrière de comédienne en parallèle (Drift d’Anthony Chen, 2023). Elle revient sur l’aventure bouleversante que furent ces deux tournages. 

Chez Joanna Hogg, le casting peut être un processus assez long. Vous êtes arrivée sur le projet à peine deux semaines avant le début du tournage, racontez-nous.
Honor Swinton Byrne — Joanna, je la connais depuis toujours. Je savais que ma mère allait tourner ce film avec elle, sur sa jeunesse, j’en avais entendu parler depuis un bon moment. Je savais aussi que ma mère allait incarner la propre mère de Joanna. Celle-ci a voulu me voir. À l’époque, j’avais 19 ans, et j’étais étudiante en psychologie à la fac d’Edimbourg… Nous nous sommes donc retrouvées toutes les trois, au café de la gare d’un petit village à la frontière entre l’Écosse et l’Angleterre. J’ignorais totalement pourquoi Joanna voulait me voir… Nous avons discuté de ce que cela fait d’avoir 19 ans, on a parlé boyfriends et peines de cœur… J’ai eu l’impression que ce que je lui racontais allait dans le sens de ce qu’elle imaginait pour le personnage de Julie. Il y a eu un vrai déclic entre nous. Peu après, on s’est retrouvées chez moi, en Écosse, et là elle m’a demandé si je voulais être dans son film. J’ai accepté sans hésitation. Elle m’a ensuite parlé de deux films, qu’elle voulait tourner à la suite. Je lui ai répondu, « pas de problème, je suis encore à la fac, je ne pars que dans cinq mois en Afrique du Sud, pour enseigner ». C’est là qu’elle m’a annoncé que le tournage commençait dans deux semaines ! Mais cela ne m’a pas réellement étonnée. Tout cela était très nouveau pour moi ! Pour le rôle, on m’a coupé les cheveux avec des ciseaux de cuisine, et ça j’ai détesté ! Heureusement les cheveux ont repoussé.

 

Je n’ai pas réellement lu de manuscrit à proprement parler. Je sais que Joanna a une version écrite de son film, que peu de gens voient, mais ce ne sont pas des dialogues très aboutis, plus des descriptions de scènes…

Honor Swinton Byrne

 

Comment vous êtes-vous préparée pour le rôle de Julie ?
Honor Swinton Byrne — 
Je n’ai pas réellement lu de manuscrit à proprement parler. Je sais que Joanna a une version écrite de son film, que peu de gens voient, mais ce ne sont pas des dialogues très aboutis, plus des descriptions de scènes… En revanche, j’ai lu certains des journaux intimes de jeunesse de Joanna, et les lettres qu’elle avait envoyées à celui qui est devenu le personnage joué par Tom Burke (Anthony, ndlr). Ces lettres racontaient bien l’état d’esprit dans lequel elle se trouvait à l’époque… Je me suis tout de suite retrouvée dedans, dans cette jeune fille de vingt ans. Mais à part ça, je ne me suis pas énormément préparée, j’avais si peu de temps. J’ai lu des livres, vu des films que Joanna aime… Et puis j’ai appris sur le tas ! De mon point de vue, beaucoup de choses ont été improvisées… Mais pour Joanna, je crois que tout était très clair, comme déjà écrit. Elle me dirigeait de manière assez fluide, et ce qui venait de moi était très sincère. Pour le deuxième film, c’était un peu différent, plus collaboratif. J’étais un peu plus mature, et je savais plus ce que je faisais. Je me sentais beaucoup plus incluse dans le processus de création. Mais j’ai adoré tourner ce premier volet, me retrouver comme un lapin pris dans les phares, c’était une expérience tellement nouvelle ! Les autres acteurs avaient, eux, lu le manuscrit, et ils avaient tous une idée précise de ce qu’ils devaient jouer. Surtout Tom Burke, dont le personnage est lui-même un acteur, calculateur, calme. Anthony comprend parfaitement les situations, quand Julie est dépassée par les événements… Tom Burke est un acteur génial, patient, humble, il m’a beaucoup aidée.

 

 

Le film raconte le passage à l’âge adulte. Comment cette histoire a-t-elle résonné en vous ?
Honor Swinton Byrne — 
J’ai incarné Julie de manière très spontanée. J’aime croire que, personnellement, j’étais un peu moins naïve que mon personnage à son âge, que j’avais un peu plus de confiance en moi. Ce que Julie traverse me semblait très proche de moi, et de ce que j’avais pu ressentir dans ma vie. Pour le deuxième volet, c’était un peu différent. Entre les deux tournages, je suis partie un an à l’étranger, en Afrique. Et j’ai énormément changé ! Quand je suis rentrée, j’étais une personne différente. Moins control freak, plus courageuse, plus dure aussi. Et je pense que c’est grâce à Joanna – j’avais appris à faire confiance.

 

Pour le premier film, c’était irréel, je suis quasiment de tous les plans, et je ne m’étais jamais vue à l’écran avant. C’était presque écrasant, même si je suis très fière du résultat, et ravie que Joanna le soit aussi !

Honor Swinton Byrne

 

Le film se passe dans les années 1980, qu’est-ce que cela évoque pour vous ?
Honor Swinton Byrne — 
J’ai vraiment l’impression d’être une enfant des années 80 ! J’ai grandi avec la musique de cette époque, je n’ai pas eu de téléphone avant mes 16 ans, et encore c’était un vieux truc… Je suis très familière de la mode des années 80, ne serait-ce que grâce à ma mère. Ce serait assez difficile pour moi de jouer une millennial ou quelqu’un de la Gen Z, je m’en sens très loin.

 

Comment avez-vous réagi en voyant The Souvenir ?
Honor Swinton Byrne — 
Pour le premier film, c’était irréel, je suis quasiment de tous les plans, et je ne m’étais jamais vue à l’écran avant. C’était presque écrasant, même si je suis très fière du résultat, et ravie que Joanna le soit aussi ! C’était émouvant, on a fait tellement de prises pour chaque scène, j’avais du mal à imaginer ce que cela pouvait rendre… Le montage est superbe. Pour le deuxième volet, c’est différent, je m’y sens plus en accord avec moi-même, visuellement et émotionnellement. Dans le premier, je me trouve un peu empruntée, maladroite, mais c’est ce qui était recherché. Il est rare d’avoir cette phase de soi-même documentée à l’écran ! Cela me rend vulnérable, mais c’est très beau, très précieux. ◼