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Le Centre Pompidou &… Paloma 

Elle est la flamboyante gagnante de l'émission télé Drag Race France, qui consacrait la meilleure drag queen de l'Hexagone. Drôle et érudite, Paloma (de son vrai nom Hugo Bardin) nous confie ses attrape-cœur picturaux, de Tamara de Lempicka à Otto Dix, pour lequel elle cultive une véritable passion — et même une troublante ressemblance avec le Portrait de la journaliste Sylvia von Harden, l'une des toiles du maître de la Nouvelle Objectivité allemande.

± 5 min

Ses irrésistibles imitations de Fanny Ardant et ses playbacks endiablés sur Mylène Farmer ont conquis le jury de Drag Race France — et le public. Dans ce show, diffusé sur France Télévisions cet été (et adapté d'un format américain), Paloma a fait des étincelles sur scène dans des performances ultra sophistiquées et référencées. Mais c'est surtout son sens de la répartie et sa culture visuelle et cinématographique qui ont fait la différence. Paloma, c'est la création bigger than life d'un jeune comédien, par ailleurs scénariste et réalisateur. Sous les faux-cils et les perruques délirantes de la reine des drags : Hugo Bardin, fringant trentenaire originaire de Clermont-Ferrand. Son alter ego Paloma est d'abord née pour un court-métrage éponyme, largement inspiré par le film culte Priscilla, folle du désert (1994). Fan de Francis Bacon, Bernard Dubuffet mais aussi des illustrations de Gustave Doré, Hugo a eu une vraie illumination en découvrant l'art d'Otto Dix, au sortir de l'adolescence. Qui l'a largement inspiré pour la création de la queen Paloma. Rencontre avec l'artiste à l'aube d'une tournée qui va la mener partout en France.

« J’adore Otto Dix, et surtout son tableau Portrait de la journaliste Sylvia von Harden, je m’identifie totalement. Il y a une forme de gémellité dans le visage, un regard asymétrique, une allure androgyne, un nez fort, des cernes marqués… J’aime sa gestuelle, cette façon nonchalante de tenir sa cigarette, d’être accoudée à la table du café… Ce tableau me fait aussi penser à cette photo célèbre d’une drag queen par Diane Arbus (Jeune homme avec des bigoudis chez lui sur West 20th Street, New York, ndlr).

 

J’adore Otto Dix, et surtout son tableau Portrait de la journaliste Sylvia von Harden, je m’identifie totalement. Il y a une forme de gémellité dans le visage, un regard asymétrique, une allure androgyne, un nez fort, des cernes marqués… 

Paloma

 

Je suis très fan de l’iconographie allemande de l’entre-deux-guerres, cette esthétique cabaret, que l’on retrouve chez Bob Fosse notamment. D’autres tableaux d’Otto Dix me fascinent, comme le Portrait de la danseuse Anita Berber (qui fait l'affiche de l'exposition « Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander », ndlr), qui est sûrement son tableau le plus fort. Je trouve qu’il y a une ressemblance avec la créatrice de mode Sonia Rykiel, non ? Otto Dix a beaucoup peint les prostituées, les femmes de la nuit, ça me plaît énormément. J’ai découvert sa peinture à la sortie de l’adolescence.

Chez moi, on était plutôt branchés art sacré. Mon grand-père est historien de l’art et spécialiste de l’art populaire auvergnat, il a été directeur de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) de Clermont-Ferrand. Toute jeune, ma mère et ma grand-mère m’emmenaient dans les églises, j’étais fascinée par les figures de femmes martyres, comme sainte Agathe, aux seins coupés… De manière générale, les femmes et leur représentation dans la peinture m’ont toujours fortement influencée. J’aime comment Modigliani, Egon Schiele, Klimt, Tamara de Lempicka, le Caravage ou encore Vermeer peignent les femmes – non pas comme des muses mais comme de vrais sujets. Je déteste le mot « muse » d’ailleurs. Récemment, je suis venue voir au Centre Pompidou l’exposition sur Dora Maar, elle me fascine. On dit souvent d’elle qu’elle était la muse de Picasso, mais elle a grandement participé à son œuvre ! Picasso l'a détruite.

 

Dans l’histoire de l’art, beaucoup de femmes sont restées dans l’ombre de leur mari ou de leur amant. On pense souvent que j’ai choisi mon nom de drag pour Picasso, mais pas du tout ! C’est en hommage à sa fille Paloma, un personnage romanesque, à la fois collectionneuse d’art et créatrice de bijoux et de parfums. Je suis fascinée par l’Espagne des années 1980, l’époque de la Movida, Pedro Almodovar, Rossy de Palma, évidemment, à laquelle on dit que je ressemble beaucoup. On m’a aussi comparée à un Picasso… ce n’est peut-être pas très gentil mais je préfère ça à un Arcimboldo !

 

On m’a aussi comparée à un Picasso… ce n’est peut-être pas très gentil mais je préfère ça à un Arcimboldo !

Paloma

 

Le Centre Pompidou est dans un quartier que je connais bien, le Marais, capitale française de la culture LGBTQIA+. J’ai pas mal fréquenté les bars du coin, j’y ai travaillé aussi en tant que drag évidemment… Venue de Clermont-Ferrand, je suis arrivée à Paris en 2009. L’une de mes toutes premières soirées s’est même terminée par un bain dans la fontaine Stravinsky, à deux heures du mat… Ce quartier, j’y ai aussi fêté ma victoire à Drag Race en août dernier. C’était au Café Beaubourg, c’était fou, je me sentais telle Loana à la sortie du Loft ! ». ◼