Aller au contenu principal

Avec Hors Pistes, une réflexion sur l'image de guerre à l'ère du smartphone

Quel est le rôle du photographe de guerre à l'ère des smartphones et de la multiplication des images amateurs ? Pour le festival Hors Pistes, le photographe Émeric Lhuisset a conçu L'Obier rouge, vaste installation dont le titre fait référence à un chant patriotique ukrainien, devenu hymne de la résistance anti-russe. S'y côtoient des œuvres de sa dernière série réalisée à Kyiv et des images captées au plus près du front par des anonymes. Une exposition en forme de manifeste.

± 5 min

Aujourd'hui, les images de guerre les plus vues et les plus diffusées ne sont la plupart du temps pas celles des professionnel(le)s de l'image — elles sont saisies par des amateurs, des témoins ordinaires. Conçue par le photographe Émeric Lhuisset pour le festival Hors Pistes, l'installation « L'Obier rouge » (qui fait référence à un chant de résistance ukrainien) se présente comme un manifeste sur l’image de guerre à l'ère du smartphone, et comme une réflexion sur son statut. 

 

Quel est aujourd'hui le rôle du photographe de guerre ? Plus que jamais, il est indispensable : c'est à lui, le garant de l'information juste, qu'échoit la délicate mission de vérifier l’authenticité des images, d'en identifier les protagonistes, de rechercher le lieu de la prise de vue, d'enquêter sur sa genèse. La guerre en Ukraine, malheureusement, en fournit nombre d'exemples. Si les images informent, si elles montrent et dénoncent, si elles redonnent un visage, une identité aux combattant(e)s, elles serviront aussi de preuvres pour les tribunaux à venir. Testimoniale, documentaire, artistique, judiciaire… la photographie sur un théâtre de guerre peut-être tout ça à la fois. Émeric Lhuisset le prouve à plus d'un titre. Présent sur les lignes de front depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'artiste photographe signe ici un texte en forme de manifeste sur le statut de ses images.

« L'Obier rouge », par Émeric Lhuisset

 

Non, je ne suis pas à la recherche du tir, de l’explosion, du cadavre, de l’enfant en larmes disant au revoir à ses parents qui partent sur le front… Et pourtant je suis dans la guerre. Et pourtant, ces choses-là, il faut les documenter.

 

Je ne suis pas à la recherche du tir, de l’explosion, du cadavre, de l’enfant en larmes. […] Et pourtant je suis dans la guerre.

Émeric Lhuisset


Mais qui de mieux que le témoin de l’événement pour le faire, depuis sa fenêtre, la main tremblante, dans sa voiture, tentant d’échapper à ce qu’il voit, à ce qu’il vit ? Ce témoin, qui, muni de son smartphone, va produire de l’image — parfois pour garder une trace, parfois comme pour se protéger de ce qu’il a face à lui, d'autres fois par hasard.


Images partagées sur les réseaux sociaux, comme offertes au monde. Dont il arrive qu'elles soient recadrées par d’autres et transformées en mèmes — des images qui deviennent virales, dont l'audience excède de loin celles produites par la presse.

 

Le professionnel de l’image doit plus que jamais exister pour vérifier l’authenticité, pour identifier, pour rechercher, enquêter.

Émeric Lhuisset


Pourtant, le professionnel de l’image doit plus que jamais exister pour vérifier l’authenticité, pour identifier, pour rechercher, enquêter, et le journaliste pour tenter, entre autres choses, de recueillir le récit des évènements documentés par ces témoins. 

 

La guerre en Ukraine en est un bon exemple, une guerre où malgré le très grand nombre de photo-reporters sur place, les images les plus fortes, les plus iconiques, restent celles faites par des témoins, dans des zones où les photographes ne sont pas. Dans ces zones devenues inaccessibles ; d’Azovztal à Kherzon (lorsque la ville était aux mains des Russes) des zones sous occupation à la ligne de front. Seuls subsistent quelques civils et combattants témoins, parfois acteurs de l’événement.

Ce sont ces images amateurs que j’ai choisies de vous présenter. Elles sont aujourd'hui plus iconiques dans la couverture de l’événement que celles qui sont faites par des professionnels. Ce qui ne signifie aucunement que l’image professionnelle dans la guerre ne doive plus exister, mais plus de cette manière, plus dans la recherche de l’événement — mais plutôt dans une approche que l’on pourrait qualifier de post-documentaire, interrogeant la place du médium, l’iconographie locale, l’histoire de l’image, le tout avec une réflexion plus conceptuelle. Mettant peut-être le regard ou la parole du protagoniste de l’événement au cœur de la démarche.

 

Cette installation, c'est aussi un chant, un chant de résistance.

Émeric Lhuisset

 

C’est avec cette approche que j’ai tenté de vous offrir un regard sur la résistance civile ukrainienne, au début, quand Kyiv était encore entourée par les chars russes et que tout semblait perdu.


Cette installation, L’Obier rouge, se présente tel un manifeste sur l’image de guerre aujourd’hui. Mais c’est aussi un chant, un chant de résistance. ◼

À lire aussi

Dans l'agenda