František Kupka
1871, Opocno (République tchèque) – 1957, Puteaux (France)
Pionnier de l'art abstrait
La thématique de la verticalité est omniprésente dans l’œuvre de Kupka et a sans doute contribué à son passage à l’abstraction. Elle apparaît dans son travail vers 1909 alors qu’il cherche à représenter le mouvement et à introduire dans la peinture la quatrième dimension, le temps. S’inspirant de la technique de la chronophotographie d’Etienne-Jules Marey et des expériences futuristes, le peintre découpe l’espace de sa toile en une série de bandes colorées qui évoquent la succession des instants, comme dans la série Femme cueillant des fleurs de 1909-1910. Si cette thématique domine ensuite les toiles où il exprime sa spiritualité par des motifs tels que l’homme debout ou l’église gothique, à partir de Plans verticaux, elle est affirmée pour elle-même, les bandes verticales devenant autonomes, détachées de toute référence imitative.
Dans cette toile, des plans violets, mauves, noir et blanc semblent se succéder dans un mouvement descendant, pour remonter ensuite, comme si ces rectangles prenaient leur élan pour se déployer dans un espace infini. Comme il le note dans son essai La création dans les arts plastiques, « coupées à angle droit ou par des diagonales, les verticales donnent une impression d’ascension ou de descente, renforcées encore là où les surfaces délimitées sont de couleur ou de valeur différente. Solennelle, la verticale est l’échine de la vie dans l’espace, l’axe de toute construction ». Par le biais de la verticalité, Kupka s’intéresse désormais à la fonction des formes dans la construction d’un espace proprement pictural, ce qui oriente son travail vers une abstraction géométrique.
Parallèlement au thème de la verticalité, Kupka travaille sur les mouvements circulaires. En 1908, avec la Petite fille au ballon, toile où la représentation du ballon en mouvement se transforme en une série de courbes entrelacées, il commence à explorer le motif du tournoiement. Cette recherche culmine avec Autour d’un point dont la composition tire son origine d’une forme végétale, une fleur de lotus et ses reflets dans l’eau. De nombreuses études et croquis amènent Kupka à traiter ce thème de manière abstraite, en insistant sur l’enchevêtrement de deux mouvements, centrifuge et centripète, qui expriment la gravitation à l’échelle planétaire et la croissance organique microscopique.
Élaborée à partir de 1911 mais retouchée jusqu’en 1930, et même vraisemblablement au-delà, cette toile offre une synthèse des intérêts de Kupka pendant trois décennies. Elle traite du mouvement des planètes qu’il étudie autour de 1910, des formes organiques qu’il aborde plus précisément à partir de la Première Guerre mondiale, mais aussi du dynamisme des machines qui marque son œuvre à la fin des années 1920, et enfin d’un certain automatisme du tracé emprunté aux surréalistes. Elle illustre la spécificité de l’abstraction de Kupka, à la fois fondée sur des lois scientifiques et des motivations métaphysiques.
Biographie
František Kupka est originaire d’une petite ville de Bohême orientale, région alors rattachée à l’Empire austro-hongrois. Initié dès son adolescence au spiritisme, il fait preuve de dons de médium qu’il exploite notamment pour financer ses études d’art. Il découvre la peinture en autodidacte, puis suit des cours de dessin dans une école d’art locale, dont l’enseignement consiste à reproduire des motifs issus de l’art décoratif populaire, par exemple la broderie, où dominent les dessins de cercles et d’entrelacs.
En 1889, il intègre l’Académie des Beaux-arts de Prague où il fréquente un atelier de peinture religieuse dirigé par un artiste appartenant au groupe des Nazaréens, peintres qui prônent un retour à l’innocence et à la sensibilité du cœur en opposition au conventionnalisme académique. Il est ensuite admis à l’Académie des Beaux-arts de Vienne en 1892, mais délaisse les cours pour enrichir sa culture personnelle, profitant de l’effervescence culturelle qui agite la capitale impériale. C’est l’époque de la Sécession, de Mahler, de Freud…
Cette émulation le conduit, en 1896, à Paris, où il gagne sa vie comme illustrateur pour des journaux tels que L’Assiette au beurre, ou des cabarets pour lesquels il conçoit des affiches, s’inspirant du travail de son compatriote, l’affichiste Alphonse Mucha, avec qui il se lie d’amitié. En 1906, il s’installe à Puteaux, non loin de la demeure des frères Duchamp. Avec eux, il découvre le cubisme qui, tout d’abord, l’enthousiasme et influence sa peinture, puis le déçoit, n’y voyant qu’une « interprétation de plus » de la réalité.
À partir de 1911, il réalise des peintures qui s’affranchissent de toute référence au monde des objets, des « architectures philosophiques » selon le terme du critique Jacques Lassaigne. Après la guerre, où il s’était engagé comme volontaire aux côtés de la France, il enrichit sa recherche picturale d’expériences visuelles produites grâce à des instruments tels que le microscope, et poursuit son travail sur la verticalité et le mouvement circulaire. Mais il tombe peu à peu dans l’oubli. Il faut attendre le début des années 1950 pour voir ses œuvres reconnues comme celles de l’un des maîtres de l’abstraction.
Pour aller plus loin
Dans la collection du Musée national d'art moderne